La tempête apaisée

Seigneur, j’ai encore une question à Te poser. C’est au sujet de la tempête apaisée. Tu te souviens ?

Tu avais donné l’ordre à tes apôtres de mettre la barque à l’eau pour aller sur l’autre rive du lac de Génésareth. Ça a beau n’être qu’un lac, quand le vent souffle fort, il peut devenir dangereux, et il y a eu des naufrages : ça, tes marins d’apôtres étaient bien placés pour le savoir.
Néanmoins, ils ont obéi, en quelque sorte, ils T’ont fait confiance bien que le soleil se soit couché la veille à l’ouest dans un rougeoiement flamboyant qui n’annonçait rien de bon. Tous ceux qui savent observer le ciel savent ça : la tempête pour le lendemain était certaine.
Tu étais vanné, rompu, Tu t’es laissé tomber à l’arrière dans un profond sommeil.

Pierre a pris le commandement. Ceux qui n’avaient jamais pris une rame devaient se placer à l’avant, ils seraient un peu secoués, un peu mouillés même, mais ils ne gêneraient pas la manœuvre ; les autres au milieu avec mission de souquer ferme.

Naturellement, Thomas s’était insurgé et avait essayé de rester au milieu non pas pour ramer, mais pour être relativement à l’abri, au prétexte que lui était malade chaque fois qu’on montait en barque ; mais Pierre était resté ferme : « A l’avant, à l’avant, et bougez le moins possible. Je vous assure, je crains que cette traversée ne soit pas du gâteau. » Il avait fait mettre les gilets de sauvetage et avait sorti tout ce qui pouvait servir d’écopes.

Et ces prédictions météo pessimistes s’étaient révélées justes ; le vent avait forci, la mer s’était démontée, et bientôt la barque ballottée de droite à gauche, entraînée par les courants imprévisibles, n’était plus gouvernable. Beaucoup d’apôtres étaient malades comme des chiens, mais malades ou pas, ils étaient priés d’écoper à tour de bras ; ça ne suffisait pas, la situation devenait franchement angoissante, on s’enfonçait.

Jean a décidé de Te réveiller : « Seigneur, nous périssons, ça ne Te fait rien ? » Et là, ta question me laisse désarçonnée ! « Pourquoi avez-vous peur, hommes de peu de foi ? »

Mais, Seigneur, qu’est-ce que Tu voulais qu’ils fassent ? Humainement parlant, ils avaient fait tout ce qu’ils pouvaient, ils étaient trempés, fourbus et la catastrophe était en vue. Je T’assure, ça n’était pas le moment de chanter des cantiques, et de se mettre à genoux en prière, il fallait écoper, tenir la barre aussi ferme que possible etc.
Alors qu’est-ce que Tu leur reproches ?

Vrai, Seigneur, je ne vois pas ; et pendant quelques instants, je suis obligée de m’arrêter là, en attendant que l’Esprit venant à mon aide me trouve une suite satisfaisante.

Et d’abord, en y réfléchissant, il me semble percevoir non pas un cri de colère parce qu’on T’a réveillé en sursaut (réaction à laquelle j’avais d’abord pensé parce qu’elle est très humaine) : Tu étais tellement fatigué, Tu avais tellement besoin de repos, non ce cri, ce n’est pas une apostrophe indignée, c’est un cri de souffrance. Ce jour-là, Tes apôtres n’ont même pas un petit pois de foi. Même pas un petit pois ! Pourtant un petit pois ce n’est pas grand chose, et d’après Toi, Seigneur, quand on a ce petit pois de foi, on en a de reste parce que ce n’est pas tous les jours qu’on a besoin de planter un arbre dans la mer ou de déplacer une montagne !
Dure prise de conscience pour Toi, c’est sûr !

Mais nous là-dedans. Comment nous situer ? Tu dis que même quand nous nous sentons gravement menacés, quand l’épreuve s’abat sur nous et qu’à bout de ressources, nous nous tournons vers Dieu notre Père, même quand angoissés, perdus, nous mettons tout notre cœur, toute notre conviction dans un appel au secours, nous n’avons pas la foi.
Ah ! pourtant j’aurais cru que nécessité et angoisse aidant...

Ô Seigneur, augmente en nous la foi, la confiance en Toi, et qui dit confiance dit Amour. Convertis-nous à Ton amour débordant. Nous, nous T’aimons, oui, mais raisonnablement, je dirais sans excès, sans passion, peut-être même avec modération. Alors à côté de Toi, fou d’amour pour nous, je médite ce cri de Ton Fils.

Je peux maintenant l’entendre, le comprendre un peu, l’admettre peut-être.

Mais je T’assure, Seigneur, à la première lecture, ce n’était pas évident.

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/06/2006