18e dim. ordinaire (4/8) : Commentaire

Jésus se propose et se donne à nous pendant cette messe comme pain de la vie, comme nourriture "autre" (évangile), une nourriture signifiée par le récit de la manne au désert (première lecture). Il nous faut donc un appétit "autre" que celui de nos convoitises douteuses ou même de nos désirs légitimes de réussite, de bonheur terrestre. Ce qui suppose un esprit renouvelé, une conduite "autre" (deuxième lecture).

Première lecture : Ex 16,2-4.12-15

Israël est dans le désert. Après l’enthousiasme du passage de la mer Rouge, voici fatigue, découragement, doute. Ils récriminent contre leurs chefs, Moïse et Aaron : Ah ! plutôt captifs en Egypte, mais le ventre plein, assis près des marmites de viande que sortir dans ce désert, dans la liberté et ses risques. Rien de neuf sous le soleil, et beaucoup préfèrent encore aujourd’hui les marmites du confort au beau risque de la liberté rude et nue.

Dieu répond avec une intervention qui peut, à la rigueur, être expliquée de la façon la plus naturelle : un vol migrateur de cailles recouvrit le camp. Ces bêtes épuisées se laissent facilement capturer. Le lendemain matin, une sécrétion blanche et sirupeuse, durcie en grains gros comme des petits pois, était sur le sol, fine, comme du givre. Les bédouins l’appellent encore aujourd’hui mann, pain. Mais les Israélites virent, avec raison, dans ce phénomène inattendu, le doigt de Dieu. Leur esprit surnaturel sut l’interpréter : Vous reconnaîtrez alors que moi, le Seigneur, je suis votre Dieu. Ce pain inespéré est un signe que Dieu ne les abandonnera pas : c’est le pain que le Seigneur nous donne. L’homme de foi sait voir le doigt de Dieu là où d’autres ne voient que physique et chimie. C’est une question de lunettes.

Jésus lui-même, dans l’évangile de ce jour, considère la manne comme une préfiguration du pain de vie qu’il est lui-même. Mais les dissemblances sont plus grandes que les ressemblances : "Vos pères ont mangé la manne et sont morts quand même... le pain que je vous donne est pour la vie éternelle."

Psaume : Ps 77

Rends grâce, Eglise, nouveau peuple de Dieu en route vers la terre promise ! Redis aux générations à venir les titres de gloire du Seigneur, comment il nous a comblés !

Il nous nourrit de la manne nouvelle, de la sainte Parole et du Corps du Christ, froment du ciel. Pain des Forts, pour être fort dans la foi et ne pas récriminer (première lecture).

Oui, rendons grâce, car le Seigneur conduit son peuple. Il le fait entrer dès aujourd’hui, dans son domaine sacré, nous fait communier à sa propre vie, en attendant de nous faire entrer dans le domaine de sa gloire.

Deuxième lecture : Ep 4,17.20-24

Vers la fin de sa lettre, Paul descend des hauteurs de la mystique dans le pratique.

J’affirme. Avec force. Et ce n’est pas une petite opinion personnelle, j’affirme au nom du Seigneur que vous ne devez plus - nous sommes loin du facultatif - vous conduire comme les païens. Ceux-ci se laissent guider par le néant de leur pensée : leur façon de voir les choses est vide de Dieu, creuse ; elle conduit au néant.

Nous baignons, comme les chrétiens d’alors, dans un monde largement paganisé et, sans nous en rendre compte, nous en sommes plus ou moins contaminés, exposés à nous conduire comme lui. Mais ce n’est pas cela qu’on nous a appris : Si c’est bien le Christ qu’on vous a annoncé et enseigné - ce qui est évidemment autre chose qu’une mince couche de catéchisme ou de traditions familiales - si vous avez reçu le Christ, alors vous expérimentez, par contraste, la différence entre l’homme ancien qui est encore tenace en vous, et l’homme nouveau. L’image était alors connue, elle semble faire allusion aux rites du baptême où le catéchumène quittait son vêtement ancien, plongeait dans l’eau et remontait pour revêtir un habit neuf, signe du changement. Cet homme nouveau, c’est, profondément, le Christ lui-même en qui nous devenons neufs (Ep 2,15).

L’homme avait été créé à l’image de Dieu, mais cette image, il l’avait défigurée. Le Christ nous a recréés à neuf, créés saints, au sens de : mis à part et appartenant à Dieu. Cela suppose un comportement "à part", que l’on se distancie de Monsieur tout le monde.

Un peu de fierté ! Sais-tu que tu es à l’image de Dieu, saint, nouveau, différent ? Vis en conséquence !

Evangile : Jn 6,24-35

Jésus s’est retiré de la foule parce qu’il veut se distancier d’elle et de ses fausses espérances (voir le dimanche précédent). Mais la foule n’en démord pas, elle le recherche et le trouve à Capharnaüm ; c’est là, dans la synagogue, que Jésus va prononcer son grand discours sur le pain de vie. Jean l’a reconstitué, en lui donnant la forme d’un dialogue à base de quiproquos et de malentendus - à la manière de la conversation de Jésus avec la Samaritaine (Jn 4,5-29).

Quand es-tu arrivé ? Jésus ne répond pas à cette question superficielle de la foule, mais à ce qui la pousse à le rechercher : vous me cherchez mal, vous me cherchez parce que vous avez été rassasiés, et vous espérez que je vais établir un royaume temporel, prospère. Or, ce rassasiement d’hier était le signe d’une nourriture spirituelle qui se garde pour la vie éternelle. Voilà ce que vous devriez chercher ! Vous voulez faire de moi un roi temporel qui vous comblerait de nourritures terrestres, mais le Fils de l’homme (personnage de Daniel qui, à la fin des temps, devait relever Israël) vient pour vous donner une autre nourriture. Jésus ne se dit pas encore expressément ce Fils de l’homme, bien qu’il en prépare l’affirmation inouïe : ne s’est il pas déjà dit le Fils du Père (Jn 5,19-27) ? Voici que le Père a marqué ce Fils de l’homme de son empreinte, littéralement : de son sceau, le sceau de l’Esprit, l’onction messianique par excellence. Et ceci dès l’incarnation, puis à son baptême. Mais cette empreinte ne deviendra manifeste qu’à la résurrection (Jn 17,1 ;7,39).

Le dialogue à quiproquos continue. Travaillez pour la nourriture éternelle, vient de dire Jésus. Que faut-il faire, demandent-ils alors, pour travailler à ces œuvres de Dieu ? Ils pensent lutte contre les Romains, aménagements matériels. Jésus répond : Il s’agit moins de faire que de vous laisser faire par Dieu, de vous ouvrir à lui : que vous croyiez en celui que Dieu a envoyé.

Cette fois-ci, ils semblent comprendre que Jésus se dit le Messie. Mais l’affirmation leur paraît un peu gratuite : Donne tes preuves : que vas-tu faire comme œuvre qui nous convaincra et que l’on puisse voir ? Alors nous pourrons te croire. Tu ne vas tout de même pas te poser en ce nouveau Moïse que nous attendons, et refaire le miracle de la manne au désert ! Jésus relève le gant : C’est exactement cela. Et mieux ! Et Jésus d’employer le Amen, Amen des affirmations solennelles. Puis, à la manière rabbinique de retourner un texte pour le faire sonner en son sens plénier, Jésus dit : Vous lisez fort mal ce passage de la vie de Moïse ; le vrai sens est celui-ci :
Ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel, c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel. Le vrai par opposition à la manne qui n’en était que la préfiguration. Et ce pain n’est pas quelque chose, il est quelqu’un, c’est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde.

Jésus a-t-il parlé assez clairement, s’est-il assez dévoilé ? Les malentendus n’en finissent pas. Ils pensent toujours à du pain matériel : Donne-nous de ce pain-là, toujours. Alors Jésus parle on ne peut plus ouvertement : Je suis le pain de la vie. Il faut donner à ce Je suis toute sa force. Ce Je suis rappelle celui du buisson ardent (Ex 3,14). Fil rouge qui traverse tout saint Jean et qui est comme son Credo : Jésus est le Je suis qui se donne comme pain de vie, lumière, eau vive...

Celui qui m’accepte, qui me reçoit, qui croit en moi, il n’aura plus jamais faim. L’homme, tant qu’il n’a pas trouvé Jésus, gardera au cœur une faim insatiable. Jésus seul comble cette faim.

Mais pour cela il faut renverser les approches. Vous qui voulez d’abord voir, puis croire, croyez d’abord et vous verrez - expérimentalement ! Déjà se prépare le développement de dimanche prochain sur la foi. Bien que l’image du pain suggère l’eucharistie, il n’en est pas encore question ; celle-ci n’est "mangeable" que si on accepte d’abord le Christ dans la foi.

Quand donc en finirons-nous avec les malentendus où nous demandons le pain à notre goût, le pain de nos réussites toujours fragiles et finalement décevantes - alors que Dieu veut nous donner le pain qui correspond à notre faim profonde : Lui-même !

Une faute d'orthographe, une erreur, un problème ?   
 
René LUDMANN c.ss.r.

Prêtre du diocèse de Luxembourg.

Publié: 04/07/2024