Ce matin-là...

En début de journée, je vais chercher le pain à la boulangerie du quartier. J’y retrouve Evelyne, la vendeuse accueillante, chaleureuse. Pour chaque client un mot gentil, une salutation originale. Le grand sourire sur son visage dit sa joie de la rencontre, de ce travail qu’elle aime beaucoup. Un sourire qui n’a rien de "commercial" pour attirer le client.

Ce matin-là, après le "bonjour" traditionnel, je ne sais plus comment l’échange a démarré... Peut-être le fait de me retrouver seul client pendant quelques minutes a rendu la confidence plus facile. Elle me dit son plaisir de démarrer la journée par une multiplicité de salutations : « Cela me donne du tonus pour toute la journée ! Je supporte difficilement les jérémiades de certains clients qui se plaignent du temps froid. »

Voyant mon étonnement, elle ajoute : « J’aurais bien des raisons moi aussi d’être affligée : suicide de deux frères et "mort annoncée" d’une de mes sœurs que je viens de revoir à l’autre bout de la France ! » Comme chacun de ses clients, elle a son lot de problèmes qui pourraient se voir dans son regard, mais voilà, elle a toujours le visage joyeux, ne laissant pas soupçonner ses peines et ses soucis... Elle ajoute : « J’ai ma recette du bonheur. » Elle part aussitôt chercher son portefeuille et me montre une coupure de journal, toute jaunie depuis plus de trente-cinq ans qu’elle la glisse entre deux cartes : « Je dis tous les jours cette prière que je sais par cœur maintenant : Mon Dieu, donne-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux changer, donne-moi le courage de changer les choses que je peux, et la sagesse d’en connaître la différence. »

Je lui apprends qu’elle est connue comme étant celle des Alcooliques Anonymes. Pour elle, ces invocations lui assurent la sérénité et le regard bienveillant sur tout, particulièrement sur ceux qui, dès le matin, viennent chercher le pain ou quelques viennoiseries. Elle sait qu’elle ne peut changer les choses, que les événements s’imposent à elle : loin d’être une démission, c’est une acceptation au plus profond d’elle-même. Elle reconnaît les difficultés de la vie et autant qu’elle le peut, par son attitude profonde, elle en fait un tremplin pour avancer. Elle donne à voir cette heureuse béatitude : "Bienheureux ceux qui savent distinguer une montagne d’une taupinière : il leur sera épargné bien des tracas." (Joseph Folliet)

Ce matin-là, je repartais avec mon pain, mais surtout avec cette provision de bonheur pour tout le jour. Derrière la banalité du quotidien, il y a parfois des merveilles à découvrir. Encore faut-il en prendre le temps et avoir l’esprit en éveil. La même scène dans un supermarché eût été impensable : la caissière du supermarché aurait eu des remontrances de sa "chef" lui signifiant qu’elle avait dépassé le temps prévu pour chaque client. Avec Évelyne, nous sommes dans l’univers privilégié des commerces de proximité qui facilitent les rencontres, les échanges, les relations humaines.

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Michel AMALRIC

Prêtre du diocèse d’Albi, chargé de la communication.

Publié: 01/09/2011