Commentaire sur Ecclesia de Eucharistia

L’encyclique se situe dans une théologie très classique

Réagissant à la 14e encyclique de Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, le Père Paul De Clerck, théologien, professeur à l’Institut Catholique de Paris, la considère comme fortement marquée par la théologie du XIIIe siècle.

 

Quelle est votre lecture de cette encyclique ?

PDC : Il faut se réjouir d’une encyclique qui porte ce beau nom : L’Eglise vit de l’Eucharistie. Il renoue avec la tradition patristique rappelée par le P. de Lubac et son adage : L’Eucharistie bâtit l’Eglise. Mais il faut regretter que cette intuition ne soit pas développée : les idées neuves sont entravées par le recours à la théologie eucharistique du Moyen Âge occidental dont on connaît aujourd’hui les limites.

Que voyez-vous de neuf dans cette encyclique ?

PDC : Elle a incontestablement du souffle et comprend des aspects tout à fait intéressants. D’emblée, Jean-Paul II souligne bien que l’Eucharistie comporte en synthèse le coeur du mystère de l’Eglise. C’est très bien parti ! On sent un homme qui veut communiquer sa foi sur l’Eucharistie et insiste sur l’impulsion qu’elle donne à la vie. Il rappelle aussi l’importance que l’Eucharistie a eue sur les arts et la culture.

Comment lisez-vous le chapitre sur Marie, femme eucharistique ?

PDC : On sent bien qu’il sort directement de la plume de Jean-Paul II lui-même. Il ne comporte d’ailleurs qu’une seule note, où il se cite lui-même. Dans la ligne de la théologie johannique de l’Eucharistie comme prolongement de l’Incarnation, il développe l’analogie du corps du Christ, né de Marie, et son corps sacramentel. L’Eucharistie sème dans le monde le germe de l’histoire nouvelle dans laquelle les puissants sont renversés de leur trône et les humbles sont élevés. On sent là quelqu’un qui parle vrai. On regrette d’autant plus que ces ouvertures n’aboutissent pas. L’encyclique oublie de se situer dans une perspective historique.

Que voulez-vous dire ?

PDC : Tout le raisonnement de l’encyclique est pris dans un cadre théologique qui est très strictement celui du XIIIe siècle occidental. Il manque toute une vision théologique, pourtant très largement reçue aujourd’hui, beaucoup plus ample et plus riche et qui aurait permis d’articuler les ouvertures du document. Pourtant, on connaît aujourd’hui les limites de la théologie eucharistique du XIIIe siècle : répondant aux problèmes de son époque, elle était centrée sur la façon de rendre compte du Ceci est mon corps. Dans cette ligne, l’encyclique ne dit pas un mot de la liturgie de la Parole - toujours avant-messe - ni de l’action de la grâce qui en est cependant l’aspect le plus décisif. Alors même qu’elle cite abondamment les Pères orientaux et la liturgie, elle semble se réduire à la théologie occidentale classique qui n’a qu’un seul propos : le sacrifice et le rôle sacerdotal du prêtre.

Pourtant, la théologie thomiste n’a-t-elle pas su faire ses preuves ?

PDC : Evidemment, mais sur les questions qu’elle a traitées ! Saint Thomas d’Aquin répondait aux besoins théologiques et aux préoccupations d’une époque.

Comprenez-vous les mises en garde de Jean-Paul II dans cette encyclique ?

PDC : C’est un des rôles de l’autorité d’attirer l’attention sur les déviances. Mais on peut s’étonner des moyens envisagés pour y répondre. Ainsi, la cinquième préoccupation énoncée concerne des initiatives oecuméniques. Par trois fois, le Pape redit son souci de l’unité, mais il regrette en même temps l’abandon de l’adoration eucharistique qui fut la bannière de la pastorale anti-protestante et représente une dévotion ignorée de l’orthodoxie. Les deux mises en garde majeures concernent la dimension sacrificielle de l’Eucharistie, fortement soulignée, et la nécessité du sacerdoce ministériel. On peut parler ici de crispation.

Comment Ecclesia de Eucharistia envisage-t-elle alors le rôle du prêtre ?

PDC : Par deux fois, elle rappelle que le prêtre effectue la consécration, à l’encontre de ce que dit le Catéchisme de l’Église catholique qui souligne l’efficacité de la Parole du Christ et de l’action de l’Esprit saint pour opérer cette conversion, phrase appuyée par une citation de saint Jean Chrysostome : Ce n’est pas l’homme qui fait que les choses offertes deviennent Corps et Sang du Christ, mais le Christ lui-même (n° 1375). Le prêtre est ainsi défini dans son rapport à l’Eucharistie, raison d’être principale et centrale du sacrement du sacerdoce, qui est né effectivement au moment de l’institution de l’Eucharistie et avec elle (n° 31). Rien n’est dit de l’annonce de la Parole ni du ministère pastoral du prêtre envers la communauté.

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Paul DE CLERCK

Prêtre du diocèse de Malines-Bruxelles, professeur à l’Institut catholique de Paris, directeur de La Maison-Dieu.

Publié: 18/04/2003