Points de repères pour la lecture de Caritas in veritate (L’amour dans la vérité)

Nous sommes tous concernés par le développement : le nôtre, celui des autres pays notamment ceux en voie de développement.
Les organisations dont nous sommes membres (CCFD-Terre solidaire, l’ACI, etc) nous invitent à cette attention au développement, mais l’encyclique nous paraît difficile à lire. Apparemment peu l’ont fait.
Ce guide de lecture reprend les grandes articulations, indique les points traités, le plus souvent sans les détailler, à chacun de réagir à sa manière. Un échange à plusieurs est toujours souhaitable. Il donne aussi certaines clefs de compréhension de la manière de penser et de s’exprimer de Benoît XVI (p.ex. : vérité et loi naturelle). Nous pouvons ne pas être à l’aise, mais c’est important pour entrer dans sa pensée et nous situer par rapport à elle.

Cette encyclique s’appuie sur plusieurs textes romains antérieurs :
RN : Rerum novarum (Sur la condition des ouvriers), Léon XIII, 1893
MM : Mater et magistra, Jean XXIII, 1961
GS : Gaudium et spes (L’Église dans le monde ce temps), Concile Vatican II, 1965
PP : Populorum progressio (Le développement des peuples), Paul VI, 1967
EN : Evangelii nuntiandi (un évangile à annoncer) ,Paul VI , 1975,
CA : Centesimus annus (100ème anniversaire de Rerum novarum), Jean Paul II, 1991
DC : Deus caritas est (Dieu est amour), Benoît XVI, 2005
SS : Spe salvi (Sauvés dans l’espérance), Benoît XVI, 2007
CV : Les initiales CV font référence à l’encyclique Caritas in veritate

Le développement : une vocation (CV 16-30)

« Toute vie est vocation » ! (PP 3,4,5) C’est ce qui donne raison d’être à l’intervention de l’Eglise dans les problématiques du développement : développement de la nature, qui elle aussi a une vocation (CV 48), développement de l’homme, personne et famille humaine.

Cette vocation s’enracine dans la création de l’univers, de l’homme et de la femme à l’image de Dieu lui-même, personnes et communion. Il leur a confié la gestion de ce monde et de l’humanité (Gn 8,27-31).

Vocation : C’est reconnaître que le développement « naît d’un appel transcendant... » et « qu’il est incapable de se donner par lui-même son sens propre ultime... L’idée vraie de la vie humaine » ( PP 42). Avec Paul VI, dont il reprend largement l’encyclique PP, Benoît XVI voit cette vision du développement au coeur de ce texte, avec ses dynamiques : liberté, vérité, charité (CV 16).

Liberté : (CV17) « Les peuples de la faim interpellent aujourd’hui, de façon dramatique, les peuples de l’opulence » ... « L’Église tressaille devant ce cri d’angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à l’appel de ses frères » (PP 3), « appel d’hommes libres à des hommes libres » pour qu’ils prennent ensemble leurs responsabilités. Les structures économiques et les institutions ont leur importance, mais sont des instruments au service de la liberté humaine.

Vérité : (CV18) Pour être véritable le développement humain doit être intégral. La vérité, pour Benoît XVI, est de respecter et de promouvoir son être propre. Non pas seulement avoir plus mais être plus (PP 12), tous les hommes et toutes les femmes, « jusqu’à l’humanité toute entière » (CA 53-62).

Cette conception de la vérité guidera Benoît XVI dans sa relecture de situations marquant à ses yeux la modernisation actuelle (CV 24-29).

Il invite plus loin au dialogue avec les partenaires de toute sorte. Ce dialogue exigera une écoute attentive de part et d’autre pour partager au mieux un sens commun de l’homme (CV 34-42).

Charité : (CV 19) Elle occupe une place centrale dans la conception du développement comme vocation. Les causes du sous-développement ne sont pas d’abord matérielles mais plutôt le désintérêt à l’égard de la solidarité entre les hommes et les peuples. Il faut des sages, de réflexion profonde, à la recherche d’un humanisme nouveau (PP 66). La société toujours plus globalisée nous rapproche, mais elle ne nous rend pas frères : « l’unité dans la charité du Christ nous appelle tous à participer à la vie du Dieu vivant, Père de tous les hommes » (PP 21). C’est vrai entre chrétiens mais aussi avec ceux qui sur d’autres chemins participent à cette sagesse.

La charité nous fait sentir l’urgence (2 Cor 5,14) : mobilisons nous avec le coeur pour faire évoluer les processus économiques et sociaux vers des formes pleinement humaines (CV 20).

Le développement humain aujourd’hui (CV 21-33)

Aux yeux de Benoît XVI nous sommes entrés dans une période très différente de celle de Paul VI, celle de la mondialisation. La crise actuelle le souligne avec force.

Il en fait un descriptif en relevant un certain nombre de situations, leurs enjeux et leurs questions...

Le rôle des états : Le nouveau contexte commercial et financier international et les facilités nouvelles de communication limitent leur souveraineté, favorisant la mobilité des capitaux financiers et des moyens de production matériels et immatériels. La crise invite à une évaluation nouvelle du rôle des états et organisations internationales.

Des signes de faiblesse en économie : Affaiblissement des systèmes de protection sociale, délocalisations en vue de bas prix et de favoriser la consommation, dérégulation du monde du travail et des syndicats, mobilité du travail, avec certains avantages, mais aussi plus d’insécurité. D’où le rappel d’une constante de l’enseignement social de l’Église : valoriser la personne dans son intégrité, comme premier capital à sauvegarder pour une économie saine.

Dans les domaines social et culturel : Favoriser les différents niveaux de savoir de l’homme, y compris la foi et la théologie, raison d’être de la doctrine sociale de l’Église. Objectif premier pour un développement intégral : l’accès au travail. Caritas in veritate nous appelle ainsi à une tâche inédite et créatrice, vaste et complexe.

Il y a des attitudes fatalistes devant la mondialisation. Mais derrière le processus visible, il y a la réalité d’une humanité de plus en plus interconnectée / personnes et peuples, dont la nature éthique fondamentale dérive de l’unité de la famille humaine (CV 42).

Pour le bien de l’homme nous avons à y favoriser une orientation culturelle personnaliste et communautaire, ouverte à la transcendance.

Malgré certaines de ses dimensions structurelles, la mondialisation n’est en soi ni bonne ni mauvaise. Elle sera ce que nous en ferons, sans en rester des victimes, mais en devenant des protagonistes, guidés par la charité et la vérité. Pays pauvres et pays riches y ont leurs responsabilités. La diffusion du bien-être à l’échelle mondiale ne doit pas être freinée par des projets égoïstes, ni dictée par des intérêts particuliers, mais porter des objectifs d’humanisation solidaire, une humanité en terme de relationalité, de communion et de partage.

Développement des peuples, droits et devoirs, environnement (CV 43-52)

Sans devoirs, sans solidarité, les droits aboutissent à des contradictions : superflu et transgressions d’une part, droits humains essentiels écrasés d’autre part. Associés au devoirs réciproques, ne mobilisent-ils pas davantage ? Telle est la question posée. Selon les pays, la croissance démographique a paralysé ou favorisé le développement. C’est toujours un appel à la procréation responsable. L’Église y invite au respect de la réalité humaine « authentique ». Il faut reconnaître qu’il n’est pas toujours aisé de délimiter en toute circonstance cette réalité humaine authentique en tenant compte des personnes, des temps, des lieux, des circonstances.

Benoît XVI nous invite à reconnaître l’ouverture moralement responsable à la vie comme une richesse sociale et économique. Les expériences positives ou négatives des pays posent ces questions. La crise a mis en lumière le besoin d’éthique en économie, pour son bon fonctionnement. Mais comment élaborer les critères valables de discernement ? Un simple accord entre négociateurs est, de soi, fragile.

Entreprise et éthique : La distinction classique entre « à but lucratif » et « à but non lucratif » ne suffit plus à Benoît XVI. Il se montre attentif à une « sphère intermédiaire » : les entreprises qui, sans exclure le profit, n’en font pas leur but exclusif, et se veulent instrument pour réaliser des objectifs humains et sociaux. Parmi elles nous connaissons le commerce équitable. Des recherches de ce genre sont-elles possibles dans des pays en voie de développement ? Oui, nous le savons, pourvu qu’elles soient l’affaire des personnes du pays.

L’environnement : Pour nous et pour les générations futures. La référence de Benoît XVI demeure « le respect des équilibres propres à la réalité créée ». Il y voit un don de Dieu, donc une vocation de la nature elle-même, à gérer en vérité, porteuse de lois fondamentales, d’une « grammaire » indiquant finalité et critère pour une bonne gestion sans exploitation arbitraire.

Ressources énergétiques : Souvent sources de conflits dans les pays « pauvres ». Pour une maîtrise et un partage il voit la nécessité d’une solidarité renouvelée : diminution significative de la consommation chez les plus grands consommateurs, amélioration de la productivité énergétique, recherche d’énergie alternatives (et renouvelables), redistribution planétaire. N’y a-t-il pas un rapport entre la manière dont l’homme se traite lui-même et celle dont il traite l’univers et vice-versa ?

L’Église a ses responsabilités en tous ces domaines. Benoît XVI revient sur le respect de la vie dans la nature et dans l’homme pour un développement intégral. Caritas in veritate nous montre la route. Nous pouvons en échanger, en discuter, les jalons ne sont pas toujours évidents.

La collaboration de la famille humaine (CV 68-77)

La solitude est une des formes les plus profondes de la pauvreté tant des personnes que des peuples. Le développement des peuples dépend beaucoup de notre conscience de former « une seule famille », « toutes les personnes et tous les peuples » sur les bases de la justice et de la paix.
Dans la Foi Benoît XVI nous invite à redécouvrir la trinité, unité des trois personnes. Dieu valorise la relation : communion entre nous, la « famille humaine » ; en communion avec la trinité, Dieu communion , « pour qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jn 12,22) (cf CV 54)

Pour la révélation chrétienne la relation est essentielle. Certaines religions et des incroyants servent eux aussi cette marche vers le «  tout l’homme et tous les hommes ». Pour construire cette unité dans la diversité le pape insiste sur le principe de subsidiarité uni au principe de solidarité, aussi bien entre les états que dans l’action des institutions internationales et les différentes formes d’entraide internationale, spécialement dans la société civile.

La société civile apparaît comme un endroit privilégié pour l’exercice de ce type de solidarité, les états et acteurs économiques étant toujours plus intéressés par leurs propres perspectives.

Quels objectifs de changement pour renforcer cette collaboration de la famille humaine ?

Le pape donne une longue liste de lieux concernés :

  1. La coopération au développement doit devenir une occasion de rencontre culturelle et humaine dans la reconnaissance et le respect de ce qu’est chacun dans sa diversité.
  2. L’aide au développement des pays pauvres doit être considérée, non comme une charge, mais comme un véritable instrument de création de richesse pour tous.
  3. Promouvoir un meilleur accès à l’éducation , formation complète de la personne.
  4. Le tourisme international à transformer pour de véritables rencontres, au-delà de nos propres modes de vie et de loisirs . Encourager le tourisme alternatif.
  5. Les migrations, une politique de coopération internationale forte et sur le long terme...
  6. La pauvreté a souvent sa source dans la violation de la dignité du travail : sous-emploi et mésestime des droits des travailleurs.
  7. Promotion des organisations syndicales, en s’adaptant à des situations nouvelles par ex : le conflit entre l’individu travailleur et l’individu consommateur, souvent le même ; le soutien des isolés et des travailleurs des pays en voie de développement....
  8. Les finances : toute la finance, et pas seulement quelques secteurs spécialisés, attentive aux conditions favorables au développement de l’homme et des peuples.
  9. L’amour est intelligent : il invente des formes de solidarité financière : crédit coopératif...
  10. Le nouveau pouvoir politique et économique des consommateurs et de leurs associations.
  11. A la suite de Jean XXIII (PT 293 ; B XVI ONU 2008), souhait d’une architecture économique et financière à l’ONU avec pouvoir d’imposer ses décisions, pour la protection des plus pauvres.

Le développement des peuples et les techniques (CV 68-77)

Nous bâtissons notre moi sur un soi qui nous est donné. De même, analogiquement pour les peuples. Nous sommes appelés à une liberté vraiment humaine par la reconnaissance du bien qui la précède : ces normes morales fondamentales de la loi morale que Dieu a inscrite en nos coeurs.

Le pape propose ces questions en cinq domaines de grande actualité et nous invite à la réflexion et au partage.

  1. La biologie : La technique, maîtrise de l’esprit sur la matière, est une réalité profondément humaine qui s’inscrit dans la mission de cultiver la terre (EN 2,15). Vu son développement on peut penser qu’elle se suffit à elle-même. En fait elle s’interroge sur les comment et non sur les pourquoi, alors que le vrai développement est une intelligence capable de saisir le sens pleinement humain du faire de l’homme. D’où sa responsabilité éthique dans l’usage de la technique.
  2. La paix : Il faut tout un travail pour la construire et la préserver, mais elle doit aussi s’appuyer sur des valeurs enracinées dans la vérité de la vie, l’écoute des populations où tant de personnes sont à l’oeuvre pour une compréhension réciproque.
  3. Les moyens de communication sociale : Eux aussi sont une base anthropologique : la promotion de la dignité des personnes et des peuples. En ce sens ils peuvent être une aide précieuse ou un obstacle pour le développement.
  4. La bioéthique : Elle porte la question fondamentale : l’homme s’est-il produit de lui-même ou dépend-il de Dieu ... ? Les découvertes scientifiques en ce domaine sont tellement avancées qu’elles imposent un choix qui les dépasse entre rationalité technique et transcendance. Le refus de la transcendance laisse ouverte la question du comment l’être a pu surgir du néant, intelligence ou hasard. Foi et Raison ont besoin d’un apport mutuel. De « mondiale » avec Paul VI la question sociale devient anthropologique : on en est arrivés on racines de la vie, au risque de positions négatrices de la dignité humaine.
    Cet état de fait a des conséquences négatives sur le développement : une capacité de sélectionner arbitrairement ce qui aujourd’hui est digne de respect : le monde riche risque de « ne plus entendre les pauvres qui frappent aux portes de l’opulence » (CV 75) leur conscience devenue incapable de reconnaître l’humain ;
  5. Le psychologique : Le moi est réduit au bien-être émotionnel alors que le développement de l’homme et des peuples est également lié à la solution des problèmes de nature spirituelle. La société du bien-être matériellement développé porte des traces de mort : drogue, désespoir.
    Nous expérimentons l’au-delà de ce qui s’explique par la simple matière par des expériences comme la connaissance comportant toujours un donné au-delà de l’empirique, ou l’amour où toujours quelque chose nous surprend... un don reçu qui nous élève !

Le développement demande des yeux et un coeur nouveaux pour aller en vérité.

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Jean BOUTTIER

Aumônier général du Comité catholique contre la faim et pour le développement.

Publié: 01/02/2010