Saint Jérôme pénitent (vers 1630)

Georges de La Tour (1593-1652)

Huile sur toile. 157 x 100 cm.
Musée de Grenoble.

Saint Jérôme au XVIIe siècle

Saint Jérôme, 347-420. Secrétaire du pape Damase 1er entre 383 et sa mort en 384.
A Bethléem, poursuit son travail de traduction.
Le Moyen-Age et la Renaissance avaient aimé représenter Jérôme dans un cabinet de travail luxueux, revêtu de la pourpre cardinalice, et accompagné du lion dont il aurait soigné la patte et qui lui aurait voué une affection éternelle.
Au XVIe siècle, le concile de Trente demande aux artistes de veiller à l’image qu’ils donnent des saints, les priant d’écarter les traditions douteuses au profit d’images plus édifiantes et exemplaires.
Finis les vêtements de cardinal, ou presque… bien que secrétaire d’un pape, Jérôme ne le fut pas, la structuration du cardinalat dépendant du début du 2e millénaire !
Terminé le lion doux comme un agneau…
Terminé le cabinet de travail raffiné…
Désormais, les artistes vont insister sur la simplicité de vie de Jérôme, ses périodes d’érémitisme ou de vie monastique à Bethléem, faisant de lui un pénitent souvent âgé. Les peintres caravagesques vont se délecter de ce sujet qui leur permet de scruter avec rudesse le corps masculin dans sa vieillesse et le mettre en scène dans l’obscurité.
Si le décor n’est plus celui d’une bibliothèque, sa simplicité permet de mettre en valeur les accessoires typiques de la Vanité, le memento mori, la méditation sur la brièveté de la vie. Mais cette économie de décor permet aussi de mettre en valeur le livre, cette Bible tant et tant scrutée par Jérôme.
En effet, face à la Réforme qui, à la suite de Luther, prône un rapport différent à la Bible, il est bon en ce temps de se concilier les plus illustres biblistes de l’histoire… et pour défendre l’usage liturgique du latin, qui pourrait surpasser Jérôme, le célèbre traducteur de la Vulgate ?

La figure de Jérôme par Georges de La Tour

Dans un espace gris, vaguement minéral, sombre, La Tour met en scène la figure d’un grand homme vieilli. Les rides de son visage, les yeux réduits à deux fentes, sa peau tachée, ses cheveux rares, sa barbe désordonnée finement dessinée, son ventre distendu, l’affaissement de sa peau sur son corps frêle, le pied déformé, tout dit l’âge et l’usure du corps de cet homme.
Son manteau pourpre, censé être l’apanage de sa mission au service d’un pape, ne sert qu’à dévoiler ce corps sans fard, brutalement mis en lumière. Mangé, élimé, râpé, il tient plus de la pauvre couverture d’un ermite que de la pourpre honorifique.
Pour mettre en scène son St Jérôme, La Tour élabore une mise en page complexe. En adoptant un point de vue du dessus, il fait basculer l’espace vers nous. Ainsi, son St Jérôme, très grand, ne nous domine pas. Dans une attitude étrange, humble, il semble se plier pour entrer dans l’espace de la toile. Même l’auréole de sa sainteté est à peine visible.

Nul doute : ce personnage est grand. Mais il l’est par son humilité.

Accessoires

Rien ne peut nous distraire de cette silhouette pâle réchauffée par le vermillon de son manteau. Les rares accessoires, au contraire, ne servent qu’à approfondir sa présence.

Fouet de corde,

ou pénitence, pierres, croix,

livre et crâne

sont les instruments traditionnels de la vanité, mais La Tour les ordonne avec subtilité. St Jérôme tient d’une main levée un crucifix, peint de la même couleur que lui-même. Dans l’Ecriture, sans doute a-t-il médité que celui qui voulait suivre le Christ devait prendre sa croix… et de l’autre, une corde teintée des éclaboussures de son propre sang. S’est-il flagellé ? Peut-être. Ce n’est alors qu’un indice de plus qui met en valeur son désir de se conformer au Christ lui-même flagellé. Mais Jérôme n’a pas seulement lacéré sa chair… quiconque a peiné sur une traduction sait la peine du labeur, le supplice de s’user les yeux, de torturer son esprit. Et quiconque a laissé l’Esprit agir en lui à la lecture de l’Ecriture sait bien que l’on n’en sort pas indemne, mais parfois lacéré, crucifié.
Mais ce St Jérôme serait-il si morbide ? Peut-être pas. Des pierres dont il s’est peut-être servi pour s’infliger d’autres blessures, une seule est réellement mise en évidence, son ombre nettement dessinée dans la pleine lumière. Telle un outil préhistorique, elle pointe le livre ouvert, clé de toute l’œuvre. Un livre irradiant, improbable de blancheur, ou alors d’une blancheur telle qu’aucun foulon sur terre ne peut en obtenir de telle. Un livre éclatant comme un matin de Pâques qui fait oublier le crâne contre lequel il est ouvert, relégué dans l’ombre d’un coin sombre, à peine visible et comme vaincu.

Une parole qui ressuscite celui qui s’est laissé creuser

Voici peinte l’humble grandeur d’un géant de l’Ecriture Sainte. Entièrement donné à la Parole du Maître, année après année, page après page, il s’est laissé creuser et lacérer, comme le doux maître. Dépouillé, il a pu accéder au cœur du message : l’Ecriture ne nous conduit pas à considérer la mort, mais la Vie, éclatante, irradiante comme le Christ au jour de la Transfiguration ou au matin de Pâques.
Les yeux et tout le corps mourants, il se plie en une douloureuse salutation devant la Parole qui promet le Royaume à ceux qui renonceront à eux-mêmes devant la Parole qui se fit chair pour lui rendre jeunesse et vie éternelle.

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Venceslas DEBLOCK

Prêtre du diocèse de Cambrai, responsable de la Commission d’art sacré.

Publié: 01/09/2022