Deuxième lettre de Guayaquil

Très chers parrains et marraines,

J’espère que vous avez passé de bonnes vacances et que le rythme de la rentrée ne vous bouscule pas trop. Ici, nous sommes en saison froide et pourtant il faut chaud et surtout très humide. Ce n’est pas un climat très agréable et j’avoue avoir un peu de mal à cause d’une sinusite quasi permanente mais le paracétamol, conjugué aux recettes de grand-mère me permettent de m’acclimater peu à peu à cette nouvelle réalité.

Je vais essayer de vous partager ce qui fait notre joie et vous confier aussi certaines difficultés pour que nous les portions ensemble dans la prière.

La grande joie fut le baptême de Junior, le petit garçon dont je vous parlais dans ma première lettre. Il a été baptisé le 8 septembre. Il s’appelle aujourd’hui Pablo. Mauricio est son parrain et Solange sa marraine. Rosita, sa petite sœur sera baptisée le 26 septembre.

Énormément d’enfants naissent, et vivent des mois et des mois sans nom, sinon celui de bébé. Très peu d’entre eux sont baptisés bien que nous soyons dans un pays catholique et pratiquant. Le baptême ici veut dire : fête et comme cela représente une grosse dépense, les plus pauvres font rarement baptiser leur enfant.

Je vous avais également parlé dans la première lettre de Tonito et Damien. C’est une famille qui me touche beaucoup. Je vous avais dit que le dimanche nous devions recevoir Anitha et ses fils à la maison pour fêter l’anniversaire d’Anitha. Ce fut un très beau dimanche. Elle est arrivée avec une tenue un peu sale et déchirée, elle est repartie comme une reine. Je lui ai proposé de lui couper les cheveux, a priori ils n’avaient pas vu un peigne et du shampoing depuis longtemps. Il semble que jamais, elle n’avait senti la bonne odeur du shampoing et du démêlant. C’était amusant de voir combien elle profitait du simple shampoing que je lui faisais. Alors que je lui coupais les cheveux, Milagros lui coupait et nettoyer les ongles. Ici les femmes sont normalement coquettes et aiment, avec du vernis de différentes couleurs, faire des dessins sur leurs ongles de pieds ou de mains. Quand Mili est allée chercher notre vernis, Anitha jubilait. Alors qu’elle nous embrassait pour repartir chez elle, je lui demandais de mettre une belle robe, Mauricio lui précisa : « que la robe ne soit pas trop courte ». Quelle joie, alors que nous partions en apostolat avec Mauricio, quand nous l’avons aperçue vêtue d’un beau pantalon et une chemise sans tache !

Ses enfants viennent chaque jour jouer à la maison avec leurs trois grands cousins, Carlos (seize ans), Daniel (douze ans) et Potte (encore sans nom, c’est pourquoi il se fait appeler ainsi) : neuf ans.

Tonito a cinq ans et Damien trois ans. Ils nous accompagnent chaque jour à la messe, comme ils sont bien remuants, les jeux de l’après-midi les fatiguent et aux premiers mots de l’homélie ils ronflent déjà bien profondément, blottis dans nos bras.

Comme je vous l’avais dit, leur maman est handicapée. Elle a de grandes difficultés à parler mais se fait comprendre. Ses deux fils éduqués dans ce langage qui est plus près des sons et des cris que des mots, auraient grand besoin des soins de nos amies orthophonistes !

Il y a à peu près quinze jours, Tonito m’a procuré une très grande joie. Alors que je partais pour discuter avec le maçon qui pourrait peut-être prendre la direction de la construction du futur Point-Cœur, plans et calculette à la main, j’arrivais devant chez lui, et là Tonito me sauta dans les bras. Vous dire qu’il a déjà volé mon cœur est un secret de polichinelle.

Sa grand-mère devant sa maison en bambou préparait des bolos : sorte de bananes frites qu’elle vend aux passants. Anitha était, elle aussi, assise sur le devant de leur maison ou cabane comme on les appelle ici.

Je ne sais pourquoi mais je leur ai demandé ce qu’ils feraient à Noël. Et j’ai lancé innocemment : « Vous ne voudriez pas que je demande au père José-Luis qu’il baptise Tonito et Damien la nuit de Noël ? » Tonito m’a répondu sur le champ : « Elles, je ne sais pas mais moi, si que je veux. » Ses yeux étaient tout pleins d’une joie indicible. Il a cinq ans, il parle mal mais tous l’ont compris. Je pense que Dona Cielo a été aussi surprise que moi. Elle s’est laissé toucher. Anitha, d’un signe de tête bien clair, nous disait que oui, elle était d’accord. Je leur ai promis d’en parler au prêtre de notre paroisse.

Quand je suis arrivée devant le maître maçon, les plans à la main, les yeux tout humides, je faisais semblant d’avoir une poussière dans l’œil en disant qu’il y avait beaucoup de vent ! Mais le maçon ne s’est pas laissé avoir et m’a regardée, le sourire aux lèvres.

A mon retour Dona Cielo m’a arrêtée et m’a dit que ni Tonito ni Damien n’avaient été enregistrés au registre civil. Leur maman non plus. Ils n’ont donc pas d’existence civile. Sans cela, ils ne pourront pas être baptisés ni aller à l’école.

Le problème est que n’ayant pas fait l’enregistrement en temps et en heure, dona Cielo devra payer une grosse amende. Les bolos à 0,50 centimes de dollar chacun ne lui permettront pas de payer cette amende. Je lui ai proposé de l’accompagner au registre civil pour demander l’aide d’une assistante sociale. Encore faut-il qu’elle accepte d’y aller et perdre une journée de travail. Dona Cielo est celle qui fait vivre la maison avec cinq enfants et Anitha à charge.

Je confie cette démarche à votre prière pour le bien de ces enfants.

Les choses avancent pour notre future maison – qui n’est encore que sur le plan – mais le conseil de l’œuvre Points-Cœur n’a pas encore tranché sur quel terrain acheter. Nous sommes donc en attente. Comme me l’avait demandé François Garnier, les dimensions de la maison ont été agrandies. Merci.

En octobre, nous recevrons une nouvelle volontaire française : Bérénice Billot ; en novembre, un jeune Français martiniquais : Frank. Rudy, notre Péruvien devrait arriver plus tard en janvier.

Bérénice devait normalement rejoindre le Point-Cœur du Honduras, mais vu la situation politique en crise, les responsables de l’œuvre préfèrent ne pas prendre le risque d’envoyer des volontaires là-bas.

Une maison un peu plus grande sera d’autant bienvenue que notre effectif va doubler d’ici peu.

J’aurais aimé vous partager aussi l’apostolat que nous avons avec les jeunes adolescents de notre quartier. Depuis quelques années Mauricio a commencé avec nos adolescents une sorte de catéchèse active. C’est-à-dire qu’une fois par mois, soit nous partons avec eux dans un orphelinat près de la maison, soit lisons ensemble un passage du Petit Prince.

Voilà quelques semaines, nous avons emmené quelques jeunes avec nous pour visiter dans un orphelinat des enfants retirés de leur famille pour maltraitance ou des enfants complètement orphelins. Ils sont dans ce lieu en attente d’adoption par des familles équatoriennes ou étrangères.

Quelle surprise d’arriver dans ce lieu. Nos ado étaient aux anges, ils connaissent bien certains bébés qui ont déjà bien grandi. Un haut et large mur entoure ce lieu qui accueille beaucoup d’enfants et de bébés. La plupart ne nous ont pas été présentés à cause d’une maladie épidémique qui frappait les bébés. Nous sommes donc restés avec les plus grands. Bien que nous ayons prévenu de notre visite, on ne nous attendait pas et il semblait que notre visite gênait un peu le personnel. Bref après un bon moment, on nous a permis quand même d’entrer mais la dame de service nous a interdit d’aller jouer dehors avec eux parce qu’elle avait peur de je-ne-sais-quoi. Beaucoup des jeunes enfants n’avaient pas encore étaient changés de la nuit. Ils étaient encore en pyjama, pourtant il était déjà tard. Leurs couches pour certains sont restées pleines tout le temps de notre visite. Après avoir joué quelques minutes dans la petite salle étroite, éclats de rire et cris n’ont pas tardé à se faire entendre. Presque de suite, la dame qui s’occupait des bébés dans la salle d’à côté est venue rouspéter, demandant de leur mettre plutôt une vidéo et disant que si nous étions là pour les énerver, cela ne valait pas la peine. Bref, un peu refroidis, Mily notre clown de service et nos ados sont passés à des jeux plus calmes. Je me suis assise et là pendant toute l’heure et demie qui nous restait, un petit bout de moins d’un un an et demi est venu se blottir dans mes bras sans rien vouloir d’autre que d’être là tout contre moi. J’ai essayé de jouer avec lui mais dès que j’essayais de le décoller un peu, il commençait à pleurer. Petit sans nom, j’ai demandé plusieurs fois ton nom, les dames ne m’ont pas répondu. Peut-être n’en as-tu pas.

Petit qui pleure, j’ai seulement su que ta maman était en prison. Voilà la seule chose que les dames ont su me dire.

Je voyais avancer l’heure avec angoisse, moi aussi j’allais devoir te laisser avec ta couche toute pleine et ta bouche habitée d’un cri profond. Plusieurs fois, j’ai demandé à la dame de te prendre. Elle n’a pas voulu. J’ai dû appeler une petite de huit ans pour qu’elle te prenne dans ses bras. Je lui ai glissé dans l’oreille : « Tu es maintenant sa petite maman, prends soin de lui. Il a besoin de toi. » Elle m’a regardé avec un sourire et bien frêle elle a pris dans ses bras le petit garçon qui hurlait. Il avait compris que moi aussi je partais.

Chers parrains, ses cris continuent de m’habiter et je pense aux mots de Mère Teresa qui suppliait les femmes en difficulté de ne pas avorter mais plutôt de rendre une famille heureuse. Ne tardons pas. Ils nous attendent.

En attendant notre prochaine visite à l’orphelinat, j’ai demandé à une de nos amies, avec son groupe d’amies qui habitent dans les beaux quartiers non loin de cet orphelinat, de commencer à visiter ces enfants. Je confie aussi cette intention à votre prière.

Nos grands sont pourtant sortis de ce lieu avec un énorme sourire. L’espace de deux heures, ils ont quitté leur carapace « d’adolescents ’je m’en fous’ pour devenir « adolescents ’je me donne’ ».

Cela les a rendus tellement heureux.

Chers amis, j’aimerais enfin vous partager la joie d’avoir fêté avec les grands-pères et grands-mères del Hogar de La Paz (foyer des Sœurs de la Charité de Mère Teresa), leur jour de fête : le 9 septembre : jour anniversaire de la mort de Mère Teresa.

Par erreur, nous sommes arrivées avec une heure d’avance. Mais quelle sainte erreur parce que cela nous a permis de participer à la préparation de nos grands-pères et grands-mères par les sœurs et les volontaires. Ils étaient tous en habits de fête, belle chemise pour les hommes, ensemble aux couleurs coordonnées pour les femmes.

Quelle joie de voir les sœurs maquiller l’une, mettre les boucles d’oreilles de l’autre, chercher enfin le bracelet de la troisième. C’était un vrai moment de paradis. Je suis sûre que Mère devait être très fière de ses filles depuis le ciel.

Quelle belle messe célébrée par Marco, évêque auxiliaire de Guayaquil !

Ci-dessous, une photo d’un grand-père, Don Carlos et une photo de la messe.

Don Carlos est cubain. Il a fui le régime de Fidel et ayant tout laissé – sa famille, sa fortune, son travail – il s’est mis à travailler dans le port de Guayaquil pour le transport des bananes. Déstabilisé, il a commencé une vie volage, entre femmes, bateaux, voyages. Il a tout perdu et surtout le contact avec sa famille et ses enfants de Cuba. Il y a deux ans, il a eu un accident de travail. Comme son problème n’a pas été pris à temps, sa jambe a dû être coupée. Sans personnes et sans ressource (il n’y a pas de CMU, ni de sécurité sociale ici), il a atterri au foyer des Missionnaires de la Charité. Carlos est un homme cultivé et intelligent, il partage maintenant sa vie avec des grands-pères pour la plupart déments ou séniles. De honte, il ne veut rien dire à ses enfants et attend la prothèse avant de penser repartir un jour à Cuba. Il ne veut pas que ses enfants le voient ainsi diminuer. Le verront-ils un jour ?

J’aime beaucoup passer du temps chaque lundi matin avec don Carlos. Nous jouons à Puissance 4 tout en discutant de sa vie, ses femmes, Cuba, ses voyages. Il me conseille sur quels bons poissons acheter, comment les cuisiner…

Prions pour que la prothèse ne tarde pas trop. La compagnie des autres grands-pères fous l’incommode beaucoup. Il devient parfois très amer. Les médecins lui ont dit qu’il fallait attendre au moins deux ans pour pouvoir avoir le moignon avec la taille définitive et lui faire une prothèse bien adaptée. Les deux ans viennent juste de s’écouler. Prions pour que les sœurs trouvent les moyens concrets pour permettre à Carlos d’avoir un jour cette prothèse et de pouvoir peut-être un jour repartir.

Chers parrains, j’aurais encore tellement de choses à vous partager : le miracle de la fête du 15 septembre : fête patronale de Points-Cœur où nous avons rencontré la mère des douleurs en chair et en os : Dona Ramona, venant chercher de l’aide pour son fils cloué sur la croix de la schizophrénie depuis plus de neuf ans et sans médicaments.

Mais je garde tout cela pour une prochaine lettre. Je remets son fils Nexhar et sa maman à votre prière. Un hôpital privé est prêt à lui fournir les médicaments en lui couvrant 80 % des frais, reste à Nexhar d’accepter l’hospitalisation et de faire les examens, afin d’évaluer le dosage des médicaments dont il a besoin.

Sa maman a fait le pas, lui refuse encore l’aide qu’il pourrait avoir. Il est très violent avec sa vieille maman. Merci de les confier à Notre Dame dans votre prière du chapelet.

En grande communion de prière autour de Notre Dame,

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Edith, de Point-Coeur
Publié: 01/06/2010