Sciences, clercs et religieux de l’Antiquité au Moyen-Age

Le présent compendium contient les noms des clercs ou des membres d’un ordre religieux dont la contribution historique au développement de la culture scientifique semble solidement avérée. Il ne prétend pas être exhaustif, et les informations rassemblées ci-dessous manquent parfois de précision du simple fait de leur concision. Certains des personnages mentionnés ont parfois négligé la théologie au profit des sciences, tandis que d’autres ont parfois fait le choix inverse, et que d’autres encore ont trouvé leur bonheur en parvenant à établir un certain équilibre entre toutes les dimensions de leur vocation.
La notice ci-dessous mentionne rarement ce qu’il en a été pour chacun, et ne cherche à juger personne. Le choix des noms retenus ici, qui se veut aussi objectif que possible, comporte malgré tout inévitablement une part de subjectivité et d’ignorance de la part de l’auteur.
Avec la permission de la revue Connaître N° 39 - juillet 2013

À partir des premières années du christianisme jusqu’en l’an 311, date de la fin de la dernière persécution de grande envergure des chrétiens dans l’Empire Romain, la situation sociale précaire des chrétiens ne favorise pas leur participation à la vie culturelle de la cité. Avec l’édit de Milan (313) autorisant la religion chrétienne, puis avec l’édit de Théodose de 391 bannissant les cultes païens dans l’Empire, la situation des chrétiens change du tout au tout en moins d’un siècle. L’édit de Théodose entraîne toute une série de conséquences dont certaines peuvent sembler a posteriori fortement regrettables ; à Alexandrie notamment, le temple nommé Sérapéum (temple dédié au culte de Sérapis servant d’annexe à la fameuse grande bibliothèque) est détruit avec l’accord des autorités civiles et sous l’appui de l’évêque local Théophile.
Toujours à Alexandrie, des émeutes encouragées par certaines factions chrétiennes coûtent la vie à une femme au savoir scientifique et philosophique reconnu, Hypatie (Hypatia), à laquelle sont parfois attribuées les inventions de l’astrolabe et de l’hygromètre, et dont la fin tragique a peut-être été l’une des sources de la dévotion chrétienne à sainte Catherine, martyre réputée pour sa sagesse. Force est donc de constater que la « rencontre » du christianisme avec la culture et la science de l’antiquité gréco-romaine n’a pas,hélas,débuté sous des auspices parfaitement sereins.Ceci n’empêche évidemment nullement que, dès les premiers siècles, des chrétiens aient pu faire preuve d’un grand attrait pour la sagesse et les sciences sous toutes leurs formes. Leur recensement précis est malheureusement devenu une tâche impossible à cause de la distance historique qui nous sépare d’eux.

Saint Augustin


Dès le IIIe siècle, parmi les clercs, l’évêque saint Anatolius de Laodicée (? –283), avant son accession aux ordres ecclésiastiques, compose dix ouvrages de mathématiques aujourd’hui presque entièrement perdus. Un peu plus d’un siècle plus tard, l’évêque saint Augustin (354–430), dans le traité De Genesi ad Litteram, distingue entre les vérités d’ordre philosophique ou scientifique et celles apportées par la révélation biblique en affirmant que l’Esprit de Dieu ne souhaitait pas enseigner par le moyen de la Révélation des faits ne concernant pas directement le salut. Il inaugure ainsi une distinction de principe entre la science théologique et les autres sciences, auxquelles il reconnaît la capacité de rechercher – sinon toujours de trouver – les vérités qui leur sont accessibles. Dans les écrits de saint Augustin, on relève aussi l’idée que Dieu a créé le temps lui-même ; selon Augustin, l’idée de Création divine ne dépend donc pas de la question de savoir si le monde a eu un commencement temporel ou non ; bien des vulgarisateurs scientifiques du XXe siècle n’ont pas distingué aussi clairement qu’Augustin les notions de Création et de commencement temporel du monde, ce qui a malheureusement pu contribuer à donner l’impression de l’existence d’un malentendu – dépourvu en fait de véritables fondements – entre certaines hypothèses scientifiques légitimes portant sur le « commencement » du monde et la théologie chrétienne classique.

À l’aube de ce qu’il est convenu d’appeler le Haut Moyen-Âge, la décomposition de l’Empire Romain s’accompagne de très lourdes pertes sur le plan culturel. Bientôt, l’ancienne librairie de Carthage qui comptait peut-être 500 000 manuscrits, la fameuse bibliothèque d’Alexandrie comptant peut-être 700 000 manuscrits, celle de Pergame et celle d’Athènes disparaissent dans les tourbillons de l’histoire. D’une manière générale, seule une petite partie des parchemins de l’Antiquité a été recopiée sous forme de codex plus résistants à l’usure du temps. Nombre d’érudits hellénisants ont été trop accaparés par une série de débats théologiques brûlants durant l’époque des premiers Conciles pour avoir pu s’intéresser à tous les fruits potentiels d’un tel héritage culturel.

Au cœur du monde grec, Léon le mathématicien (v. 790–v. 869), métropolite de Thessalonique de 840 à 843, remet les sciences à l’honneur à Byzance. L’un de ses élèves n’est autre que le futur saint Cyrille (827–869), évangélisateur des Slaves avec son frère Méthode. À Constantinople même, le patriarche Photius (v. 820–891) est l’auteur d’une œuvre encyclopédique relativement plus littéraire que la plupart des travaux de Léon, le Myriobiblion.
Cependant, malgré de tels personnages brillants et contrairement à ce que l’on aurait pu escompter a priori, l’Empire grec de Constantinople est loin d’avoir joué un rôle moteur de premier plan dans le processus de transmission des savoirs reliant l’Antiquité grecque et le Moyen Âge latin. Un nombre significatif d’acteurs de cette transmission se situe plutôt tout d’abord à l’extrémité orientale du monde chrétien. Une partie importante du savoir grec de l’Antiquité est en effet traduite très tôt en langue syriaque par des juifs et par des chrétiens dont les patriarcats sont séparés de Rome depuis les déchirures issues des conciles d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451). Le prêtre Probus d’Antioche (Ve siècle), le moine Sergius Resh Aïna (? –536) dont les traductions couvrent aussi bien la théologie, la médecine, la physique que la philosophie, l’évêque de Kenneserin en Syrie Severus Sebokht (? –667) qui fait aussi l’éloge de la science mathématique indienne, et Giwargis dit évêque des Arabes (v. 640–724) ont leurs noms attachés à ce travail de traduction.

Peu de temps plus tard, la science arabe, s’appuyant intelligemment
aussi bien sur sa rencontre avec la science mathématique indienne (numération, trigonométrie) que sur le savoir gréco-syriaque, s’élève rapidement au premier rang mondial. Plusieurs traducteurs chrétiens dont le prêtre syriaque Yusuf al Khuri (fin IXe s.–début Xe s.), dont le nom est parfois écrit Yusuf al Qass, contribuent à l’essor intellectuel arabe.

Etymologiae de saint Isidore de seville

À l’autre extrémité du monde chrétien, en Occident, la règle de saint Benoît rédigée vers 528, en réservant aux moines un temps quotidien consacré à l’étude et à la copie de manuscrits, a permis à ceux-ci de transmettre ce que le monde latin avait réussi à préserver du savoir de l’Antiquité pendant les grandes invasions et la chute de l’Empire. Le romain Cassodiore (v. 484–585) devenu moine à la fin de sa vie, a particulièrement contribué à la traduction latine d’ouvrages grecs.
Le moine anglais savant saint Bède le Vénérable (673–735), puis son compatriote Alcuin (735–804) qui devient à la fin de sa vie abbé de Saint
Martin de Tours après avoir dirigé l’école palatale d’Aix la Chapelle, s’inscrivent dans le mouvement général rendant possible l’éclosion d’une brève « renaissance carolingienne ». L’Église prend alors certaines initiatives importantes : en 789, un synode prévoit que chaque évêque établira une école dans sa cité ; en 816, un concile décide d’organiser en chapitres le clergé des églises et précise les mesures à prendre pour assurer dans chaque chapitre le fonctionnement d’une école.

Parmi les évêques occidentaux les plus érudits de la même période, l’on peut citer saint Isidore de Séville (560–636) qui rassemble des connaissances de type encyclopédique dans ses Etymologiae, Raban Maurus (780–856) auquel nous devons trois volumes d’une Physica consacrés aux maladies et aux médicaments ainsi que Gerbert d’Aurillac (v. 945–1004) qui compte parmi les premiers érudits latins à adopter certaines méthodes et notations algébriques développées dans le monde arabe ; il devient pape (999–1004) sous le nom de
Sylvestre II.

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Info

En termes de sciences, rien de ce qui se rapporte aux développements de l’architecture, la cartographie, la musique, la linguistique, l’anthropologie ou l’épistémologie n’a été recensé ici. Soulignons également que l’activité scientifique des clercs et des religieux n’a jamais été exercée de manière autonome, et qu’elle ne peut s’apprécier de manière juste sans tenir compte de tout le contexte d’échanges qui l’a fait naître et qu’elle a parfois aussi suscité.
Le rôle de ferment qu’ont eu de tels échanges dans l’histoire humaine est sans doute bien plus grand que la simple addition des talents individuels recensés
ici. En même temps, ceux-ci demeurent et demeureront toujours
irremplaçables dans la mesure où, pour renverser une formule de Jean Monnet, si rien n’est durable sans les institutions, rien n’est possible sans les hommes...
Il est souvent bien difficile, en examinant la biographie d’un inventeur, d’une personne ayant découvert de nouvelles lois ou fondé une nouvelle discipline scientifique, etc., de faire la part entre ce que le génie de cette personne doit à la société et ce que la société lui doit. L’on ne s’étonnera donc pas qu’il en soit a priori de même pour ce qui concerne le lien entre les personnes ci-dessous mentionnées et leurs institutions ecclésiales respectives :
dans quelle mesure ces institutions sont-elles liées aux découvertes de leurs membres ? La réponse à cette question est d’autant plus difficile a priori qu’elle a pu varier en fonction des individus, des époques, voire des domaines scientifiques concernés. Comme l’on pourrait s’y attendre, l’ordre des jésuites, dont la vocation intellectuelle a toujours été l’une des caractéristiques les plus visibles, se retrouve particulièrement bien représenté dans ce « palmarès ». Les prêtres catholiques séculiers sont également relativement nombreux. La comparaison, pour être plus juste, devrait tenir compte des effectifs respectifs des congrégations. Proportionnellement parlant, le clergé anglican, qui a
toujours conservé des liens importants avec les grandes universités
britanniques, se distingue ici d’une manière tout à fait éminente. Du côté catholique, quelques congrégations de taille modeste comme les minimes et les piaristes comptent également un nombre intéressant de représentants dont la vocation scientifique a parfois des origines complexes. Rien, en particulier, ne semblait prédisposer les frères minimes à jouer le rôle intellectuel de premier

plan qui fut le leur au XVIIe siècle. Leur règle, très austère, leur interdisait, par
souci de modestie, d’obtenir le titre de « docteur » à l’université.
Paradoxalement, il se trouve qu’une telle interdiction, en les dispensant de l’archaïsme des enseignements délivrés en Sorbonne, a renforcé leur ouverture d’esprit à un point tel que leur couvent de la place des Vosges, à Paris, est devenu l’un des foyers d’activité intellectuelle les plus actifs du Grand Siècle.
Le présent article ne contient aucun bilan, aucune statistique globale. C’est là l’une de ses limites les plus manifestes. Il ne s’aventure à tirer qu’une seule conclusion : le nombre de clercs et religieux ayant contribué au développement des sciences, ainsi que l’importance scientifique de leur contribution, apparaissent a posteriori bien plus significatifs que ce que beaucoup de nos contemporains semblent la plupart du temps s’imaginer, et il n’existe pratiquement aucun domaine scientifique duquel ils aient été absents.
L’ordre retenu pour la présentation de ces personnages correspond globalement à celui de l’histoire des sciences. Dans certains cas, notamment pour le XVIIe siècle, il a paru naturel de regrouper certains ensembles de
personnages non seulement par grandes disciplines (sciences physico‑
mathématiques, sciences de la vie), mais aussi par pays (Italie, France,
Royaume-Uni, États germaniques, etc.) du fait des fortes dynamiques régionales de cette période, aboutissant à la fondation d’un bon nombre
d’académies scientifiques. Á partir du XIXe siècle, en revanche, les
communications internationales entre les chercheurs s’accélèrent à un tel point qu’il a paru plus judicieux de regrouper les acteurs en fonction de leur seule spécialité scientifique, sans tenir compte de critères géographiques ayant perdu leur pertinence.

François BARRIQUAND

Prêtre du diocèse de Créteil, scientifique et sinologue.

Publié: 01/10/2013