10e dim. ordinaire (9/6) : Commentaire

Pendant cette messe ne restons pas “au dehors”, mais assis en cercle autour de Jésus pour l’écouter et faire la volonté de Dieu (évangile). Christ est là, devant nous, comme le vainqueur du Mal (première lecture, évangile). Fixons notre regard sur lui. Nos épreuves sont momentanées et légères par rapport au poids extraordinaire de gloire qu’il nous prépare (deuxième lecture).

Première lecture (Gn 3,9-15)

Ce récit relève d’un genre littéraire que les spécialistes appellent un mythe : ‘mythe’ n’a pas ici le sens d’irréel, mais de récit à l’enseignement si profond que cette histoire vaut pour tous les temps.

Adam, mot qui n’est pas un nom propre, mais veut dire : “l’homme” a désobéi à Dieu en mangeant du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Il a tout expérimenté, le mal comme le bien, il s’est érigé en dernière instance, juge de ce qui est bien et mal. Son orgueil l’a éloigné de Dieu, le voilà nu, nu de Dieu.

L’histoire ne vaut-elle pas pour aujourd’hui - et plus que jamais ?

Le mal en l’homme est plus grand que lui, il a une dimension trans-humaine que le récit exprime par l’image du serpent, qui a trompé Eve, la femme.

Mais sur ce fond cassé se détache une vision optimiste, une prophétie que l’on a appelée à juste titre, le prot-évangile, la première bonne nouvelle. La lutte du genre humain (celui-ci représenté par la femme) sera pénible ; le Mal continuera de la blesser (tu lui meurtriras le talon), mais la descendance d’Eve meurtrira le serpent à mort, et lui écrasera la tête. Il est significatif que, 150 ans avant le Christ, les traducteurs grecs de cette page aient remplacé l’expression “la descendance” par “le descendant” : le Messie. Oui, le Christ a été meurtri sur la croix, mais il a écrasé la tête du Mal. Celui-ci, désormais, peut encore nous meurtrir, et comment ! Mais il ne peut plus nous arracher au Christ. Car le Christ lui a écrasé la tête. Ce Christ, dont l’évangile montrera la puissance sur le prince des démons.

Ta foi est réaliste : elle “encaisse” les meurtrissures que nous fait encore le Mal. Ta foi est optimiste : Christ a déjà écrasé la tête du Mal, même si celui-ci, de sa queue, balaie encore les deux tiers des étoiles du ciel ().

Psaume (Ps 129)

Seigneur, nous voici rassemblés, criant vers toi des profondeurs de notre péché. Ecoute, entends notre cri !

Sans toi, nous sommes nus comme Adam, nous ne pouvons subsister. Mais nous levons les yeux vers toi ; notre âme espère, attend, plus que le veilleur ne guette l’aurore. Car près de toi se trouve le pardon. Tu rachèteras Israël, ton Eglise, de toutes ses fautes. Oui, nous te rendons grâce, car tu nous as déjà rachetés en ton Fils Jésus. Tu es l’amour !

Deuxième lecture (2 Co 4,13-5,1)

Pourquoi Paul s’est-il engagé ? Pourquoi parle (prêche)-t-il ? Parce qu’il y est poussé par sa foi. Une foi, une conviction qui lui fait voir les choses autrement : nous n’allons pas vers un trou, et puis c’est fini. Dieu nous ressuscitera, parce que il a ressuscité le Seigneur Jésus ! Dieu nous placera près de Jésus !

Nous ne perdons donc pas courage, nous ne vivons pas comme des désespérés. Car l’œil de la foi perce le rideau des apparences. Il y a en nous comme deux hommes : un homme extérieur qui meurt, qui va vers sa ruine - et un homme intérieur, créé par l’Esprit au baptême, qui ne mourra pas ; au contraire, il se renouvelle de jour en jour.

Notre regard ne doit donc pas s’attacher à ce qui est provisoire, à ce qui sera détruit ; mais à ce qui ne se voit pas (au Christ invisiblement, mais réellement vivant en nous) et qui est éternel.

Dans cette vision des choses, nos épreuves du temps présent sont légères par rapport au poids extraordinaire de gloire qu’elles nous préparent. Paul prêcherait-il la fuite de nos responsabilités ? Le passif support des injustices, en attendant la consolation du ciel ? Un véritable opium du peuple ? Les chrétiens n’ont pas toujours su éviter cet écueil ; quant à Paul, il nous ramènera les pieds sur terre, dimanche prochain. Mais l’opium du peuple n’est-il pas, aussi, de s’attacher uniquement à ce qui est provisoire, qui sera détruit  ? Nous sommes, aussi et surtout, faits pour la demeure éternelle qui n’est pas l’œuvre des hommes.

Sais-tu pour quoi tu es fait ? Pour un poids extraordinaire de gloire. Pour être placé près de Jésus ! Alors, ne t’attache pas à ce qui sera détruit.

Évangile (Mc 3,20-35)

De nouveau, la foule se rassemble. Jésus est tellement pris, si bien qu’il n’était même pas possible de manger ; c’est lui qui est mangé ! Cet enthousiasme de la foule contraste avec la résistance de ceux qui devraient le mieux le comprendre : sa famille et les “spécialistes de la religion”, les scribes. Dans le récit de Marc, l’intervention de ces deux groupes s’emboîte habilement ; mais, pour la facilité du commentaire, nous les traitons à part.

La rumeur sur les activités de Jésus a dépassé la lointaine et obscure Galilée pour parvenir jusque dans la capitale, Jérusalem. En mal. Car des scribes descendent pour enquêter ; déjà ils concluent : il est possédé par Béelzeboul, mot à mot : Baal, de fumier, ou encore chef de maison - d’où peut-être le : c’est par le chef des démons qu’il expulse les démons. Accusation grave de magie ou de faux prophétisme qui entraînaient, selon le Deutéronome (), la peine de mort.

Jésus, fait inusité, les appelle près de lui et, à la manière orientale, leur dit une parabole, plus exactement il leur fait une réponse imagée, sous forme de question. Comment Satan (mot à mot : l’Adversaire) peut-il expulser Satan ? Si un royaume, une famille se divisent, ils ne peuvent tenir. Ainsi de Satan, s’il se dresse contre lui-même, c’en est fini de lui. Satan n’est pas assez bête pour cela. C’est la preuve par l’absurde.

Vient alors l’affirmation positive où Jésus, discrètement, comme toujours chez Marc, se dit plus fort que Satan ; il l’a ligoté. À nouveau Marc lève un coin du voile qui cache encore l’identité de Jésus : Celui-ci est le vainqueur du Mal.

Suit un avertissement sévère à l’égard des scribes. Amen, Je vous le dis. Le ton est solennel. Dieu est miséricordieux, il pardonnera tous les péchés, même de graves, comme le blasphème. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’obtiendra jamais le pardon. Quoi qu’il en soit des difficultés d’interprétation de ce “péché contre l’Esprit Saint”, dans le contexte présent Jésus veut dire : Dieu a beau vouloir vous pardonner, mais si vous ne voulez pas être pardonnés, Dieu lui-même est impuissant. C’est donc l’endurcissement volontaire, prolongé, les yeux ouverts, le refus d’accepter la miséricorde de Dieu qui est “impardonnable”. La question, pour moi, n’est donc pas : Suis-je pécheur ? (nous le sommes tous) ! Mais : Est-ce que je refuse systématiquement la miséricorde du Père ?

Entre-temps arrive la famille, la mère et les frères de Jésus. Par frères entendez les cousins, selon un emploi du mot encore courant aujourd’hui en Orient ; des passages parallèles ( ; ) nous citent des frères d’une autre mère que Marie. Quant à celle-ci, elle a pu être entraînée de force, à moins qu’elle-même se soit fait du souci : "Il se tue !"

Ils avaient appris le dangereux succès de leur parent. On a dû leur rapporter que des officiels étaient descendus de Jérusalem pour enquêter. Les voilà qui prennent peur : "Cela va nous attirer des ennuis." Car, selon les mœurs orientales, ils sont solidaires et responsables pour les fautes d’un membre du clan. Alors, ils viennent pour se saisir de lui. Ils affirment : Il a perdu la tête ! Représentons-nous l’agacement, la colère de la famille. Ils restent ostensiblement au-dehors, et ne veulent entrer, et encore moins faire partie des gens assis autour de Jésus ; ils se distancient, ils le font demander.

Jésus ne se dérange pas. Il se distancie à son tour : Qui est ma mère, qui sont mes frères ? Les liens de la famille ne sont pas les déterminants ; ce sont les liens de la foi qui comptent pour moi. Ceux qui sont assis en cercle autour de moi, qui écoutent ma parole et la mettent en pratique en faisant la volonté de mon Père, voilà mon frère, ma sœur, ma mère. Un caillou qui tombe jusque dans le jardin des scribes : ce n’est pas le lien de la race qui compte, les païens qui viendront vivre l’Evangile me seront plus proches que vous !

Nous sommes de la famille du Christ, par le baptême qui a fait de nous ses frères et ses sœurs. Le sommes-nous aussi par une foi vraie, assis en cercle autour de Jésus pour l’écouter et faire la volonté du Père ?

Jésus se distancie-t-il de sa mère ? La sentence est à l’emporte-pièce, comme souvent dans les évangiles. Marie, qui retenait tous ces événements dans son cœur pour les méditer ( ; ), qui dans son fiat a fait la volonté du Père plus que tout autre, a aussi été, plus que tout autre, proche de Jésus, mère plus par sa foi que par son sein.

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René LUDMANN c.ss.r.

Prêtre du diocèse de Luxembourg.

Publié: 09/05/2024