Selfie ou regard de l’autre ?

Pendant les vacances de Toussaint, des touristes sont revenus dans les rues du centre-ville où ils ont été nombreux cet été. Il peut être bon de porter un regard sur des comportements par rapport à ceux qui déambulent dans les rues. Des phénomènes nouveaux peuvent être révélateurs de mentalités nouvelles concernant les relations humaines.

Sur un trottoir, je remarque des touristes qui cherchent à se repérer avec un plan et le guide touristique. « Je te dis qu’il faut aller à droite » dit la femme. « Non, d’après le plan, il faut aller tout droit » dit son mari. En les voyant embarrassés, je pense tout bas : ce serait si simple de demander à quelqu’un son chemin. Pour moi, faire du tourisme c’est aller à la rencontre des personnes. Une conversation peut s’instaurer. L’utilisation croissante de moyens techniques contemporains comme le smartphone avec GPS, peut priver par là même de la relation à l’autre. N’est-ce pas le signe d’un individualisme grandissant ?

Le selfie est une illustration encore plus frappante de cette mentalité contemporaine. À l’aide d’une perche, quiconque réalise ce que l’on peut appeler un autoportrait photographique. Il se prend lui-même en photo à l’aide de son appareil numérique fixé au bout de la perche. Autrefois, il arrivait qu’un couple vous demande de les prendre en photo avec leur appareil. La pratique du selfie semble se développer. Je l’ai observé au cours de l’été. Certains n’y voient qu’un « narcissisme décomplexé » : plus besoin de glace dans la salle de bain, on peut se regarder n’importe où, n’importe quand. D’autres font remarquer que, grâce aux technologies du type smartphone, en envoyant sur le champ à sa famille ou aux amis la photo prise permet d’attester de sa présence sur un lieu. C’est ainsi que près d’une petite église, perdue dans une vallée du Lot, j’ai été témoin d’une demande. Trois personnes m’ont demandé de les prendre en photo : « Nous l’envoyons aussitôt à Singapour à notre fils ! »

Il est courant de dire que nous nous humanisons par le jeu des relations sociales, et tout particulièrement, sous le regard des autres. Avec sa perche à selfie, le touriste semble satisfait de son regard sur lui-même, entretenant le narcissisme qui nous guette toujours. N’est-ce pas là une impasse que ce refus de l’altérité ou, tout au moins, une indifférence dommageable à l’enrichissement de notre personnalité ? Accueillir le regard de l’autre, surtout quand il se montre bienveillant avec un « regard qui espère », peut aider à retrouver confiance en nous, à échapper pour un temps à une image de soi parfois négative. Fort heureusement les autres nous voient souvent autrement que ce que nous pensons être !

Ne faut-il pas être clairvoyant pour mesurer les enjeux des nouveautés qui peuvent toujours nous séduire. Alors, à nous de choisir son “autoportrait” ou un “regard qui espère” !

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Michel AMALRIC

Prêtre du diocèse d’Albi, chargé de la communication.

Publié: 01/12/2019