Que faire de son argent ?

Suggestion pour un chrétien précautionneux

"Si on veut avoir un peu d’argent devant soi, il faut le mettre de côté" dit l’humoriste Raymond Devos. Il est humain, normal que l’on veuille garder cet argent, pour un projet, pour le futur, pour financer des études, marier ses enfants ou les aider à démarrer.

Les médias, radios, télévisions, journaux regorgent de publicités, les banques sont intéressées par notre argent, nous promettent monts et merveilles.

Alors si un jour nous avons la chance d’avoir la possibilité d’épargner, dans notre monde capitaliste, peut-on le faire en ayant l’impression que notre argent sera utilisé pour le bien commun, tout en ayant des chances de ne pas le perdre ?

Nous les riches (nous le sommes puisque pour la plupart nous avons la chance de pouvoir communiquer avec un matériel qui n’est pas encore de première nécessité), nous sommes-nous posé la question de savoir si l’argent que nous plaçons est utilisé pour le bien de l’Homme, ou sommes-nous uniquement intéressés par la “performance du produit” ?

La rentabilité de l’investissement est sans doute notre seul critère. C’est en tout cas celui que nous propose notre banquier, en la pondérant simplement par le risque. C’est elle qui sert, pour pouvoir financer son logement, acheter une voiture, pour préparer la réfection du clocher, pour pouvoir rendre plus confortables les salles de réunions, pour refaire un jour le chauffage de l’église.

Comme pour la plupart d’entre nous, nous ne savons pas, nous n’avons pas le temps, et les banquiers nous ont prouvé que nous étions le plus souvent incapables de gérer directement en détail notre argent, et qu’il ne faut pas mettre tous les œufs dans le même panier, nous plaçons en majorité celui-ci dans des SICAV (Sociétés d’Investissement à Capital Variable) ou dans des Fonds Communs de Placement (FCP) : les fonds profilés (prudents, équilibrés, dynamiques), les fonds à risque, les fonds communs spécialisés dans l’innovation etc.

1 100 SICAV, plus de 2 000 FCP sont commercialisés en France en cette fin 2000. Il ne se passe pas de semaine ou l’on ne trouve pas dans sa boîte à lettres des publicités pour un produit miracle... En souscrivant, nous devenons, par l’intermédiaire de ces organismes, actionnaires de toutes sortes de sociétés.

Et ce n’est qu’en 1983, en France, que sœur Nicole Reille a demandé à une société de bourse de lui proposer un fonds de placement qui ne comporterait que des entreprises "à visage humain".

Enfin quelqu’un osait demander à son banquier d’ajouter explicitement des critères moraux dans les objectifs que devaient poursuivre les entreprises choisies dans les fonds de placements ou les SICAV.

En France renaissait (après tout, elle est déjà dans saint Thomas d’Aquin, et dans une certaine mesure, dans quelques phalanstères au XIXe) la notion de fonds éthique.

Les fonds éthiques : historique et critères

La communauté de PSN comprenant de plus en plus de monde, je n’ai pas eu de difficulté à trouver des connaisseurs en la matière, voici donc l’histoire des Fonds éthiques racontée par Grégoire Postel-Vinay.

La question de l’investissement de ressources socialement responsables est très ancienne : elle a ses sources dans de nombreux textes fondant les cultures juives, chrétiennes ou musulmanes, notamment.

Au milieu du XVIIIe siècle, elle est considérée par John Wesley, le fondateur du méthodisme, comme le second point le plus important des enseignements du Nouveau Testament (ce qui a quelque importance, compte tenu de ce que plus de la moitié des actifs mondiaux d’actions sont détenus par les Etats-Unis, où cette doctrine a une influence notable). Weber en renforce les fondements théoriques.

Cela se traduira, s’agissant de l’investissement collectif, par de premiers outils un peu frustes, dont celui des Quakers en 1923, dévolu à éviter aux investisseurs les placements bénéficiant du jeu ou de l’alcool, en période de prohibition.

A partir des années 60, ces outils vont prendre de l’ampleur et se diversifier, traitant à la fois d’attentes au regard des droits de l’homme, de préoccupations pacifistes ou écologistes, du sort de minorités : ils seront par exemple utilisés pour les mesures économiques anti-apartheid, jusqu’à la demande de levée de ces sanctions par Nelson Mandela en 1993. Jusqu’à cette date toutefois, de tels fonds n’excèdent jamais 1 % de l’épargne investie en actions, et ont donc un rôle économique assez marginal.

Mais c’est surtout avec la croissance très importante des fonds de pension et de façon générale, de la gestion collective de l’épargne, que ces fonds prennent un essor, à partir de cette date. A tel point qu’une étude récente du laboratoire d’économétrie de l’Ecole polytechnique fait état de 10 % des fonds d’actions gérés aux Etats-Unis comme intégrant des critères éthiques dans leur gestion, ce qui en fait un phénomène nouveau et d’ampleur significative.

Les objectifs que se donnent ces fonds ne sont pas uniformes ; on peut schématiquement les regrouper aujourd’hui en quatre grandes catégories :

a) Exclusions d’activités interdites par les premiers fonds éthiques ("sin products") ; ceci concerne :
 le tabac
 l’alcool (bières, vins et spiritueux)
 le jeu
 les entreprises d’armement

b) Exclusions liées à des préoccupations d’ordre environnemental :
 liens avec l’industrie nucléaire
 industries jugées nuisibles au regard des émissions de gaz à effet de serre ou de rejets polluants (à noter que ce critère n’est pas nécessairement cohérent avec celui lié au nucléaire, d’un point de vue économique)
 destruction massive de forêts tropicales, atteintes à la biodiversité
 production ou recours massif aux pesticides
 certaines exploitations minières, en tant que portant atteinte excessive à l’environnement
 atteintes jugées abusives à la vie animale (fourrures de bébés phoques, OGM, cosmétiques ou médicaments ayant recours à certaines expérimentations animales...)

c) Exclusions liées à des pratiques sociales jugées inadéquates ; ceci porte sur :
 le non-respect du droit syndical
 un respect insuffisant des critères d’hygiène et de sécurité des salariés
 la pratique de la corruption active ou passive, les donations à des partis politiques en dehors des limites légales (ce qui en soi pose un problème de cohérence doctrinale, car ces limites varient dans de larges proportions d’un pays à l’autre, tandis que les entreprises, comme les fonds, sont de plus en plus globaux).
 l’existence de pratiques discriminatoires, ou d’une inégalité des chances. Comme dérivé de cette question, un traitement jugé abusivement différencié par un même groupe de ses salariés selon qu’ils se trouvent dans le tiers monde ou dans un pays développé (par exemple, pour le traitement sanitaire du sida en Afrique)
 l’absence de transparence sur les pratiques du groupe, au regard de critères “éthiques”
 l’investissement dans des pays dont le régime fait l’objet de sanctions économiques par la communauté internationale (Afrique du Sud dans le passé, Birmanie... le caractère “à double tranchant” de ces positions donne lieu du reste à des évolutions jurisprudentielles de ces fonds).

d) Soutien explicite à des minorités ou à des populations défavorisées :
 soutien à des investissements dans le tiers monde, avec des buts d’aide au développement
 soutien à des minorités ethniques, sexuelles, ou à des actions particulières relatives à la famille, aux enfants, aux femmes, etc. (à noter que l’on trouve dans ces derniers critères l’expression de valeurs sont parfois en opposition frontale : il n’y a pas un “politiquement correct” uniforme des fonds éthiques). Ces “fonds communautaires” représenteraient fin 1999 5,4 Mds$, en croissance de 35 % par rapport à 1997.

Comment cela fonctionne-t-il ?

PSN a la chance d’avoir parmi ses amis Jean-Paul VIGIER, président du comité du label Finansol, fondateur de la Société d’Investissement et de Développement International (SIDI), qui m’a dit ceci :

Distinguons d’abord deux choses fondamentales :
 Les fonds éthiques, qui investissent dans des valeurs cotées mais filtrées en fonction d’une approche morale de l’économie : pas de tabac, pas d’alcool, pas d’armement, etc. ou qui investissent dans des entreprises qui pratiquent une politique salariale, commerciale environnementale donnée.
Exemple : Le fonds “Nouvelle Stratégie 50” géré par la société de bourse Messchaert et qui a été créé par sœur Reille. Ce fonds, au demeurant très rentable, investit dans des entreprises choisies en fonction de leurs résultats mais aussi d’une grille d’analyse élaborée par la CEGOS.
 L’association “Ethique et Investissement” réunit les souscripteurs de ce fonds. C’est le premier fonds éthique français créé en 1983 et qui fonctionne parfaitement.
Une société, ARESE, créée par la Caisse des Dépôts et les Caisses d’épargne, donne des informations sur les placements en fonction d’une batterie de critères. Ces deux organismes sont très sérieux et très compétents.

Les fonds solidaires ou de partage.

Ce sont des placements qui peuvent être éthiques ou pas (c’est-à-dire filtrés) mais qui donnent, aux souscripteurs la possibilité de donner une partie du revenu de leur placement à une organisation solidaire ou caritative soit de placer tout ou partie de leur épargne directement dans le capital d’un organisme financier solidaire.

Exemple de fonds de partage : le FCP “Faim et Développement” créé par le CCFD en 1983 qui a permis d’alimenter financièrement la SIDI (Société d’Investissement et de Développement International. Cette dernière a investi dans la création de sociétés financières ou de banques solidaires dans une quinzaine de pays en développement permettant la création de quelques milliers d’entreprises de petite dimension.

Exemple de fonds solidaire : le FCP “Insertion-Emploi” créé et géré par la CDC et les Caisses d’épargne et qui investit 10 % de son encours dans des entreprises d’insertion.

Enfin le FCP “Habitat et humanisme” géré par le Crédit Lyonnais qui permet à l’association “Habitat et humanisme” à travers une SCPI d’acheter et d’aménager des logements pour les mettre à la disposition de familles en difficultés. Cette association a été créée et est dirigée par un prêtre, le père Devert, ancien promoteur immobilier à Lyon.

Toutes ces initiatives visent, non pas à assister ou encore moins à créer une économie parallèle, mais à faciliter l’insertion économique et donc sociale et professionnelle de personnes qui en sont exclues.

Ce mouvement s’est inspiré des expériences de “microfinance” réalisées depuis vingt ans dans des pays du Sud et qui sont maintenant largement reprises par la Banque mondiale et les autres organismes financiers internationaux.

La plupart des organismes de financement solidaires sont regroupés dans l’association FINANSOL dont je suis président. Dans cette association se retrouvent aussi les réseaux bancaires qui gèrent des produits de partage : CDC, Caisses d’épargne, Crédit Mutuel, Crédit Coopératif.

Finansol délivre tous les ans un label qui garantit la transparence dans la collecte des fonds et leur utilisation à des fins de solidarité.

Il est donné en toute indépendance par un comité qui réunit des banquiers, des journalistes, des organisations syndicales et de consommateurs

Finansol peut vous fournir toutes les informations que vous souhaitez.

Je crois qu’il est nécessaire de bien faire la distinction entre placements éthiques et placements solidaires.

Les premiers bénéficient en général d’une bonne rentabilité mais ils permettent de placer son argent selon sa conscience et donc d’influer un peu sur l’économie.
Les placements solidaires permettent d’aller plus loin car ils donnent à des organismes financiers, par le jeu des investissements, des prêts ou des garanties, la possibilité de financer des projets ou des entreprises dont les promoteurs ne disposent ni des revenus, ni du patrimoine nécessaire pour prétendre à des concours financiers du secteur bancaire traditionnel.

Au fond, il s’agit de réinventer à notre époque ce qui s’est fait dans le temps avec les monts-de-piété, puis le Crédit Mutuel par exemple.

[bleu marine]Quelques remarques[/bleu marine]

Plus de trois mille produits financiers de placement sont proposés au public et seulement une quinzaine de fonds ou de Sicav en France, 160 aux Etats-Unis. (La Croix, 16/11/2000) Qu’attendons-nous pour bousculer nos banquiers ? C’est notre devoir de citoyen et notre devoir de chrétien.

Les fonds éthiques ne sont pas des placements de misère : les performances en 2000 ont été jusqu’à 55,94 %

L’Église catholique traite avec beaucoup de méticulosité les problèmes de vie sexuelle et familiale ; nous souhaiterions qu’elle apporte le même soin à la morale financière et à la morale économique.

Il n’est pas dans la vocation de Port Saint Nicolas d’ouvrir le débat sur le sujet, mais Grégoire Postel-Vinay sur ORSE ou Jean-Paul VIGIER répondront volontiers à vos questions, ou tout simplement, écrivez-moi, je transmettrai.

“L’argent n’a pas d’odeur ?”
Il semble qu’on peut lui en donner une : si ce n’est une odeur de sainteté, cela peut être une odeur d’humanité.

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Olivier JULLIEN de POMMEROL

Equipier de PSN († 2018)

Publié: 31/10/2000