Quelques propositions de réflexion concernant le pouvoir et l’autorité

D’abord, résumons quelques constats bien établis :

  • Il y a en chacun de nous un désir d’affirmation, de domination, de pouvoir sur les choses ou sur les personnes.
  • Le pouvoir peut être exercé avec sagesse mais aussi dans l’erreur et même avec perversion, surtout quand il est solitaire. C’est pourquoi les modes de désignation et de contrôle de ceux qui vont exercer un pouvoir sont importants.
  • Le pouvoir découle de l’autorité qui, elle-même, peut tirer son origine du droit, de la place dans une structure ou de la reconnaissance de compétences ou d’aptitudes. Si l’on ne reconnaît pas l’autorité, on échappe – au moins moralement - au pouvoir.

On sait que le mot autorité vient du mot latin « auctoritas » et se rattache, par sa racine, au même groupe que « augere » qui signifie « augmenter », « faire grandir ». La véritable autorité est celle qui fait grandir et progresser dans le bien et dans la liberté. Pour cela, il faut que la véritable autorité ait partie liée avec la vérité.

Ainsi en est-il de l’autorité de Jésus. « On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. » () L’autorité de Jésus exprime la vérité et la charité ; elle suscite la confiance et la conversion qui met en marche. Accueillie, elle est performative.

L’autorité de Jésus est inégalable car, en elle se rejoignent amour et vérité. Elle est le fruit de sa double nature qui lui permet une parfaite obéissance1 au Père, parfaite communion dans l’Esprit et l’accomplissement de la condition humaine.

Et Jésus déplace tout quand il dit clairement : « Ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. » () À cette parole se joignent des actes. C’est l’auto-révélation de Dieu qui s’accomplit par l’incarnation, la vie et la mort de Jésus : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. » () La condition de serviteur n’est pas une image, une façon de parler. C’est bien ce qu’exprime le lavement des pieds des apôtres.

Ce paradoxe est au centre de la Révélation ; Jésus nous révèle l’amour de Dieu, sa miséricorde, l’offre qu’il nous fait de participer à sa vie Trinitaire. Et, nous le savons bien, l’amour rend faible ; celui qui aime devient « chevalier servant » de celle qu’il aime, les parents se dévouent à leurs enfants etc. Le Dieu « tout-puissant » est un Dieu humble qui se livre à nous. Le pouvoir de Dieu réside dans son amour qui le rend faible mais qui, lorsque nous le percevons, nous rend fort et nous attire. Car « ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes ». ()

Ainsi, le désir de domination qui est en chacun doit céder la place à l’humilité, condition de l’autorité morale. À l’inverse, l’autoritarisme (qui est déjà un abus d’autorité) inhibe, étouffe, et peut tuer l’esprit et la vie de ceux qui le subissent. L’autoritarisme dans l’Église fait le lit du cléricalisme et permet les abus sur les esprits, voire sur les corps. La façon de penser et surtout de vivre autorité et pouvoir dans l’Église sont cruciaux pour sa vie et sa mission aujourd’hui et passent par la synodalité.

Pour revenir à la synodalité, il nous faut revenir au baptême. Par lui, nous recevons tous l’Esprit. Si nous nous exerçons à l’accueillir dans l’abandon de tout désir de puissance, de domination et de pouvoir, alors nous pouvons, en pleine humilité, partager la parole que nous livre le prophète et que Jésus redit et accomplit : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. » ( et ) Cette autorité est un don de Dieu et non le produit d’un office, d’une mission ou d’une place dans la hiérarchie. C’est un fondement du « sens de la foi » des fidèles.

La Commission théologique internationale (CTI) nous dit que : « Une Église synodale est une Église de participation et de co-responsabilité. » Il s’agit d’articuler la participation de tous « selon les dons variés reçus de l’Esprit Saint et l’autorité des pasteurs qui ont reçu un don spécifique pour l’édification de tout le corps. » Cette autorité, écrit la CTI, « ne provient ni d’une délégation ni d’une représentation du peuple de Dieu. (n° 67) Ce don « spécifique » des prêtres signifie la grâce sacramentelle reçue pour la croissance et l’épanouissement de ceux dont ils ont la cure, la charge, la responsabilité. Ce don est l’accompagnement d’une modalité de la vie baptismale qui est la leur. Mais cette grâce spécifique ne dispense pas du travail nécessaire à l’acquisition de connaissances (de quelque domaine que ce soit) et ne donne pas automatiquement les qualités ni les compétences à ceux qui ne les ont pas (ou ne les ont pas développées). Faut-il (re)dire que ce « don spécifique » ne fait d’eux ni des surhommes, ni des super-baptisés, que les prêtres sont des hommes comme chacun de nous, et doivent, comme nous tous, être attentifs chaque jour à accueillir la grâce.

Concrètement, il y a abus d’autorité lorsque, s’agissant des charges d’enseignement, de sanctification et de gouvernement, les clercs les accumulent et les accaparent sans partage et exercent un pouvoir exclusif, solitaire et totalitaire. Quand bien même ils se disent responsables « du tout », ils ne sont pas responsables « de tout ». Ces trois charges sont trois aspects de la mission du Christ et tous les baptisés sont prêtres, prophètes, et rois. Si l’on distingue ces charges, pourquoi ne seraient-elles pas dissociables et répartissables sur tous les baptisés selon leurs charismes, compétences et disponibilités, lesquelles peuvent varier durant le cours de la vie. C’est cela aussi la synodalité. C’est ce que permet le droit canonique qui laisse la place à l’initiative et l’innovation. Ainsi le canon 204 § 1 qui fait preuve de prudence : « Les fidèles du Christ sont ceux qui, en tant qu’incorporés au Christ par le baptême, sont constitués en peuple de Dieu et qui, pour cette raison, faits participants à leur manière à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, sont appelés à exercer, chacun selon sa condition propre, la mission que Dieu a confiée à l’Église pour qu’elle l’accomplisse dans le monde. »

Les fidèles laïcs sont de plus en plus nombreux à exprimer un désir de plus en plus marqué de participer à la vie de l’Eglise-institution et d’en assumer une part de charge et de responsabilité pour participer à sa mission. Simultanément, le nombre des prêtres ne cesse de diminuer. N’est-ce pas un signe des temps ?

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Bernard PAILLOT

Médecin cancérologue du CHU de Rouen, titulaire d’un master de théologie.
Coordinateur des sessions « Culture et foi », paroisse de Pleumeur-Bodou.

Publié: 01/11/2020