Bioéthique : Lettre ouverte aux parlementaires

avant la révision de la loi dite "de bioéthique"

Mesdames, Messieurs, comme parlementaires, vous allez être amenés à émettre des votes qui, tout spécialement sur ces difficiles questions de bioéthique, dépassent les traditionnels clivages politiques et vous engagent en conscience. Les enjeux sont tels qu’au-delà de la question immédiate « Que dois-je faire ? », il vous faudra nécessairement vous demander : « En prenant telle option, qu’est-ce que je fais de l’homme ? Vers quel type de société nous orientons-nous ? »

Soucieuse de contribuer au débat public instauré avec les Etats généraux de la bioéthique et de vous aider dans le discernement que vous aurez à faire, l’Eglise catholique vient de publier un document, rédigé par un groupe d’évêques assistés d’experts, intitulé : « Bioéthique. propos pour un dialogue. » (Paris, DDB-Lethielleux, 2009)
Ce document de cent cinquante cinq pages aborde sept questions parmi les plus débattues à propos de la vie humaine en ses commencements : la recherche sur l’embryon ; le prélèvement et la greffe d’organes, de tissus et de cellules ; les modalités d’expression du consentement dans les protocoles de recherche ; le principe d’indisponibilité du corps humain ; l’assistance médicale à la procréation et l’anonymat du don ; l’hypothèse d’une législation sur la maternité pour autrui ; le développement de la médecine prédictive ; enfin, l’extension du recours au diagnostic prénatal (DPN) et au diagnostic préimplantatoire (DPI).

Trop précis pour être résumé, il a pour principal mérite de faire émerger, au fil des pages, quelques grands enjeux pour l’homme et pour la société. L’équipe de Port Saint Nicolas en a relevé ici brièvement quelques-uns… pour vous donner envie de lire le document lui-même.

1°) L’affirmation de l’inaliénable dignité humaine

Pour les croyants, elle découle du statut original de l’homme, créé à l’image de Dieu. Pour d’autres, elle est le postulat indispensable à toute vie sociale. Pour tous, elle fait partie depuis longtemps de notre héritage philosophique et figure dans l’article 16 de notre Code Civil : primauté de la personne, respect de la dignité de la personne humaine et respect de l’être humain dès le commencement de sa vie.
Mais l’histoire montre que le principe de la dignité humaine est d’autant plus souvent réaffirmé (cf. le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et, pour ce qui touche à la bioéthique, en 1997, la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme) qu’il est fragile et toujours menacé par une vision utilitariste de l’homme.

Il nous semble donc important que les parlementaires aient conscience de ce risque et inscrivent leurs éventuelles modifications de la loi de 2004 à l’intérieur du cadre de ces grands principes rappelés dans les déclarations universelles mentionnées ci-dessus. Ces grands principes ne resteront d’ailleurs tels qu’à la condition de n’être pas susceptibles de révision tous les cinq ans !

Disons-le clairement : la dignité de l’homme ne s’acquiert ni ne se perd. Il n’est d’ailleurs pas du ressort de l’Etat de déterminer la valeur relative de diverses formes d’existence humaine, ce qui serait le cas par exemple si la loi attribuait un plus grand droit à vivre à ceux qui sont en bonne santé qu’aux malades, à ceux qui sont doués qu’à ceux qui le sont moins, aux jeunes qu’aux vieillards, etc….
La personne humaine est toujours à considérer comme une fin et non comme un moyen : le bien de la collectivité et le progrès de la science sont des aspirations légitimes dignes d’être encouragées, mais qui n’autorisent pas à porter atteinte à quelque être humain que ce soit, surtout si celui-ci est en situation de fragilité et de vulnérabilité.
Le législateur se devra d’y penser lorsqu’il s’agira notamment de réexaminer la question du  consentement des malades aux recherches biomédicales , voire d’élargir le cadre des  recherches sur l’embryon .
Dans le domaine d’une éventuelle législation de la maternité pour autrui , cela le rendra également sans doute sensible aux « droits de l’enfant » bien plus qu’à un prétendu « droit à l’enfant » !

2°) L’unité de la personne humaine

Est-ce vraiment servir l’homme que de lui dénier la dignité de personne humaine en deçà ou au-delà de seuils arbitrairement choisis dans l’itinéraire qui est le sien depuis sa conception jusqu’à sa mort ? Dans le ventre de sa mère, au fil des jours, des semaines et des mois qui précèdent sa naissance, « l’embryon ne change pas de nature » note le généticien Axel Kahn. Mettre en place des « seuils d’humanité » est donc illusoire… et porte atteinte à l’égalité, principe fondateur de la démocratie.

« Humanité surnuméraire issue de l’AMP, humanité génétiquement incorrecte objet de dépistage, de tri et de recherche sans qu’elle puisse donner son consentement, humanité désirée ou indésirable », autant de discriminations qui, en effet, notent les évêques, aboutissent à un véritable « apartheid génétique » et qui ne sont pas sans conséquence sur notre société, sur l’idée même de solidarité entre des êtres humains, pourtant égaux en droits. Or, le principe d’humanité ne se divise pas.

Il est aussi un autre danger qui guette l’unité de la personne humaine. C’est l’idéologie répandue depuis quelques décennies - surtout en ce qui concerne la  procréation humaine  - selon laquelle le corps humain ne serait qu’un instrument au service d’une volonté, instrument auquel, en cas de besoin, on pourrait trouver des substituts. Beaucoup ont ainsi magnifié la notion de « projet parental » jusqu’à considérer comme secondaire la participation corporelle de l’homme, ou même de la femme, à la procréation d’un enfant.
Est-ce servir la cause de l’homme que d’adopter ce nouveau dualisme qui dissocie le spirituel et le corporel et prétend impunément priver l’être humain de son enracinement biologique et charnel ? Si l’homme ne se réduit pas à son corps, peut-il pour autant s’en dissocier sans disparaître lui-même ?

Dans son Avis n°90 du 24 novembre 2005 sur l’Accès aux origines, anonymat et secret de la filiation, le Comité Consultatif National d’Ethique soulignait justement que la pratique des « mères porteuses » par la « multiplicité d’acteurs génétiques et utérins, brouille la procréation génétique, biologique et sociale ». Avec une filiation aussi floue, comment un enfant pourrait-t-il se construire dans la conscience de son unité profonde ?
La législation française, en interdisant cette pratique, se réfère à un principe ancien du droit, l’indisponibilité du corps humain, qui souligne l’unité du corps et de la personne, en vertu de laquelle vendre son corps reviendrait à se vendre soi-même et donc à violer sa dignité humaine.
Certes, pour concilier l’intérêt thérapeutique d’autrui et la sauvegarde de la dignité humaine, le droit français admet quelques aménagements de ce principe, lorsqu’il s’agit d’éléments ou de produits du corps humain préalablement séparés de celui-ci (don de sang ou même d’organes espérés par de très nombreux malades en attente de greffe). Mais ces aménagements sont strictement encadrés et doivent continuer à l’être pour résister à la logique marchande qui tendrait à considérer le corps humain comme un produit de consommation, source de profit possible.

3°) Le rôle de la médecine et des sciences du vivant

Le rôle de la médecine est fondamentalement de prendre en charge la personne malade pour la soigner en espérant un soulagement de ses souffrances, voire une guérison. Sans nier l’importance et l’intérêt de la médecine préventive (dépistages, vaccinations etc…), il nous faut tout de même dire que la médecine sort de son rôle quand elle quitte le domaine de la pathologie et essaie de transformer les grandes règles régissant la physiologie et la biologie humaines. Est-il bien, par exemple, du domaine de la médecine de modifier l’âge physiologique de la fertilité humaine, voire même de transgresser le caractère sexué de la reproduction ?

Même si la loi dite de « bioéthique » s’attache surtout aux débuts de la vie, signalons, à l’autre bout de l’existence humaine, un autre risque de dérive quant au rôle dévolu à la médecine. C’est la revendication d’un « droit au suicide assisté » qui irait à l’encontre de la vocation des soignants, lesquels se veulent au service de la vie et non auxiliaires de la mort, même s’ils savent que cette vie est précaire et doit finir un jour.
Si l’on ne peut qu’avoir une attitude de respect face à une personne qui a décidé de se donner la mort, le législateur ne peut pas transférer cet acte sur les soignants dans ce que l’on appelle curieusement le suicide assisté, et les mettre en contradiction avec leur engagement professionnel et, pour les médecins, avec le serment d’Hippocrate qu’ils ont prononcé.

4°) Le rôle de la loi dans notre démocratie

La seule ambition du législateur n’est-elle que de suivre l’évolution des mœurs et de traduire l’état de l’opinion publique majoritaire à un moment donné ? La loi n’est-elle que l’expression éphémère d’idées fluctuantes et d’intérêts particuliers divers (par exemple, pour le débat qui nous occupe, ceux, matériels, des industriels de la production pharmaceutique, ou encore ceux, plus politiques, des représentants de partis en quête d’approbation idéologique) ?

Si, comme nous le pensons, la loi vise le bien commun et pas seulement un dénominateur commun à une somme d’intérêts particuliers, elle permet de tracer un chemin d’humanisation en posant à bon escient quelques repères structurant pour l’homme, pour l’institution familiale et pour la société tout entière.

Parmi ces précieux repères, nous avons déjà signalé l’unité de la personne humaine et l’inaliénable dignité de tout être humain, qui s’exprime notamment par l’interdit du meurtre. Cet interdit, dans le champ qui nous occupe, vient contester la pratique des « réductions embryonnaires » associées aux procréations médicalement assistées , et dénoncer la dérive eugéniste rendue manifeste dans l’ extension des indications de diagnostic pré-implantatoire et de diagnostic prénatal . Il est urgent, pour l’avenir de notre démocratie, que le législateur prenne la mesure de ces dérives éthiques et encourage la recherche sur les maladies concernées plutôt que l’éradication des malades à travers la sélection prénatale de masse.
Mais nous pourrions également mentionner ici le respect de la différence des sexes (sauf à faire voler en éclats les notions de paternité et de maternité et l’institution familiale elle-même !) et le respect de la différence des générations qui s’exprime, en négatif, par l’interdit de l’inceste, mais qui, plus largement, doit nous épargner des dérives aberrantes. Les médias ne nous ont-ils pas vanté, il y a peu, la générosité d’une grand-mère acceptant de porter l’enfant de sa fille ?

Ce dernier fait divers et la présentation qui en a été faite par les médias nous fait toucher du doigt le rôle important de la loi pour protéger la société contre elle-même : les principes et valeurs auxquels elle se réfère permettent en effet aux citoyens de prendre un peu de distance par rapport aux pressions émotionnelles et au climat compassionnel entretenu par une série de drames personnels très médiatisés.

Enfin, la loi devrait aussi assurer l’égalité des citoyens devant les ressources limitées de la médecine et de la science en général. Est-il juste de focaliser notre regard et concentrer les crédits affectés à la santé publique sur les seules techniques biomédicales de pointe, quand tant de personnes atteintes de pathologies multiples, de malades chroniques, de personnes âgées manquent de soins peu techniques et élémentaires ?

Au terme de cette rapide évocation des grands enjeux, pour l’homme et pour la société, de notre législation touchant les questions de bioéthique, il nous faut encore, Mesdames, Messieurs, vous proposer un ultime critère de discernement parmi toutes les dispositions qui seront soumises à votre vote, dans le projet de loi lui-même ou dans tel ou tel amendement : Qui, cette loi ou cette disposition particulière, entend-elle servir ou protéger en priorité ?
Comme chrétiens, cette question nous vient de l’Evangile et de Jésus-Christ lui-même, qui s’identifie au plus faible et au plus démuni de nos frères (« Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » Mt 25,40).
Comme citoyens, elle nous semble centrale, s’il est vrai, comme nous le pensons, que le degré d’humanité d’une société se mesure à l’aune de son souci des plus faibles de ses membres, et des protections juridiques dont elle les entoure.

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Philippe LOUVEAU

Prêtre du diocèse de Créteil, ancien équipier de PSN.
Curé doyen de la paroisse Saint-Georges à Villeneuve-Saint-Georges.

Publié: 01/06/2009
Les escales d'Olivier