Noël 2015 en Syrie

Deux lettres venues de Syrie.

D’un frère mariste

Vous avez offert à chacun des enfants d’Alep un peu de rêve pour Noël. Vos dons leur ont permis pendant quelques heures de sortir du quotidien de la guerre, maillons d’une chaîne d’espoir entre la France et la Syrie.
Un immense merci aux Maristes bleus qui se sont tant investis à Alep pour réaliser le Noël des enfants dans des conditions particulièrement difficiles.
Voici le mot de Fr. Georges Sabé des Maristes bleus. Il témoigne de l’incroyable solidarité présente sur place, de l’importance des programmes de rescolarisation des enfants que nous soutenons et continuerons à soutenir en 2016. Il nous offre le plus beau cadeau de Noël dont nous puissions rêver.

Le cadeau de Noël
C’est une histoire vraie, celle que je vais vous raconter. Je l’ai vécue moi-même cette semaine. Je ne veux pas que le temps de Noël passe sans la partager avec vous.
Lundi 21 décembre vers 11 h 00 du matin, la maman de Hiba m’appelle. Elle demande un rendez-vous urgent.
Hiba est la 6ème d’une famille de 7 enfants. Elle est en grande section de notre projet « Je veux Apprendre ». Quand ses parents étaient venus l’inscrire, elle était une enfant renfermée sur elle-même, triste, très difficile à approcher… Elle ne parlait pas et quand on réussissait à lui arracher un mot, c’était uniquement… Asma. On découvrit par la suite que sa sœur « Asma, 5 ans, avait été tuée par un éclat d’obus. Et depuis ce jour-là, notre petite Hiba peinait à vivre ou plutôt à survivre… Tout, dans sa vie, s’était arrêté avec la mort de Asma...
Quand nous lui avions offert une poupée de grande taille… elle l’a appelée Asma. Elle ne la quittait pas. Elle la perdra, une nuit de mars 2015 quand des mortiers sont tombés juste à côté de son domicile provisoire. Sa famille a dû errer un certain temps avant de trouver un nouveau pied à terre.
Aujourd’hui, Hiba est devenue une enfant épanouie qui accepte de sourire et de s’ouvrir au monde.
Si j’ai parlé de Hiba, c’est pour dire l’ampleur de la souffrance de sa maman.
Elle est, donc, venue au rendez-vous. Elle était là, digne, sobre et respectueuse. Dans mon cœur, montaient plein de questions : De quoi va-t-elle me parler ? Comment pourrai-je l’aider ?
Elle commence par me dire : « Je sais d’avance que ce que je vais te demander aura une réponse qui jaillira de ton cœur. »
Je l’écoute attentivement… Cette journée était, déjà, pour moi assez chargée en cette période de fin de trimestre.
Elle ne dit rien de Hiba… Avec une voix triste, les yeux accablés par la douleur, elle me demande d’accepter Aya dans le programme « Je veux Apprendre ». Elle m’explique la situation : Amer (14 ans), Ammar (10 ans) et Aya venaient de perdre leur maman par un tir de mortier qui est tombé sur leur maison située dans un des quartiers à haut risque. Leur papa avait déjà été tué il y a 3 ans. La pauvre veuve travaillait avec la maman de Hiba. Les amies de la maman décédée ont fait une collecte et sont allées trouver les enfants et leur ont remis leur petit don. Elles les ont trouvés, seuls chez eux, dans un état pitoyable.
Vous ne doutez sûrement pas de ma réponse qui a fait briller une lueur d’espoir dans les yeux de la maman de Hiba. Elle m’a confié qu’elle exécutait ainsi un vœu de la maman de Aya qui, à maintes reprises, avait souhaité de tout son cœur que sa fille intègre le projet « Je veux Apprendre ».
Mercredi 23 décembre, dernier jour du trimestre, jour de célébration et de fête, jour de joie, jour tant attendu par les enfants… Aya était parmi nous. Nous l’attendions… Son cadeau était prêt.
Mais en réalité, elle était le cadeau de Noël pour nous et sûrement, elle l’est pour vous.

Noël 2015
Pour les Maristes bleus
Fr. Georges SABE

De l’archevêque d’Alep

Voici une lettre que nous avons reçue ce week-end de Jean-Clément Jeanbart, archevêque d’Alep, qui nous a beaucoup émus.

Chers amis,
En cette nuit de Noël, je suis triste. Je sens un grand besoin d’écrire, de vous écrire, vous les plus proches de mes amis, ces quelques lignes pour vous prier d’accepter de partager avec moi une part de mes préoccupations et de ma souffrance. je suis triste et j’ai besoin de vous sentir tout près de moi pour soutenir ma résistance, m’encourager et prier le Nouveau-né de remplir mon cœur sombre et endolori de la chaleur de sa rayonnante présence, source de toute espérance et de toute libération !

Je suis triste de voir un grand nombre de chrétiens quitter ce pays qui leur appartient depuis la naissance de l’Eglise et partir vers l’étranger en exil, loin des leurs et de tout ce qui leur permettait de vivre sereins dans une société chaleureuse et paisible qui les rendait heureux, autant si ce n’est plus que n’importe où ailleurs.

Je suis triste de voir cette guerre injuste et sauvage continuer à semer partout terreur et insécurité sous les regards indifférents des grandes nations qui balancent toute initiative de pacification par leurs tergiversations douteuses et incompréhensibles.

Je suis triste d’apprendre que près de 300.000 personnes humaines ont perdu leur droit sacré à la vie exécutées au nom du Créateur lui-même. Que d’orphelins de veuves et de handicapés cette guerre folle a généré pour le grand malheur de notre société et que de larmes ont coulé des yeux des innombrables femmes innocentes qui ont tout perdu dans ce monde violent et inhumain.

Je suis triste de voir notre pays en pleine destruction après avoir vu un développement remarquable et bien méritoire. Des milliers d’écoles hors d’usage, des maisons innombrables détruites, des hôpitaux en grand nombre démolis, des centrales électriques mises hors d’usage et des usines ravagées par milliers. Que de sites archéologiques témoins d’une longue histoire et d’une civilisation incomparable annihilés et que d’Eglises chrétiennes mises hors d’usage !

Je suis triste de voir notre peuple vivre dans la disette, sans ressources, sans eau ni électricité faisant la file pour recevoir une aide alimentaire modeste, après avoir été lui-même un peuple laborieux et connu pour sa grande générosité envers les besogneux.

Je suis triste parce que je ne sais plus comment dire des mots d’encouragement à mes fidèles qui sont à bout de souffle et qui perdent de jour en jour ce qui reste de l’espoir qu’ils avaient su garder jusqu’aujourd’hui malgré tout ce qui leur arrivait.

Je suis triste sans le dire aux miens. Mais je le dirai quand même au Seigneur de toutes les grâces cette nuit à la Messe, pour lui demander de venir à notre secours. Je Lui demanderai pour ce Noël un cadeau qui puisse redonner le sourire à notre peuple chéri, je lui demanderai de tout mon cœur qu’Il fasse naître avec sa naissance la tendresse dans les cœurs endurcis, l’amitié entre les hommes et la Paix dans notre pays.

Je suis triste chers amis, ne me laissez pas seul, accompagnez moi de vos prières et de votre affection amicale. Et que ce Noël soit pour moi source de consolation et pour vous source de joie et de bonheur !

Sincèrement vôtre,

Alep le 24 décembre 2015

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Georges SABE

Frère mariste à Alep.

Jean-Clément JEANBART

Archevêque gréco-catholique d’Alep, Syrie.

Publié: 01/01/2016