15e dim. ordinaire (13/7) : Commentaire

Sous prétexte que Dieu doit être premier servi, irions-nous à la messe en oubliant d’aimer et d’aider, comme le prêtre et le lévite avaient oublié l’homme dans le fossé (évangile) ? Ne cherchons pas Dieu trop loin, il est à portée de prochain (première lecture). Et si le Christ est le centre de tout, c’est bien pour abattre les murs entre les hommes, pour tout réconcilier (deuxième lecture).

Première lecture : Dt 30,10-14

Les premiers mots : Écoute la voix du Seigneur ton Dieu, en observant ses ordres et ses commandements inscrits dans ce livre de la Loi... reviens au Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme - sont un excellent résumé de ce qu’est le Deutéronome : une longue méditation sur l’Alliance, la théologie la plus élaborée de l’Ancien Testament. Les expressions : ordre, commandement, et surtout Loi y dépassent le juridique, et se traduisent excellemment par le mot final, la parole, la révélation de Dieu. Une révélation qui nous provoque au changement de vie : reviens au Seigneur, par la conversion du cœur et de l’âme.

Le passage a été choisi à cause de sa parenté avec la question du docteur de la Loi, dans l’évangile du jour : "Maître, que dois-je faire ?" Question à laquelle notre texte répond par : "observe... la Loi."

Mais ce n’est qu’à la lumière de la foi chrétienne que nous comprenons bien ces versets. Cette Parole, c’est Jésus, la Parole vivante de Dieu, le Verbe fait chair. Tu n’as pas besoin d’aller loin aux cieux, ou au delà des mers par des recherches compliquées. Descends au fond de toi-même, Christ est tout près de toi, mieux : dans ton cœur. Avec lui, cette Loi... n’est pas au-dessus de tes forces. Christ est là pour t’aider à la mettre en pratique. (Cette transposition est de saint Paul en .)

Psaume : Ps 18

Comme dans la lecture, reviennent les mots de loi, charte, précepte, commandement, décision.

La loi, c’est ton plan d’amour, Père, que Jésus est venu nous apporter. Ce plan donne vie à nos existences sans but, rend sage, d’une sagesse supérieure, ceux qui sont simples, humbles devant toi. Ces préceptes réjouissent le cœur, clarifient le regard. Oui, nous adhérons à ce plan d’amour sur le monde. Il est plus désirable que l’or fin, plus savoureux que le miel.

Deuxième lecture : Col 1,15-20

Quittons les Galates, troublés par des judaïsants, pour les chrétiens de Colosses (ville au centre de la Turquie actuelle), déroutés par des spéculations ésotériques sur le cosmos. Christ y est ravalé au rang d’une simple force angélique. A cette hérésie Paul oppose sa splendide vision du Christ centre de l’univers. Vision d’actualité en notre temps de découvertes spatiales. C’est encore, comme dans les Galates, le champ de la liberté chrétienne, cette fois-ci face aux forces des puissances occultes dont l’homme moderne se sent le jouet angoissé. La lettre nous occupera un mois.

Une hymne. Un morceau de liturgie. Bien balancé, clairement divisé en deux strophes, Paul y contemple le Christ, centre du cosmos et tête de l’Eglise.

Dans un langage emprunté à la sagesse juive ( ; ), le Christ est dit :
1. L’image du Dieu invisible. Le mot “image” est à prendre dans toute sa force ; non comme une photo, mais comme l’expression du Père, tel un fils qui reproduit les traits physiques et moraux de son père. Dieu est le grand inconnu, parce que notre contemplation du Christ est fort théorique. Regarder le Christ, c’est voir le Père, dira Jean ().
2. Le premier-né par rapport à toute créature. Premier-né : moins celui qui a été créé d’abord, mais celui qui, par sa position de premier, a toutes les prérogatives. Il est non seulement avant, mais au-dessus de tout le créé. Tout a été créé en lui, par lui et pour lui.

Il est avant tous les êtres. Il est vraiment le centre, le point de départ et d’arrivée de toute la création, son modèle et son but. Tout subsiste en lui. Le cosmos est “maintenu” en lui, trouve en lui sa cohésion. Christ est le lien de toute chose ().

Quels actes de foi et de confiance ! Quelle vision du cosmos, de sa naissance, de son évolution, de son point d’arrivée ! Jésus est l’alpha (le début) et l’oméga (la fin) de tout ().

Puis le regard de Paul voit, à l’intérieur du cosmos, un autre cosmos spirituel, la communauté de foi, l’Eglise. Il la conçoit comme un corps dont les membres sont répandus sur toute la terre et dont Jésus, ressuscité, est la tête.

Comme le Christ était au début de la création, le voici au début de la rédemption. Comme il était le premier-né de l’univers, il est, par sa résurrection, le premier-né d’entre les morts. La résurrection est un nouveau début, une nouvelle création. Aussi, Pâques n’est-elle pas une fête plus brillante seulement, elle est la fête par excellence de laquelle toutes les autres tirent leur origine et leur sens.

Deux mots résument la place et la fonction du Christ : primauté-point de départ, et accomplissement-plénitude finale. Car tout ce qui était morcelé, épars, divisé est rassemblé, réuni, réconcilié en Christ. Et le lieu de cette réconciliation est la croix où Jésus a étendu les mains "pour réunir dans l’unité les enfants de Dieu dispersés" ().

La vision prépare ainsi la mise en garde contre les erreurs propagées à Colosses sur les “êtres célestes”. Pour nous ce regard admirable, cosmique va au-devant de certaines difficultés actuelles : s’il y avait des extra-terrestres ? Ils font partie du cosmos. Or Christ en est le centre. Nous leur dirons que Christ les aime. Ne craignons pas les vertigineuses découvertes qui vont bouleverser notre façon de vivre dans le cosmos. Christ y sera. Il y est déjà.

Même quand on aura découvert mille nouveaux mondes, il restera toujours le grand problème à résoudre : vivre en paix, nous laisser réconcilier.

Évangile : Lc 10,25-37

Le passage débute par une de ces pénibles disputes du Christ avec ses adversaires : Un docteur de la loi le questionne pour le mettre dans l’embarras, non pour chercher la vérité. Ainsi voit-on des gens discuter à perte de vue. Pour contredire. Ils ne trouveront jamais. Plus bas, ce docteur voudra montrer qu’il est un homme juste qui n’a rien à se reprocher... L’humble trouve, non le suffisant. Que dois-je faire ? demande-t-il. Il s’agit donc - dans un premier temps du moins - du faire, de la vie chrétienne pratique. Jésus, en questionnant : Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? le renvoie à son catéchisme, à la Loi, à la Parole même de Dieu. Le docteur récite, en connaisseur, l’essence même de la Loi, le “shéma Israël” (voir ) que tout pieux Juif récitait plusieurs fois par jour : Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur... Il y associe, avec beaucoup d’à propos, l’amour du prochain (selon un texte du Lévitique ). Jésus essaie de lui faire comprendre qu’il suffit de mettre en pratique ce qu’il vient de réciter : Fais ainsi et tu auras la vie, la vie avec Dieu.

Mais le docteur de la Loi, qui sait si bien son texte, ne sait pas, hélas le traduire dans les faits. C’est là que commence à percer, non seulement un malentendu, mais la faute par excellence, l’hypocrisie qui sépare théorie et pratique. Tout l’abîme entre la loi, conçue comme un code, et la Loi de Dieu, vécue comme amour ; abîme que Jésus va dénoncer dans son histoire de l’homme tombé sur des bandits, gisant là à moitié mort.

Arrivent un prêtre, un lévite. Les deux voient bien le pauvre homme, mais ils passent de l’autre côté. Pourquoi ? Ils veulent se garder purs légalement pour célébrer le culte. En faisant ainsi entrer en scène ces deux dévots qui s’en tiennent strictement aux prescriptions rituelles, Jésus nous montre que la loi observée sans cœur peut conduire à l’odieux. A travers le prêtre et le lévite Jésus dénonce un savoir religieux purement théorique et un culte sans âme. Les deux oublient que le vrai culte c’est aimer, se donner. Faute classique, si l’on peut dire, dénoncée, à intervalles réguliers, par les prophètes, d’Amos à Isaïe, d’Osée à Ézéchiel : "Je hais, je méprise vos fêtes... vos oblations, je n’en veux pas... mais que le droit coule comme l’eau et la justice comme un torrent" ().

Quelle communauté ne se sentira concernée, ne se retrouvera, lucide et gênée, dans ce prêtre et ce lévite, quand elle célèbre de beaux offices et se désintéresse du chagrin, du désespoir, de la misère dans la rue à côté ? Qu’alors, du moins, le chant nous reste dans la gorge !

Survint un Samaritain en voyage... il vit le demi-mort et fut saisi de pitié. Il pansa ses plaies... le conduisit dans une auberge et prit soin de lui. En précisant que cet homme était un Samaritain, méprisé des Juifs, un homme qui ignorait la Loi (on appelait les Samaritains ‘ceux qui ont le faux livre de prière’), Jésus nous montre que l’on peut mal connaître le mot à mot du catéchisme et cependant en avoir saisi l’enjeu, que l’on peut avoir des idées inexactes en matière de foi et vivre un christianisme authentique. A l’opposé, affirmer que le non-croyant (ou non-pratiquant) est l’intègre et le pratiquant l’affreux tient du noir et blanc un peu simpliste. Il reste qu’agir juste est plus important que de présenter une copie sans faute. Les plus belles idées, la foi la meilleure sont celles que l’on vit avec générosité.

Le texte finit sur un renversement de situation, une inversion des personnages : Qui est mon prochain ? demandait le docteur, et Jésus de lui faire comprendre : sois toi-même le prochain de cet homme, sois-lui proche, proche de cœur.

Mais ce serait raccourcir la portée de cette page que de la bloquer sur le “faire”, la morale. Cette page est de belle théologie, et les Pères de l’Eglise, plus avertis que nous, ont vu dans ce bon Samaritain le Christ lui-même. Jésus, disent ces Pères, est en voyage vers l’humanité tombée, à moitié morte ; c’est lui qui est saisi de pitié (avec une nuance d’affection maternelle, mot à mot : saisi aux entrailles), c’est lui qui panse ses plaies.
Quel est le prochain de l’homme, celui qui lui est vraiment proche, jusqu’à partager son sort ? C’est Jésus qui a fait preuve de bonté. C’est vers ce Jésus que nous sommes conviés à lever le regard pour nous entendre dire : Va - et fais de même.

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René LUDMANN c.ss.r.

Prêtre du diocèse de Luxembourg.

Publié: 13/06/2025