Le goût de la foi (2/3)

Initiation chrétienne et catéchèse

II – QU’ENTEND-ON PAR « INITIATION » ?

1. Différents niveaux d’initiation

Nous allons concentrer notre attention sur une transmission d’un ordre un peu plus profond, qui est l’expérience d’initiation.
L’anthropologie repère trois grands niveaux d’initiation :
 les initiations tribales ou initiations à une vie communautaire. On a surtout des renseignements sur les initiations masculines ; les filles ne disent rien de leurs initiations ! Elles ont une discipline de l’arcane, une discipline du secret, beaucoup plus sévère… Leur initiation est beaucoup plus diffuse, autrement dramatique, moins sociale, pour la bonne raison qu’elle touche au mystère de la vie, et donc au mystère du sang, à des choses trop intimes…
 les initiations qu’on dit « chamaniques ». Ce sont des initiations elles aussi très secrètes, mais qui ont une autre finalité : elles introduisent dans un rôle social précis qui est d’être l’intermédiaire humain d’un esprit, d’un esprit de la nature ou des ancêtres.
 les initiations à des confréries, à des sociétés secrètes, souvent attachées à des métiers.
Mais ce qui nous intéresse ici, c’est évidemment l’initiation tribale parce que, d’une certaine façon, elle est la plus complète.

2. L’initiation traditionnelle

Dans les formes que ces initiations prennent il y a des éléments communs, et qui sont souvent des expressions de la culture de la tribu puisque la tribu, d’une certaine façon, se met en scène dans l’initiation. C’est une liturgie identitaire, au sens fort du terme, puisque c’est la transmission de l’identité communautaire elle-même !

Ces éléments sont les suivants :
1) le repérage d’un terrain sacré, qui souvent est une sorte d’icône du cosmos de la tribu
2) la séparation temporelle : il y a un avant et un après l’initiation ; l’avant c’est l’enfant, l’après c’est l’adulte. Et la séparation est nette, drastique
3) un moment de retraite, un moment où on est isolé de la vie ordinaire et où on macère pendant un temps assez long, justement dans l’espace sacré et dans un temps hors du temps : ce n’est pas le temps des activités quotidiennes, profanes, c’est un autre temps, c’est le temps des ancêtres. Et pendant cette retraite, justement, on va vivre comme si on était contemporain des ancêtres, comme si on revivait ce que les ancêtres ont vécu
4) il y a toute une série d’enseignements, de transmission de savoirs, qui font partie de l’initiation et qui assurent la culture commune, le code commun que l’on doit partager au minimum pour être reconnu comme élément intégré à la société des adultes : l’ édification d’un savoir commun ; ça peut être des légendes, ça peut être des traditions historiques, ça peut être des mythes, et c’est principalement des mythes !... les mythes étant, précisément, les récits, non pas légendaires (les légendes sont les récits héroïques), mais les récits de création du monde… Si on va transmettre le goût du monde, le goût de la vie, il faut savoir comment s’y repérer, sur quels rythmes il fonctionne… il faut repérer les fondamentaux du cosmos dans lequel on est
5) des épreuves. Ce qui veut dire qu’on entre dans le monde à un autre niveau ; on y est déjà, mais on y est jusque là comme des consommateurs ; maintenant on va y entrer comme des acteurs. Et c’est tout le problème : c’est comment passer d’un stade ludique, -l’enfance- un stade qui se contente simplement de bénéficier du monde, à un stade où on prend en charge le monde, c’est-à-dire où on devient soi-même, on rejoint soi-même un seuil qualitatif de transmetteur à son tour… transmetteur de légendes, transmetteur de mythes, de transmetteur de vie !... la sexualité, évidemment, va être concernée au premier chef par l’épreuve ! Or, pour ça, il faut justement que l’on prouve (épreuve) que l’on est capable de devenir responsable de ce que l’on reçoit… Donc, il faut manifester une force intérieure, un courage… il faut du courage pour être ancêtre, pour être humain ! On ne peut plus se contenter de consommer les choses, il faut maintenant les produire, et les produire dans un certain sens… ça veut dire qu’il faut se retrousser les manches et mouiller sa chemise !... C’est le sens même de l’épreuve…
6) l’aboutissement de l’épreuve, c’est le sacrifice d’un bout de soi… c’est-à-dire la circoncision… Alors, la circoncision n’a rien d’une épreuve douloureuse ! en tout cas, elle peut se faire sous calmant… La question est de marquer ainsi son appartenance à un monde sacré : la sexualité n’est plus une affaire ludique, elle devient une affaire cosmique, et il faut offrir de soi pour l’exprimer. Ça, c’est fondamental : on doit offrir son être ! tout au moins un petit bout de soi !... et ce « petit bout » est le plus significatif, en l’occurrence ; au moment de la puberté, la circoncision va marquer le seuil de la maturité et l’entrer dans l’exercice de la sexualité.
7) le retour à la vie normale. Après s’être isolé dans un espace et un temps particulier, il faut revenir ! Moment délicat où il faut à la fois marquer sa différence et en même temps se remettre au boulot normal, profane,… ré enclencher le processus de la normalité mais en marquant le seuil qualitatif qu’on a franchi
8) la fête ! le corps social accueille le « nouveau né »… Parce qu’il s’agit véritablement d’une nouvelle naissance. D’ailleurs, certaines initiations vont symboliser dramatiquement que c’est une nouvelle naissance en jouant la mort et en jouant la résurrection. C’est peut-être un des rites les plus émouvants de ces liturgies : c’est le pressentiment que la vie est ce passage de la mort à la vie… et pas de la vie à la mort ! C’est vraiment à l’inverse de nos mentalités existentialistes athées : la vie ne nous mène pas au trou ! Nous sommes sortis d’un trou pour aller à une vie supérieure…

C’est un drame très impressionnant !

3. Un nouveau monde

Donc, l’initiation va être un rite de passage, mais un rite de passage qui n’est pas une simple transition… et qui n’est pas non plus un simple apprentissage… C’est la formation vraiment d’un être neuf, et il n’y a plus de retour en arrière possible. C’est vraiment une nouvelle naissance ! « Le monde ancien s’en est allé, un nouveau monde est déjà né »… on est en acheminement vers un monde nouveau !
Cela se marque à tous les niveaux de l’être initié :
 au niveau biologique : le moment de l’initiation, c’est souvent le moment pubertaire
 la dimension sociologique est évidemment honorée : on entre dans une nouvelle façon d’être en lien avec les nôtres
 une dimension psychologique très importante ; j’en ai moi-même été témoin en Afrique où j’avais pendant un certain temps des gamins devant moi, et après l’initiation, j’avais des adultes !... Il y a donc une espèce de concentration rituelle, l’épreuve aussi, et puis le caractère solennel et en même temps sacré de ce moment que l’être traverse… il fait sa pâque ! et il n’est plus le même
 une dimension cosmique aussi ! C’est-à-dire qu’il n’est pas qu’humain… L’humain, c’est l’entrée dans un monde qui est sensé et devenir responsable de la gestion de ce monde… Ce n’est pas seulement être social, c’est être responsable de la terre, responsable du fleuve, responsable de la savane, responsable des troupeaux, des animaux, des plantes… responsable de l’écosystème dans lequel on est… responsable du cosmos ! parce que le cosmos est la matrice qui prend en relais notre matrice biologique. Donc, c’est le cosmos entier qui devient pour ainsi dire le champ du nouvel être.
On comprend que l’initiation fasse appel nécessairement aux récits d’origine, aux récits de création - au centre même des initiations, il y a le rappel du « comment le monde est né et quelle est la place de l’homme dans ce monde, dans le cosmos ». Le mythe est là comme un récit-clé qui ouvre les différents niveaux d’existence ; les différentes portes de l’existence par où on entre dans le sens sont ouvertes par le mythe.
Alors, bien sûr, le corollaire de ça, c’est la discipline de l’arcane : on ne peut pas divulguer l’initiation. Pourquoi ?... Tout simplement parce qu’on ne jette pas les perles aux pourceaux !... C’est quoi les perles ?... C’est justement le trésor de sens, par où on comprend le monde entier !...
Comment voulez-vous parler de la mort et de la résurrection de Jésus à quelqu’un qui est incapable d’entendre ça parce que sa situation ne lui permet pas de partager un minimum ?!... Vous allez me dire « alors, il faut être converti pour être initié »… d’une certaine façon, oui !... Donc, il y a un préalable à l’initiation : c’est la première annonce, c’est l’amorce, c’est la transmission de la culture chrétienne, c’est la relation d’ami à ami qui parle d’un bonheur à transmettre, c’est… l’évangélisation ! Or « évangélisation », qu’est-ce que ça veut dire ?... « transmission d’un bonheur » !... « d’une Bonne Nouvelle » !... Alors, si cette transmission d’une Bonne Nouvelle n’est pas partagée par la personne initiée, elle va arriver dans le mythe comme une espèce de goujat, avec ses gros sabots !...
Elle va réduire le mythe à n’être simplement qu’une belle histoire parmi d’autres, qu’un délire supplémentaire, qu’un objet muséal patrimonial qu’une opinion chrétienne dont on se fiche !... Le minimum que l’on puisse assurer, c’est que ceux qui se font initier soient dans le coup ! Et prennent les précautions nécessaires quand ils retournent dans le monde pour ne parler des choses importantes qu’à ceux qui peuvent les entendre… « Que celui qui a des oreilles pour entendre entende »…
Et, dans les sociétés primitives (attention, dans l’initiation chrétienne on sera plus nuancé !...), l’exclusion entre initiés et non initiés est radicale ! il y a une porte étanche qui sépare ceux qui sont initiés de ceux qui ne le sont pas… Bien sûr, elle est dramatiquement ritualisée… la preuve, c’est qu’on peut raconter les mythes et les rites initiatiques, c’est donc qu’il y a eu des fuites ! on en a causé quand même !... Mais, justement, -et c’est tout le problème des ethnologues et des anthropologues, ou des missionnaires qui vont sur place-, il faut vraiment qu’ils montrent patte blanche, qu’ils se fassent adopter par la communauté, qu’ils rentrent, non seulement dans la culture, mais dans la mystique de l’écosystème de la tribu pour en arriver à comprendre de l’intérieur les légendes, les mythes, les rites, etc. voir comment tout cela a une cohérence intime… Sinon, on arrive là-dedans et on fait du colonialisme, on impose et on transpose nos propres images dans l’imaginaire de l’autre !... Catastrophique !... Il faut faire l’expérience pour pouvoir comprendre… Être entré dans le cosmos pour pouvoir, non seulement voir comment il fonctionne, mais comment nous pouvons en devenir les responsables spirituels…
Vous allez me dire « mais, c’est une pétition de principe », en ce sens qu’il faut avoir vécu pour pouvoir comprendre ce qu’on vit !... Mais, l’expérience de l’amour n’est-elle pas de ce type ?... Si on est accessible à l’amour, c’est que, d’une certaine façon, on a fait quand même une petite expérience amoureuse qui nous a ouvert au langage de l’amour… sinon vous arrivez dans le langage de l’amour avec vos gros sabots de vieux garçon ! Vous n’y comprenez rien, et vous rigolez du langage des amoureux… Donc, il y a une expérience qui précède l’explication qu’on va en donner, ou la liturgie qu’on va célébrer… Et dans la mesure où on est entré, et dans la mesure où on s’est laissé faire par l’initiation, on sort autre ! On n’est plus pareil !... L’amoureux, il n’est plus pareil par rapport à ses copains vieux garçons qui font toujours la fête avec toutes les filles qu’ils rencontrent !... Mais ce n’est pas qu’il devient tristounet parce qu’il est amoureux : c’est que lui, sa fête est ailleurs !... Et ça veut dire qu’il y a une qualité de fête, qui est sans doute analogue, mais qui n’est vraiment pas pareille parce que la personne a changé !...
C’est dire que l’initiation est le don d’une identité nouvelle ! L’initiation produit un « neophytos », un « re-né », un être tout neuf. Et non seulement l’initié n’est plus pareil, mais l’initiateur lui-même est changé par le rite : l’action de vivre ensemble la transmission d’un savoir être nous redit le monde de manière mystique, spirituelle, nous recentre sur l’essentiel d’une création spirituelle de ce monde-là,… de se redire ça en le transmettant change l’initiateur lui-même. C’est donc une véritable « remise au monde », être mis au monde une deuxième fois… c’est vraiment ça l’intentionnalité de cette expérience humaine.
Qui peut dire le sens, sinon celui qui a goûté au sens ?... Ce que nous disions tout à l’heure du vin, maintenant il faut que nous le disions plus profondément du sens, du sens de la vie… Le goût du bonheur n’est pas inné ! Il n’est pas naturel ! Il n’est pas simplement le prolongement du biologique !... Et le sens nous est révélé ! Il y a un caractère révélé de ce sens… La liturgie est là pour le dire justement. On ne suce pas le sens de son pouce !... Et d’ailleurs, il y a souvent des rituels : dans les initiations, il faut bien que les gamins soient nourris et on leur pré-mâche la nourriture… pour nous, ça nous paraît étrange ! Mais ça veut dire que les choses les plus intimes, il faut qu’elles soient pré-mâchées par la génération précédente pour pouvoir être digérables… Intéressant !... D’eux-mêmes, les enfants n’ont pas de goût… il faut apprendre à recevoir le sens de quelque chose qui ne vient pas de nous. Donc, les vieux, les ancêtres, connaissent le monde des esprits, connaissent le monde des ancêtres, connaissent où va le monde et les forces qui le traversent, et par cette culture, qu’ils ont eux-mêmes reçue, bien évidemment, ils ont été initiés pour être initiateurs,… cette révélation qui vient du Vieux qui est Dieu, du Père, eh bien cette révélation-là va permettre au sens de traverser !...
C’est vraiment une mystique que ces sociétés primitives développent ! Pour elles, l’humain n’est plus l’animal. L’animal vit selon l’instinct, selon la nature de son espèce, il est pris en charge par quelque chose qui le préfigure, il est confortablement installé dans son espèce et il n’en sort pas. L’homme est dénaturé, il est projeté hors de son espèce, vers le don d’un sens qui lui vient d’ailleurs, vers une transcendance… il n’est pas seulement descendant, il est transcendant… Il est le résultat d’une révélation de sens qui vient de très, très loin et que les générations précédentes lui transmettent. Donc, à chaque génération, il faut opérer cette transmutation de l’animal en « au-delà de l’animal ». C’est pour ça que dans ces sociétés, les enfants n’ont pas de statut religieux, ils ne sont pas mûrs… (Et on peut apprécier, justement, le pari que fait Jésus quand il dit « Laissez venir à moi les petits enfants » ! C’est vraiment un coup prophétique complètement fou !... çà, c’est le pari de Dieu : que les enfants eux aussi puissent être « re-nés », néophytes, sans forcément avoir les mots pour dire ce qui leur arrive… mais n’anticipons pas !...Donc l’intégration de l’initiation chrétienne des enfants eux-mêmes dit quelque chose de la spécificité chrétienne de l’initiation).
Mais, pour les sociétés primitives, si on veut révéler la transcendance à l’origine du sens du monde, du don du sens du monde, il faut vraiment quitter l’animalité de l’enfance. On n’est pas simplement le fils d’untel, on reçoit un nom nouveau… on reçoit une fonction cosmique, biologique, sociale, mystique, complètement neuve. Et d’ailleurs, ça se marque souvent par les scarifications, ces sortes de cicatrices qu’on imprime sur la joue ou sur le corps, de manière à ce qu’on se souvienne du nouveau nom… c’est « le code barre » imprimé sur l’être qui dit qu’il est initié, plus pareil…
Donc, l’initiation dit beaucoup plus qu’un rite de passage, un rite sociologique ; c’est plus qu’un drame psychologique, c’est un drame mystique !... Méfions-nous nous aussi quand nous disons « initiation = entrée dans l’Eglise » !... pas seulement !... il y a de ça… il y a une « entrée dans une appartenance sociale nouvelle, dans une nouvelle famille… » mais, attention, plus profond que ça, il y a le changement d’être !... « enfant de Dieu » et plus seulement « enfant de Monsieur et Madame Untel » !... Donc, s’il y a une entrée dans une appartenance nouvelle à un nouveau réseau, ce réseau doit être pris dans son caractère global, total… c’est un réseau spirituel. L’initiation fait passer, transforme celui qui passe dans un monde nouveau ! Elle transforme l’être mais pour une régénération totale en vue d’un monde qui est complètement autre que celui qu’il a vécu jusqu’alors…
Attention, c’est le même monde ! il va retrouver l’arbre, il va retrouver le marigot, il va retrouver la case, il va retrouver sa mère, son père… mais… il ne va plus voir les choses de la même manière ! Il va les voir à un nouveau niveau d’interprétation qui lui vient de cette filiation spirituelle de surcroît… Il est ré-engendré, re-né…
Mais ça n’est pas encore l’initiation chrétienne !… C’est le lot courant de toutes les initiations primitives ! Or nous ne sommes plus dans ces sociétés primitives… et c’est pour ça qu’il faut en même temps mesurer l’écart et en même temps mesurer l’analogie…

4. Initiations modernes ?

Nos sociétés sont, certes, complexes, et leur processus d’initiation est étalé : étalé dans le temps et étalé dans l’espace social. Les transitions à l’âge adulte se font lentement. Elles ne se font pas aussi dramatiquement et de manière ramassée que dans les civilisations primitives. On met énormément de temps à sortir de l’enfance… et même à sortir de chez ses parents !... C’est un signe ! dans une civilisation où il fallait survivre dans le cosmos et où il fallait tout de suite ramasser l’initiation dans un moment qui résumait tous les enjeux, du biologique au mystique, les passages étaient rapides, courts, et se situaient au moment de la puberté. Or, les enjeux, chez nous, sont morcelés dans un lent protocole : enjeu de scolarité, enjeu d’apprentissage, enjeu de consommation, enjeu de vie familiale (qui n’est plus seulement « faire des enfants » mais qui est « se mettre ensemble »), enjeu d’accès au métier… et tout ça met beaucoup de temps… Maintenant, même la mort est différée !... Et la maladie ne signifie plus forcément la mort… les médecins s’échinent à nous prolonger ! Et c’est merveilleux !... Mais ça veut dire que l’initiation, le grand rite de passage initiatique qu’est la mort, est différé… maintenant on commence à vivre à 50 ans !... Nouvelle vie, comme on dit ! Nouveau cosmos !... On est même prêt à inventer des mini-cosmos qui nous préservent de l’agacement au bruit des pétrolettes qui passent, des bandes de jeunes qui squattent… et on se fait des petits ghettos de vieux, bien paisibles, avec même des enceintes autour, pour se dire « mon cosmos est reconstitué ! »… Et puis on s’initie au sport, on joue à la belote, on fait des voyages… Oui !... Pourquoi pas… je ne dis pas que c’est mal !... Mais prenez le petit qui sort à un moment « t » du ventre de sa mère, et parcourez tout son périple jusque dans le troisième, voire quatrième âge, vous vous dites alors : « Mais, l’initiation, où est-ce qu’elle se situe ?... »
On assiste à un allongement des transitions. Et la catéchèse initiatique, il faut qu’elle s’allonge d’autant aussi ! Parce que les situations sont extrêmement diversifiées, les requêtes de sens sont extrêmement variées… De plus les populations ne relèvent plus d’un même mode de vie… L’initiation dans une civilisation rurale du XIXème siècle se faisait relativement vite, et ce à quoi il fallait initier était clair… Maintenant, dès le collège les jeunes quittent le rural et s’en vont vers les villes moyennes, et puis dès la fin du lycée, ils s’en vont à la métropole, et puis après, ils s’en vont n’importe où pour trouver du travail !... Alors, où l’initiation peut-elle se vivre ?...(On les récupère quand ils viennent frapper à la porte !... On ne peut plus aller là où ils sont : où est-ce qu’ils sont donc ?!... Vous allez visiter quelqu’un dans le quartier un 1er novembre ; le 2 février il déménage déjà, et à l’autre bout de la France !... Et il avait entamé une catéchèse catéchuménale !... Alors, comment fait-on ?...)
L’espace, le temps… et le cosmos chrétien, c’est quoi ? Ça n’est plus le clocher rural, évidemment ! Et ce n’est pas forcément non plus la paroisse centrale de la ville… ou du moins dans la paroisse centrale de la ville, là où il y a encore du monde qui afflue pour les messes, à périodicité d’un an, voire quelquefois moins, l’assemblée chrétienne est mouvante !... Et comment voulez-vous parler de la communauté chrétienne accueillant les catéchumènes ?... Le groupe d’accompagnement ?... il commence à 10 personnes et il se termine à 3 parce que les autres sont partis travailler ailleurs !... Dois-je rentrer ainsi dans le concret de la pastorale ? Alors ? Est-ce la faute de l’Eglise ?... Certainement pas !... Est-ce la faute d’un monde qui mute, d’un cosmos qui mute ? …Mais il n’y a pas de faute là dedans.

Et l’initiation ?… Qui initie à l’histoire, à l’intelligence de l’histoire ?... L’école ?... oui… mais autant Internet !... Qui initie à la sexualité ?... Certainement plus la famille !... Qui initie à la culture, c’est-à-dire au goût de la musique, au goût du sport, au goût du jeu ensemble ?... Où est le jeu qui initie à la société, quand la sollicitation est tellement forte de se retrouver tout seul en face d’une console de jeux !...
Et donc, l’initiation devient partagée avec d’autres facteurs, avec d’autres initiateurs que les simples promotions de vieux prenant en charge l’initiation d’une promotion de jeunes ! Cette forme n’est plus possible… Et cependant, on n’a jamais ressenti autant de désir profond de se rattacher à des racines historiques !... L’importance majeure que l’on donne aux célébrations des grands événements fondateurs… L’importance, imaginaire, mais quand même ! Des figures de héros… y compris même d’ailleurs des héros chrétiens ! Un abbé Pierre, une sœur Emmanuelle… ou des héros complètement virtuels ! Harry Potter, le Seigneur des Anneaux… toute cette héroïcisation qui risque de nous détacher insidieusement de la réalité !... Mais, néanmoins, c’est une réalité ! Néanmoins nos mégapoles sont une réalité ! Néanmoins les centres de consommation en dehors de nos villes sont une réalité !... Et tous ces espaces nous initient insidieusement !
La question devient alors : quel est ce cosmos nouveau qui nous fait être ? Auquel nous sommes initiés !... Sans doute moins dramatiquement ; sans doute les espaces ont-ils éclaté, implosé !... Mais la pluralité des passages ne doit pas nous masquer la dynamique d’ensemble où le jeune est sommé de devenir jeune consommateur, où l’adulte est sommé d’être consommateur d’immobilier, de locations, d’assurances, de bagnoles, etc., où le vieux est sommé de faire attention à sa santé, de soigner son look, de prévoir ses obsèques… Quel est ce cosmos ?... Attention, je ne porte pas de jugement négatif ! C’est un fait !...
Or ces questions pèsent énormément dans notre manière chrétienne d’initier. Et tous les efforts que nous faisons pour agencer de manière plus intergénérationnelle, plus coresponsable, plus paroissiale, la catéchèse, le catéchuménat, etc doivent être faits ; mais il faut en même temps mener une enquête beaucoup plus radicale sur ce que dénote l’ambiguïté des demandes religieuses ? la multiplication des demandes individualisées ? la résistance des demandes de rituels, familiaux, localisés ? le lien subtil, délicat, qu’il y a entre la demande de rattachement à une mémoire collective, à une histoire en commun et sa raison : quelle histoire avons-nous en commun ? Pourquoi viennent-ils frapper à la porte de nos églises en demandant ça ?... Derrière la question de la demande de culture chrétienne, peut-être qu’il y a ça, peut-être qu’il y a cette requête de racines judéo-chrétiennes dans notre manière de vivre aujourd’hui… Et l’autre grande question, c’est l’impréparation de nos communautés pour gérer le paquet de ces problèmes qui leur tombent dessus !... Attention, il n’y a aucun reproche dans ce que je dis… simplement, je constate qu’on n’est pas prêts, qu’on a peu de moyens pour affronter ces questions-là… Ça veut dire qu’il faut se mettre au travail !... Si nous avons dans le cœur un bonheur à initier, à transmettre le bonheur de croire, il faut que nous tenions compte aussi du terrain auquel nous allons le proposer… C’est un sacré pari ! Parce que nous voyons un terrain qui monte en puissance païenne de consommation, avec ses crises ! C’est évident que c’est un colosse aux pieds d’argile, mais ce n’est pas parce qu’un colosse va s’effondrer qu’il ne va pas y en avoir immédiatement un autre qui va s’édifier !!! Le paganisme a des ressources fantastiques !... Certes, Dieu aussi !... Seulement, Lui, il a Sa manière d’initier et nous en sommes les héritiers ! Nous sommes les héritiers de prophètes qui voient le monde s’édifier autour d’eux, autour d’Israël, et qui voient les tentations qu’Israël a de se conformer à ce qui monte… et qui voient l’impréparation totale des communautés pour répondre à ces questions du cosmos initiatique : « A quoi on initie nos enfants ?... » Quand les prophètes Ezéchiel, Jérémie ou Isaïe se posaient cette question-là, qu’est-ce qu’ils avaient devant eux ? Des populations qui allaient être rayées de la carte et bientôt ne plus exister !... Des paroisses complètement ruinées parce que dispersées aux quatre coins du monde !... C’est ça la réalité pastorale d’Isaïe, ou de Jérémie, ou d’Ezéchiel !... Donc, pas de panique !... Bien sûr, l’épreuve est là ! Mais l’épreuve nous ramène aux fondamentaux ! L’épreuve nous ramène à cette question : « Qu’est-ce qui t’a été révélé comme nouveau monde, comme nouvel être… Qui es-tu ?... Quel est ton nom ? Quel est ton code barre qui t’a marqué la joue ?... Dans quoi tu as été trempé ?... Dans quelle initiation tu as reçu ton être nouveau ?... De quoi es-tu redevable dans ta vie, de quel bonheur vis-tu ?... » Ce sont toutes ces questions qui sont à mettre au menu de tout partage entre chrétiens responsables de l’initiation !

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Jean-Marie BEAURENT

Prêtre du diocèse de Cambrai, directeur de l’Institut international foi art et catéchèse (†2009).

Publié: 01/06/2015