Pentecôte (19/5) : Pistes pour l’homélie

Piste 1

Regarder le spectacle du monde n’est pas toujours très réjouissant, il semble que le bulldozer du mal écrase et anéantit tout le bien que l’on a mis tant de temps à construire.
Bien des valeurs évangéliques sont battues en brèche : douceur, paix, joie, service, patience, humilité, fidélité… Il y a de quoi désespérer de l’homme et de l’humanité.
Face au mal, le 1er réflexe est de se replier sur soi, s’enfermer, un peu comme les apôtres après la mort de leur maître. Or nous savons que l’enfermement va à l’encontre de tout développement et épanouissement de la personne.
Jésus prévoyant ce qui allait se passer chez ses apôtres après sa mort, leur promet un défenseur : l’Esprit.
Effectivement lorsque les apôtres reçoivent l’Esprit, la première chose que l’on observe c’est qu’il les fait sortir, il fait disparaître, anéantir leurs peurs. Quelles peurs ?
D’abord la peur de soi : avoir peur de soi, c’est manquer de confiance en soi, se croire nul, incapable, bon à rien, croire que je ne suis pas aimable, que je ne compte pas pour les autres.
La conséquence de cette peur de soi, c’est qu’elle empêche toute relation vraie, profonde, enrichissante : je vis dans ma bulle.
Il y a aussi la peur des autres : c’est croire qu’ils ne voient que mes limites, mes lacunes, croire qu’ils me veulent du mal, qu’ils se rient, se moquent de moi.
La conséquence de cette peur des autres c’est que je me protège, toujours prêt à mordre. Je vis sur la défensive puisqu’il me semble que les autres sont méchants avec moi.
Il y a enfin la peur du monde et des événements. Peur de ce qui peut arriver, croire que ça n’ira jamais mieux.
Ce qui a pour conséquence : la paralysie. Je n’ose rien, je n’entreprends rien puisque ça ne sert à rien, c’est fichu d’avance.
Or l’Esprit que Jésus promet à ses apôtres est un Esprit non pas de peur mais de liberté.
Il nous libère de tout, même de la loi nous dit saint Paul.
Cet Esprit me donne d’abord confiance en moi. Il m’autorise à croire que je suis quelqu’un d’unique, de respectable et qu’au-delà de mes limites, je peux être aimé pour moi-même.
Cet Esprit me rend libre par rapport aux autres. Il me donne l’audace d’aller vers eux et d’exprimer ce que je pense, ce que je crois. Il me permet de croire en eux, en leur sollicitude, amitié, fidélité.
Enfin cet Esprit de Dieu me rend libre devant les événements, devant le monde. Il me fait comprendre que l’histoire n’est pas écrite d’avance, que j’ai le pouvoir de la modifier, d’influencer sa trajectoire. Et devant les événements que je ne peux changer, l’Esprit me donne la force, le courage de leur faire face.

Combien de femmes et d’hommes tout ordinaires, que rien ne semblait destiner à une vie hors du commun, grâce à l’Esprit qu’ils ont laissé agir en eux, ont réalisé des exploits et marqué le cours du temps ! Celui qui reste enfermé dans sa peur, son incertitude, dans ses « à quoi bon »… fait le jeu du mal. C’est ce que Jésus appelait le « péché contre l’Esprit », le péché le plus grave.
Mais se laisser habiter par l’Esprit de Pentecôte, c’est croire que moi, ici, maintenant, quel que soit mon âge, mes capacités… je suis apte à faire du neuf, à créer un monde nouveau, une humanité plus grande et plus belle.
Bonne fête de Pentecôte !

Piste 2

La fête de la Pentecôte est aussi ancienne que la fête de Pâques. L’une et l’autre existaient déjà bien avant Jésus. Lors de la pâque, les Juifs célébraient la libération de l’esclavage en Egypte tandis qu’à la pentecôte ils célébraient l’alliance conclue au Sinaï entre Dieu et son peuple. C’est au Sinaï en quelque sorte qu’est né le peuple élu, le peuple choisi par Dieu.
Il est très facile de faire le parallèle entre la pentecôte juive et la pentecôte chrétienne parce que nous y retrouvons les mêmes symboles. Au Sinaï, Yahvé intervient dans le feu et le fracas du tonnerre. Ici « c’est dans un bruit pareil à un violent coup de vent » et c’est une sorte de feu qui se partage et se pose sur chacun des disciples. L’Esprit Saint s’empare de cette poignée d’hommes et de femmes pour en faire la cellule initiale du nouveau peuple de Dieu auquel on donnera plus tard le nom d’Eglise.
Le message est donc clair, c’est à ce nouveau peuple, à l’Eglise, qu’il revient de rencontrer les hommes dans leur langage propre, entendons par là de les rencontrer dans toutes leurs cultures dont les langages sont l’expression.
La mission de l’Eglise n’est pas d’amener les hommes à comprendre son langage à elle, mais c’est à elle à parler leur langage pour que le message soit compris par tous.
L’Eglise ne peut donc s’identifier à aucune langue, aucune culture particulière, qu’elle soit romaine, grecque ou européenne… parce qu’elle est porteuse d’un langage universel, une Bonne Nouvelle à annoncer à tous les peuples de tous les siècles.
Malheureusement cette Bonne Nouvelle a souvent été enfermée dans une culture grecque ou latine peu accessible par des peuples tels que les Chinois, les Africains ou même les Sud américains. Ne trouvez-vous pas étonnant, pour ne pas dire aberrant, que les missionnaires aient imposé aux Chinois la messe en latin ? Et dans le même ordre d’idée, que devaient penser les Africains à qui on présentait un Dieu blanc, signe de la colonisation par les Blancs ?
Il a fallu bien des échecs pour que l’Eglise prenne conscience de ses erreurs du passé.
Aujourd’hui il lui est encore bien difficile de traduire son message pour qu’il devienne vivifiant pour tous les hommes et femmes de tous les continents.
Pourtant cette adaptation à la culture des peuples, si difficile qu’elle soit, n’est pas suffisante, il y a aussi une adaptation au mode de pensée de l’époque. Il ne faut pas seulement s’ajuster au lieu mais aussi au temps !
Comment annoncer aujourd’hui la Bonne Nouvelle ? Comment présenter l’Evangile aux générations contemporaines pour qu’il devienne source de vie, dynamise les jeunes et soit porteur d’espérance pour tous ?
Voilà un véritable défi, tâche ardue devant laquelle beaucoup baissent les bras. Mais n’est-ce pas ne compter que sur notre propre faiblesse en oubliant la force de Dieu, l’Esprit qui a travers les siècles n’a cessé de souffler et d’agir au cœur des humains ?
L’Esprit de Pentecôte est un Esprit de nouveauté. Sa caractéristique est, comme pour les apôtres, de nous sortir de notre chambre close pour oser prendre le large.
Ne cherchons pas l’Esprit dans la conservation des traditions, en essayant de faire comme on a toujours fait. L’Esprit est claustrophobe, il ouvre les portes et les fenêtres, il est toujours dehors, il a besoin d’espace, de liberté et de nouveauté. Ouvrons-lui les portes pour que chacun l’entende dans sa propre langue et puisse le recevoir dans l’émerveillement de la rencontre.

Piste 3

« Les apôtres avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient par peur des Juifs. » En s’enfermant à double tour, ce n’est pas seulement leur corps qu’ils enfermaient mais aussi leur esprit.
Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec une personne qui étaient sortie d’une forte dépression et qui m’expliquait : « Le drame de ma dépression, me disait-elle, c’est que j’étais enfermée en moi-même sans pouvoir en sortir. C’était comme si tout en moi était verrouillé. Je ne voyais plus les belles choses, je n’entendais plus les paroles d’amitié, je ne pouvais plus poser un geste pour les autres. Et ce qui me mettait encore plus mal, c’est que j’avais tout pour être heureuse. On ne manquait pas d’ailleurs de me le dire, je n’avais rien pour justifier ma déprime. Jusqu’au jour où il y a eu un déclic en moi : j’ai osé sortir, aller au devant des autres. C’était un peu comme si on ôtait un couvercle, ouvrait la porte et les fenêtres de tout mon être. »
N’est-ce pas un peu l’expérience des apôtres ? Mettons-nous à leur place : ils devaient être pour le moins déprimés après l’échec de la mort de leur maître. A cela s’ajoutait la peur, non pas tellement la peur des représailles, mais pire que ça, la peur du « qu’en dira-t-on ? ».
Imaginez donc, eux les apôtres, qui étaient si fiers de parader aux côtés de Jésus, qui se voyaient déjà ses ministres, les voici ridiculisés aux yeux de tous. Quelle tête allaient-ils faire en retournant dans leur village ? Qu’allait-on dire et penser d’eux ?
Jusqu’au jour où il y eut, non pas un petit déclic, mais un secouement énergique. Ils n’ont pas eu une petite étincelle mais une véritable flamme, un feu qui les a fait se lever. Ils ont compris que c’était l’Esprit, celui que Jésus leur avait promis.
C’était comme si des écailles étaient tombées de leurs yeux, comme si leur langue se déliait, comme si leur corps n’était plus enchaîné. Oui, c’était bien l’Esprit de Dieu qui ouvrait la porte pour les faire sortir afin de conduire à son achèvement l’histoire de toute l’humanité.
Nous savons que depuis les origines, Dieu n’a cessé de se révéler comme celui qui veut libérer l’humanité de tous les esclavages, de toutes les peurs, de tous les enfermements qui paralysent.
L’Esprit de Dieu ne vient pas pour prendre notre place, il ne nous écrase pas, mais il vient ouvrir les portes et les fenêtres de tout notre être
pour nous faire devenir vraiment nous-mêmes
nous donner une audace sans mesure pour aller au devant des autres
et une imagination débordante, inventive, pour créer du neuf dans notre Eglise et notre monde.

Piste 4

« Toute la terre avait alors le même langage et les mêmes mots. Ils décident de construire une ville avec une tour dont le sommet est dans les cieux. Nous travaillerons à notre renommée, disent-ils… Le Seigneur descendit pour voir la ville : ils sont un seul peuple, un seul langage, rien ne les empêchera de faire ce qu’ils décideront. Embrouillons leur langage pour qu’ils ne se comprennent plus. De là le Seigneur les dispersa sur toute la terre. »
Etrange comportement de Dieu : alors que les hommes font l’effort de se mettre ensemble, de s’unir, lui, il les disperse !
En lisant cette histoire de la tour de Babel, je pensais à la construction des HLM qui semblaient être « la » solution pour offrir à tous un toit. Idéologie louable en soi, imaginée par les responsables politiques de l’époque pour améliorer, pensaient-ils, les conditions de vie ensemble. Mais une fois construites, ces tours modernes font penser plutôt à des cages à poules, des clapiers, sans âme, sans respect pour l’individu. Le souci majeur des architectes - qui savaient qu’ils ne viendraient jamais y vivre - n’était pas la convivialité du vivre ensemble mais la seule rationalité, et l’aspect pratique.
Aujourd’hui nous subissons les conséquences de ces ghettos : ils sont une mise à l’écart de gens qui se sentent étouffés dans une promiscuité et rejetés par la société. Ces HLM sont devenus un terreau favorable à la violence.
On comprend dès lors mieux la réaction divine dans le récit de Babel !
Si Dieu embrouille les langages, c’est pour empêcher ce genre de rassemblement qui n’a rien à voir avec l’unité, mais qui n’est qu’une uniformité. Dieu ne veut pas que nous devenions des abrutis qui obéissent comme des automates, qui travaillent à la chaîne, perdent leur âme, leur personnalité, vivant dans la soumission pour construire la renommée de quelques puissants qui veulent se faire un nom sur la terre.
Dieu choisit donc de disperser les humains pour permettre à chacun de retrouver son identité, sa culture, qu’il ne soit plus un numéro mais une personne à part entière.
Dans la tradition chrétienne, la Pentecôte a toujours été considérée comme « l’anti Babel ». Par la force de son Esprit, Dieu inverse le mouvement : les hommes ne vont pas reparler la même langue mais, malgré les langues différentes, désormais ils vont se comprendre. La diversité n’est pas un obstacle mais une richesse. L’humain n’est plus ici considéré comme un robot mais un partenaire à part entière. L’autre devient un vis-à-vis, il n’est plus un concurrent mais une source d’enrichissement mutuel. L’individu n’est plus absorbé dans un « nous » anonyme » mais chacun devient un « je » au cœur d’un ensemble.
A la Pentecôte nous constatons un double mouvement qui va à l’inverse de Babel. D’abord au lieu, comme à Babel, de se rassembler un même endroit, à la Pentecôte les hommes et les femmes sont dispersés, envoyés de par le monde. Et le second mouvement : ce n’est plus l’humain qui essaye de grandir et d’atteindre le ciel mais c’est Dieu qui vient vers nous pour construire le ciel ici parmi nous.

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Georges LAMOTTE

Prêtre du diocèse de Namur, † 2017.

Publié: 19/04/2024