26e dim. ordinaire (1/10) : Pistes pour l’homélie

Piste 1

Mathieu est le seul évangéliste à nous raconter cette parabole des 2 fils. En effet son évangile est écrit vers les années 70-80 alors que la scission juifs-chrétiens est consommée. Cette parabole, il l’adresse donc particulièrement à ces Juifs pieux qui méprisent les chrétiens qui ne vont plus à la synagogue mais vivent davantage la charité.
Aujourd’hui, cette parabole est naturellement adressée à chacun de nous. Le message est clair, mais peut-être pouvons-nous encore l’approfondir. Pour cela regardons d’un peu plus près nos deux garnements et surtout leur réaction bien différente à l’égard de leur père.
Le 1er répond : « Je ne veux pas » tandis que le second dit : « Oui, Seigneur. » Pour l’un comme pour l’autre la réponse est directe, ils ne réfléchissent pas, c’est spontané. Autrement dit leur réponse exprime très bien leur personnalité.
Le 1er dit : « Je », « je ne veux pas ». Voilà un enfant qui veut affirmer sa personnalité. Peut-être passe-t-il sa crise d’adolescence ! Mais un peu après avoir réfléchi, il prend conscience que la vigne, il en est l’héritier et donc déjà un peu propriétaire, c’est quelque part un peu « sa » vigne. Il va donc de son intérêt d’y aller… et ainsi il change d’avis.
Regardons maintenant la réaction du 2e fils. En répondant « Oui, Seigneur », il montre qu’il n’a pas beaucoup de personnalité, il s’écrase devant son père comme un esclave devant son maître ou simplement il veut donner à son père l’image d’un enfant soumis. On l’imagine même faire une révérence et s’incliner « oui maître » alors qu’il se dit en lui-même « qu’il aille à la gare ! ».
L’évangile de dimanche dernier « les ouvriers de la dernière heure » montrait combien nous étions appelés par Dieu pour aller travailler à la vigne. Qu’allons-nous répondre ? Ou plutôt qu’allons-nous faire ? Car ce que nous allons répondre a peu d’importance, l’essentiel c’est « ce que nous allons faire ».
Remarquez encore qu’en appelant ses fils, le père ne dit pas « allez bêcher ou émonder ou vendanger… » Mais « allez travailler ». Autrement dit c’est à eux de voir ce qu’il y a à faire, ils sont assez grands. Il n’y a rien de pire lorsqu’on engage un travailleur, que d’embaucher quelqu’un qui ne voit pas ce qu’il y a à faire, où il faut toujours être là pour lui dire « fais ceci, fais cela… »
La 1re qualité de celui qui travaille est de voir ce qu’il y a à faire, ce qu’il peut faire, comment se rendre utile. Et s’il y a des choses qu’il est incapable de faire, il peut toujours apprendre, essayer, montrer un peu de bonne volonté, bref avoir un peu d’initiative.
Oui, tous nous sommes appelés à la vigne, il y a du travail pour tout le monde. Même si je n’ai pas la santé, je suis vieux, il y a toujours moyen de rendre une petite visite à plus handicapé que moi, par téléphone même, si je n’ai pas d’autres possibilités. Il y a toujours moyen de donner un peu de notre temps pour venir en aide, dépanner, rendre un service social ou autre, faire un peu d’animation… Ne disons pas trop facilement « Je n’ai pas le temps, je ne suis bon à rien… » Commençons par ouvrir les yeux, de notre visage comme ceux de notre cœur et nous verrons qu’il y a toujours une place pour nous travailler à la vigne du monde.

Piste 2

Vous savez comme moi que les petits enfants passent habituellement par ce que l’on appelle la phase du « non », c’est-à-dire que chaque fois qu’on leur demande quelque chose, c’est toujours « non ». On dirait qu’ils ne savent dire que ça.
Cette phase du non est nécessaire parce qu’elle permet au petit enfant de se poser en sujet par rapport à ses parents. Cette opposition lui permet de se distinguer, de marquer son identité.
C’est un peu le sens de la parabole d’aujourd’hui : « Un homme avait 2 fils » dit l’Evangile. Nous connaissons une autre parabole qui commence ainsi : la parabole de l’enfant prodigue.
« Un homme avait 2 fils. » L’expression n’est cependant pas tout à fait correcte. Il y a une petite nuance dans la traduction. L’évangile original en grec utilise le mot « TEKNON » qui ne signifie pas « fils » mais « petits » comme lorsqu’on parle d’animaux, on parle de leurs petits. Nous pourrions donc dire ici « un homme avait 2 petits » ou en langage actuel « 2 rejetons ».
Cela peut paraître un détail mais il est important pour comprendre l’évolution de l’histoire car, comme dans la parabole de l’enfant prodigue, à la fin du récit il ne sera plus question d’un homme et de ses 2 rejetons mais d’un père et de son fils.

Ainsi donc cet homme donne ses ordres.
Aujourd’hui dit-il au premier : « Va travailler à ma vigne. » On sent de suite qu’il s’agit d’un ordre, c’est-à-dire d’une relation de maître à serviteur. La réponse est directe : « Je ne veux pas. »
Nous pouvons sentir dans cette réponse non pas d’abord un refus de travailler, mais surtout le refus d’être considéré comme un serviteur, un esclave : « JE ne veux pas. » Il marque bien sa personnalité.
Tandis que le second répond : « Oui, Seigneur. »
Remarquez qu’ici dans la réponse il n’y a même plus de « je », ni même de verbe, c’est la réponse du domestique qui s’écrase, il est soumis, sans initiative, sans personnalité, sans identité devant son Seigneur.

Regardons maintenant la suite : si le second a répondu « oui », il n’agit pas. Tandis que le premier après avoir par son refus marqué son identité, c’est-à-dire après avoir pu se distinguer, mettre une distance entre lui et cet homme dont il est l’enfant, après avoir pu se prouver qu’il était capable de dire « Je », se met à réfléchir et se rend compte que finalement la vigne c’est aussi SA vigne et qu’il a tout intérêt à ce qu’elle produise du raisin.
Il décide donc d’aller travailler à la vigne. Mais cette décision, il l’a prise lui-même et non dans une obéissance servile. Il y va librement.
En allant à la vigne, dit l’Evangile, il accomplit le désir, le souhait, la volonté de son père mais cette volonté correspond maintenant à la sienne.
Remarquez encore que ce n’est qu’à ce moment précis que l’Evangéliste parle de « Père ». Il n’y a donc plus à ce moment un homme et un enfant mais il y a un père et un fils. Le rejeton est devenu fils parce qu’il a refusé la relation de maître à esclave, il n’a pas voulu n’être que l’exécutant d’un ordre, il devient fils parce que son projet coïncide avec celui du père. Une relation de personne à personne est devenue possible.

Voici une signification, une conclusion importante de l’Evangile, non pas seulement de ce passage mais de l’ensemble de l’Evangile. Dieu veut devant lui non pas des esclaves à genoux mais des fils debout qui savent dire « je », des fils qui en s’affirmant « autres », différents de lui, deviennent capables de s’associer librement à son désir, des fils capables de dire désormais « que ta volonté soit faite, puisque vraiment elle coïncide avec MON désir le plus profond ».

Est-il utopique d’imaginer que lorsque dans le « Notre Père » nous disons : « Que ta volonté soit faite », le Père réponde : « Merci mais je veux aussi que TA volonté soit faite. »

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Georges LAMOTTE

Prêtre du diocèse de Namur, † 2017.

(re)publié: 01/09/2023