Silence, ici on tue !

Chers amis
Notre Internet était en panne et je n’ai pas pu vous donner de nos nouvelles. La situation reste difficile et je dirais qu’elle se dégrade mais grâce à Dieu et grâce à vos prières dont je suis assuré, nous tenons encore le coup. On ne sent pas une volonté des politiques de résoudre le problème, c’est-à-dire faire partir les rebelles Séléka installés dans la ville qui tuent, briment et volent en toute impunité. De 35.000 personnes en octobre, on dépasse maintenant les 40.000 personnes dans les locaux de la mission catholiques. Nous prêtres partageons nos chambres avec certaines personnes. J’ai dû aménager le salon de mon bureau pour certaines familles. Mais tout cela va certainement finir un jour ; c’est pourquoi nous gardons espoir. je partage avec vous en pièce jointe un article que j’ai écrit pour le site de notre diocèse (www.diocesedebossangoa;org). Ce n’est qu’un simple point de vue d’un simple pauvre prêtre d’un pays qui n’existe plus mais d’une Eglise brimée qui se bat.
Cordialement,
Abbé Jérôme

Il y a quelques semaines, le Pape François appelait tous les chrétiens à consacrer la journée du 7 septembre 2013 à la prière pour la paix en Syrie et dans le monde. J’avoue que j’ai eu un pincement au cœur à cause de la formulation de cette invitation. Si aujourd’hui le drame humanitaire et sécuritaire en Centrafrique commence à faire l’objet d’une timide attention de la part de la fameuse communauté internationale, à l’époque de cette journée de prière, personne ne semble s’intéresser aux graves crimes qui se commettent en RCA.
Malgré les multiples cris d’alarme de l’épiscopat centrafricain, ceux qui font la pluie et le beau temps dans ce monde ont fermé leurs yeux pour ne rien voir, ont bouché leurs oreilles pour ne rien entendre et ont fermé leur bouche pour qu’aucune parole de condamnation n’en sorte. En dehors des Eglises sœurs d’Europe et peut-être des autres parties du monde, personne ne semblait prêter la moindre attention au drame qui se jouait au cœur de l’Afrique. Tous les regards étaient tournés vers la Syrie. Les grands médias n’avaient d’yeux et d’oreilles que pour ce pays du Moyen Orient. Quand des personnes avaient été attaquées par des armes chimiques, tous les grands de ce monde ont immédiatement réagi. Des tonnes de bombes ont failli être déversées sur le régime de damas. Depuis le début de la guerre en Syrie, on parle de plus de cent mille morts. Cela est évidemment inacceptable.

Et pourtant en Centrafrique se joue le même drame. Je n’ai pas assez d’éléments pour oser faire une comparaison. Toutefois, je reste convaincu qu’il se passe pire en Centrafrique qu’en Syrie. S’émeut-on parce que ces Syriens ont été bombardés avec des armes chimiques ou tout simplement parce que des êtres humains ont été innocemment tués ?

Les victimes syriennes ont la chance, elles, d’appartenir à un pays qui présente peut-être des intérêts stratégiques et économiques ; ce dont ne bénéficient pas les Centrafricains. Ceux-ci peuvent donc mourir dans le silence organisé. Ainsi, qui a vraiment condamné vigoureusement les milliers de morts provoquées dans les hôpitaux de Bangui à partir du 23 mars 2013 par l’arrêt des turbines électrogènes de Boali l’unique source d’approvisionnement de la capitale en électricité ? Ailleurs, on aurait dénoncé un crime de guerre et les auteurs auraient été menacés de représailles. Mais cela se passe en Centrafrique, et c’est donc normal.
Ce n’est qu’une stratégie militaire comme l’ont fièrement clamé le 24 mars sur Radio France internationale les auteurs de ce crime.
Combien de corps sont entrés dans un état de putréfaction suite à cet acte barbare ?
Qui y a-t-il eu pour s’émouvoir du sort de Maman Bemba, cette octogénaire de la ville de Bouca, froidement égorgée, découpée en menus morceaux qui ont été ensuite jetés dans le propre puits de la victime ?
Qui a eu pitié du sort du jeune Evrard de Bouca froidement abattu près de son domicile par les séléka ? Son tort ? Après s’être enfui en brousse comme les autres, il est revenu pour tenter de prendre sur lui quelque nécessaire pouvant l’aider à survivre dans son lieu de refuge.
Quel média a parlé de cette femme du village de Bolangba qui est morte calcinée après que les Séléka ont pris soin de l’enfermer dans sa propre maison ?
Qui des grands hommes de ce monde a seulement entendu parler de ces enfants du village de Bodora (40 km de Bossangoa) que les Séléka ont enfermés dans une maison qui a ensuite été incendiée ?

Toutes vies humaines ne se valent-elles pas ? Il a fallu qu’il arrive le pire pour que la fameuse communauté internationale commence timidement à s’apitoyer sur le sort des victimes centrafricaines. Je me rappelle quelques phrases d’un célèbre chant de Bob Dylan que j’ai appris quand j’étais au petit séminaire. Il y avait des phrases de ce genre : « How many ears must one man have before he can hear people cry ? », ce qui peut se traduire à peu près ainsi : « Combien d’oreilles faut-il à un homme afin qu’il puisse entendre les gens pleurer ? »
Pourquoi s’est-on longtemps tu, pourquoi a-t-on laissé pourrir la situation avant qu’on ose maintenant dénoncer timidement les crimes commis dans ce pays.
On savait ce qui allait se passer avec l’arrivée de la coalition Séléka au pouvoir. Pourquoi n’a-t-on pas agi pour prévenir ces crimes et sauver des vies humaines ?
Mais diable, quel crime avons-nous commis, nous pauvres citoyens centrafricains pour que le monde nous ait laissés vivre ce triste sort ? Méritions-nous tout cela ?
Pourquoi devons-nous payer avec notre sang et nos maigres biens les errements et la cupidité irresponsables de nos hommes politiques qui, eux, se sont tous maintenant enfuis dans les pays où l’on protège les droits de l’homme ?

Aujourd’hui, chaque jour, les éléments de la Séléka tuent, volent et violent ; ils ont distribué des armes aux éleveurs peuls de confession musulmane. Ceux-ci sillonnent les champs, font brouter leurs bétails dans les champs ; malheurs au paysan qui ose contester ; il est froidement abattu. Les villageois comme ceux de mon village se sont-ils refugiés dans leurs champs ? Ils y sont poursuivis par les Séléka qui, non contents de brûler leurs huttes, mettent le feu à leur grenier et tout ce qu’ils y cachent de précieux.

Entre nous, qu’est-ce qu’un génocide si ce n’est que la volonté d’exterminer un groupe de peuple donné ? Qu’est-ce qu’un crime de guerre ? Tout le monde le voit, tout le monde le sait ; seulement ceux qui ont le pouvoir d’arrêter ce drame tournent en rond. Peut-être que le nombre de morts, de viols, de villages incendiés, d’églises profanées et détruites qu’ils ont programmés n’est pas encore atteint. Que vaut la vie d’un paysan centrafricain ? On ne lui a pas demandé de naître dans ce maudit pays.

Demain, « on » viendra constater et condamner les violations massives des droits de l’homme en Centrafrique. Toutes les ONG, telles des vautours autour d’un cadavre, viendront se bousculer autour de nos cadavres en putréfaction, qui pour distribuer des bâches, qui pour apporter quelques denrées alimentaires.

Sacré Dieu, quels péchés ont pu commettre nos ancêtres centrafricains pour que l’on nous laisse payer aujourd’hui un si lourd tribut ? On sait aujourd’hui tout ce qui se trame en termes de naturalisation des étrangers pour truquer les élections de 2015. Qu’importe ; les « grands observateurs » viendront témoigner la main sur le cœur que ces élections auraient été libres, démocratiques et transparentes. Si le contribuable occidental savait ce qu’observent ces magnanimes observateurs dont il finance le séjour en Afrique ? Quelle hypocrisie ! Un jour, ceux qui ont gouverné ce monde en 2013 auront à comparaître devant le tribunal implacable de l’Histoire pour non assistance à peuple en danger ; du moins ils auront des compte à rendre à leur conscience, (s’ils en ont une).

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Jérôme Emilien DANSONA

Prêtre en République centrafricaine.

Publié: 01/12/2013