Pâques, dim. de la Résurrection (31/3) : Pistes pour l’homélie

Piste 1

Jésus est venu nous sauver ! Il est notre sauveur ! Nous ne disons pas « notre sauveteur » mais notre « sauveur ». Le sauveteur est celui qui du bord de la piscine plonge pour rechercher, de gré ou de force, celui qui coule. Il est drillé pour cela, il agit presque automatiquement. Lorsque nous disons Jésus « sauveur », ce n’est pas du tout la même chose. Quelle est la différence ?
Et bien il nous arrive parfois, en regardant l’actualité proposée par les medias, de désespérer de nos semblables, peut-être aussi de nous-mêmes, parce qu’il nous semble que jamais nous ne parviendrons à construire une société vraiment humaine, un monde ou enfin l’humain soit totalement sorti de l’animalité ou encore de la bestialité.
Même si nous sommes conscients de notre médiocrité, tous nous rêvons d’un monde où l’homme soit vraiment humanisé. Mais au regard de tout ce qui se passe aujourd’hui cela nous semble une utopie, il semble que l’animalité qui nous habite prenne toujours le dessus. Nous nous posons alors la question : Les hommes, les femmes pourront-ils un jour sortir de cette inhumanité et devenir enfin des hommes-humains ?
A cette question Jésus a voulu répondre et nous prouver que « l’homme-humain » existe, qu’il est possible d’être entièrement humain. Cette humanité parfaite il l’a lui-même vécue dans ses engagements, ses compagnonnages, ses actes les plus simples et finalement sa mort.
Si ses compagnons ont reconnu en lui le divin, ce n’est pas à cause d’une marque spéciale ou d’une dévotion particulière, mais par sa manière de vivre.
Nous pouvons donc dire que Jésus est « sauveur » parce qu’il nous a montré un chemin d’humanisation qui mène au divin. Sauvés, nous ne pouvons l’être que par les autres, non pas par un geste magique ni même une piété débordante ; le salut n’est pas non plus un automatisme, il ne peut se réaliser que par la rencontre.
Etre sauvé, c’est rencontrer quelqu’un qui nous touche au point de nous entraîner là, où l’instant d’avant nous nous croyions dans l’impossibilité d’aller, quelqu’un qui nous rend capable de réaliser ce qui nous paraissait une utopie.

Le message de Pâques nous dit encore que si nous avons eu la chance de croiser l’homme Jésus qui peut donner sens à notre vie, nous devons être à notre tour une chance pour les autres qui croisent notre route. Qu’en voyant notre manière de vivre ils puissent dire : « Oui, l’homme-humain existe » et ainsi retrouver le goût de vivre.
Aller crier et proclamer dans les rues : « Jésus est vivant, il est ressuscité » ne sert à rien ; au contraire cela peut-être négatif si notre agir continue à s’enliser dans l’inhumanité.
La véritable spiritualité n’a rien d’une illumination subite mais s’enracine dans nos actes les plus concrets. Comme le disait J.-C. Brau, théologien bibliste : « le ressuscité ne se rencontre pas à Jérusalem mais en Galilée, non pas dans les tabernacles mais dans le quotidien de la vie, là où le visage de l’autre nous interpelle. »
La résurrection ne deviendra réelle et visible que par nos engagements, nos actes et nos rencontres de chaque jour. Joyeuse fête de Pâques.

Piste 2

Le peuple hébreu était pris au piège : devant eux la mer Rouge leur barrait la route et derrière l’armée égyptienne tentait de ramener le peuple à l’esclavage. Autrement dit le peuple hébreu n’avait pas grand choix : soit il se rendait à l’armée égyptienne, soit il se jetait à la mer et tentait, au risque de mourir noyé, de rejoindre l’autre rive, le pays de la liberté. On comprend son hésitation. Mais dans un geste de confiance en Yhwh tous se lancent dans la mer. A cette confiance, Yhwh répond en les sauvant de la mort de l’esclavage et en les faisant parvenir dans la terre de la liberté.
Nous pouvons faire le parallèle avec Jésus qui s’est trouvé dans la même situation, le même dilemme que le peuple hébreu. Pendant 30 ans il a vécu paisiblement avec ses parents à Nazareth. Mais, garçon intelligent et sensible, il va ressentir toute la douleur de son peuple opprimé, esclave des grands, prisonnier d’une religion légaliste qui culpabilise et enfonce encore davantage les malades et handicapés ; s’ils étaient ainsi, disait-on, c’est à cause de leur péché.
Jésus, comme un nouveau Moïse, veut libérer son peuple. Il prend sa défense jusqu’au jour où, comme les Hébreux devant la mer Rouge, il se voit acculé aussi à un choix douloureux :
- ou il se tait, rentre dans les rangs et perd sa liberté ou
- il fait confiance au Père, il continue son combat mais risque la mort. Et comme le peuple, c’est le choix qu’il va faire : il choisit de risquer le passage de la mer, le passage de la mort. Mais à nouveau comme le peuple hébreu, le Père, qui approuve son choix, ne l’abandonne pas, il le sauve de la mort et le relève.
Nous comprenons pourquoi le mot « pâques » signifie « passage ».
Tout ceci nous aide à comprendre aussi le sens du baptême. Le baptême est aussi un passage. Baptisés nous sommes, à la suite des Hébreux et de Jésus, confrontés au même choix.
- D’une part nous pouvons opter pour une petite vie paisible et tant pis pour toutes les soumissions, les écrasements surtout des autres qui sont victimes de la violence, de l’injustice dont nous sommes les complices.
- D’autre part nous pouvons choisir l’engagement pour la liberté et la vie… au prix de certaines morts.

Le rite du baptême qui à l’origine n’était célébré qu’une fois l’an, à la veillée pascale est en quelque sorte le mime du passage de la mer Rouge vers la terre promise et passage de la mort à la résurrection de Jésus. C’est ce que l’évangéliste a voulu exprimer lorsqu’il dit que le centurion perça le cœur de Jésus et qu’il en sortit du sang et de l’eau.
Le baptême est aussi naissance de l’homme nouveau c.-à-d. de l’homme qui veut rompre avec la mort sous toutes ses formes : convoitise, course au pouvoir, exploitation des faibles…
Et enfin le baptême est libération du mal, libération qui nous rend aptes, capables d’entrer dans une alliance d’amour.
En ce jour de Pâques nous sommes tous invités à nous rappeler notre propre baptême et celui de nos enfants. Symboliquement nous avons été plongés dans l’eau, signe de mort, pour renaître à une autre vie, celle d’enfants de Dieu. Ce geste rappelle que nous n’appartenons à personne, mais seulement à qui nous nous donnerons librement dans le service et l’amour, comme Jésus.

Pâques Piste 3

Lorsque nous parlons de la création, notre regard se tourne spontanément vers le passé. N’est-ce pas ce que nous laisse à penser le récit imagé et symbolique du récit de la création du livre de la Genèse que nous venons d’entendre ?
Imaginer la création comme un événement passé, clôturé, terminé définitivement, est le plus sérieux obstacle pour comprendre non seulement la foi chrétienne mais aussi la résurrection.
Si nous pensions en effet que la résurrection comme la création n’est pas une histoire finie, qui est derrière nous, cela changerait absolument tout. Essayons de comprendre pourquoi.
Le livre de la Genèse nous dit que « le 7e jour, le Seigneur se reposa ». Cette petite phrase signifie que Dieu passe le relais aux hommes. Il veut mettre une limite à sa puissance et nous laisser de la place. Il laisse donc sa création inachevée. Dieu ne veut pas terminer sans nous le travail, sans notre collaboration. Il fait des humains ses partenaires et leur donne une part de liberté.
Au fond, en créant le monde inachevé, Dieu nous rend responsables de notre propre devenir. Toute l’histoire humaine sera dès lors la création continuée : à la fois œuvre de Dieu et œuvre des hommes et des femmes de bonne volonté.
Mais évidemment cette co-création ne se fait pas en ligne droite, sans erreurs ni faux pas. Il y a des égarements, des mises au point, des allers-retours, des réadaptations, des recommencements…
Mais, si nous sommes logiques, nous pouvons dire que si Dieu a été capable de susciter la vie à l’origine, pourquoi ne serait-il pas capable de re-susciter cette même vie après chaque détour, à chaque recommencement ?
La puissance d’amour qui nous a appelés à la vie, qui nous a créés, est la même puissance d’amour qui a relevé Jésus de sa mort sur la croix. C’est encore aujourd’hui la même puissance d’amour qui nous relève et qui nous pousse en avant chaque fois que nous faisons marche arrière.
« Dieu vit que cela était bon » répète comme un refrain le récit de la création. Nous ne pouvons qu’en déduire : Dieu voit le monde avec amour.
Naturellement devant les immenses détresses du monde, il est très difficile d’y croire et nous sommes tentés parfois d’accuser Dieu en le rendant responsable de cette souffrance absurde. A cette objection, il a répondu en traversant lui-même, en la personne de Jésus, l’épreuve suprême de la mort. Et en relevant Jésus de la mort, Dieu nous montre que la vie triomphe toujours du chaos et que la création peut continuer et s’achever malgré tous les heurts et malheurs de nos vies.
Comme je le disais en commençant, la résurrection tout autant que la création n’est pas achevée. La résurrection comme la création est toujours en gestation, nous en sommes les responsables, nous en sommes les artisans. Il nous revient donc de travailler à relever, re-susciter de toutes leurs souffrances et de toutes leurs morts nos frères et sœurs qui se débattent dans la misère. Il dépend ainsi de nous que ce soit Pâques chaque jour. Bonne fête de la résurrection, bonne fête de Pâques.

Piste 4

Lorsque nous parlons de notre religion, nous disons qu’elle est une religion de « la parole » parce que fondée sur la Bible, le livre de la Parole. Ainsi, lorsque nous proclamons les lectures à la messe, nous disons « Parole de Dieu ».
Le 1er livre de la Bible, la Genèse, commence par 10 paroles, c’est le récit de la création : du chaos, du vide, Dieu fait surgir la vie, la vie du monde, la vie de l’homme. « Dieu dit », cette Parole de Dieu est créatrice, elle a un effet, elle se réalise, elle fait advenir à la réalité.
De façon semblable, cette Parole me fait penser à ce que Yahvé adresse, par l’intermédiaire de Moïse, à son peuple en esclavage en Egypte, « ordonne, dit-il, aux fils d’Israël de se mettre en route ». Par cette parole il libère son peuple.
Cette parole fait encore penser à ce message que Jésus percevait le jour de son baptême dans le Jourdain : « Tu es mon Fils bien-aimé. » Comme le peuple d’Israël, Jésus va dès ce moment se mettre en route pour proclamer la bonne parole aux pauvres et aux opprimés.

Aujourd’hui nous voyons Marie Madeleine arriver au tombeau de grand matin. La pierre est roulée, elle est devant le vide, un peu comme le vide de la création dont on parlait il y a un instant. C’est le vide total car il n’est pas possible d’aller plus loin dans la perte d’un être cher. Son Jésus, celui qu’elle aimait tant, en qui elle avait mis toute son espérance, non seulement ils l’ont condamné comme le dernier des malfaiteurs, ils l’ont dépouillé de toute sa dignité, anéanti dans tout ce pour quoi il a donné sa vie et comme si ce n’était pas suffisant, ils l’anéantissent jusque dans sa mort en faisant disparaître son cadavre.
De lui, il ne reste rien, absolument rien, le vide d’une tombe, le vide profond, le vide total.
C’est au milieu de ce vide qu’une voix se fait entendre : une parole parvient à Marie, la parole de l’ange qui n’est rien d’autre que la Parole de Dieu ; elle va chambouler toute sa vie.
Cette parole produira, en effet, sur elle un triple effet :
- Le 1er, c’est de l’apaiser. Sa peur disparaît.
- Le second : elle va relever la tête, la sortir du tombeau.
- Et le 3e effet : elle est envoyée vers les autres.
Nous pouvons dire que cette parole va littéralement la sauver, elle n’est plus du tout la même. Mystérieusement elle retrouve une énergie nouvelle et passe d’un coup du plus profond chagrin à la joie pure : « joyeusement elle court porter la Bonne Nouvelle ».
Cette Parole créatrice et recréatrice ne cesse encore de se faire entendre à chacun, le jour de notre baptême mais aussi chaque jour de notre vie : une parole qui apaise, qui libère et nous envoie vers les autres faisant de nous des messagers de bonheur.
Si cette parole de vie nous est parvenue c’est parce que de génération en génération, des femmes et des hommes l’ont communiquée non seulement par des discours et des mots mais tout autant par une manière de vivre en cohérence avec la Parole de Dieu. Puissions-nous aujourd’hui prendre le relais pour transmettre cette Bonne Nouvelle de la résurrection à tous ceux qui sont enfermés dans le tombeau du désespoir ou le vide du non sens. Que notre parole les transforme en vivants orientés vers les autres, en en annonceurs joyeux et enthousiastes de la Bonne Nouvelle.
Oui, que cette parole continue à faire germer la vie et la joie de Pâques !

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Georges LAMOTTE

Prêtre du diocèse de Namur, † 2017.

Publié: 01/03/2024