La pandémie du Sida en Afrique

Une catastrophe si discrète. Que pouvons-nous faire ?

I. Les faits

Une catastrophe humaine

En Afrique, d’après le rapport d’ONUSIDA de décembre 2000, on compte :

  • 25,5 millions de personnes vivant avec le VIH,
  • 12,1 millions d’orphelins du sida,
  • 3,8 millions de personnes infectées par le VIH en 2000,
  • 2,4 millions de décès dus au sida en 2000.

Si nous comparons ces chiffres aux 800.000 victimes des massacres au Rwanda, aux six millions de juifs éliminés au cours de la shoah, aux vingt millions de morts de la guerre mondiale 1939-1945, nous constatons que la pandémie du sida s’annonce comme le plus grand désastre ayant jamais frappé l’humanité. Un désastre très discret, dont on parle peu. Discret parce qu’indicible.

J’ai voulu avoir une vue plus précise de cette catastrophe. Tirés du rapport d’ONUSIDA, voici quelques faits qui m’ont frappé :

  • L’Afrique de l’Est et l’Afrique Australe (de Nairobi au Cap) abritent ensemble un trentième de la population mondiale et la moitié des personnes vivant avec le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).
  • En Afrique du Sud, 40% des décès entre 15 et 35 ans sont causés par le VIH et près de 50 % à Dar es Salaam. Un sur deux, selon les statistiques de la faculté de médecine de Dar es Salaam.
  • Au Lesotho, pays montagneux à forte majorité catholique, le taux d’infection de la population adulte est de 28%. La majorité des personnes atteintes sont des femmes de mineurs travaillant dans la République d’Afrique du Sud.
  • Au Botswana, 34% des jeunes femmes de 15 à 25 ans sont séropositives. 81% des jeunes ayant eu 15 ans en 2000 mourront probablement avant d’atteindre l’âge de 30 ans. Dans ce pays, l’espérance de vie est descendue de 61 ans en 1980 à 47 ans en 1999 pour chuter à 38 ans en 2005, d’après les projections.

Un étranger visitant Johannesburg, Kampala ou Dar es Salaam ne voit rien d’anormal. Les malades se cachent. Le sida est une catastrophe très discrète. Ces faits m’ont bouleversé. Alors j’ai repris du service, concentrant mes efforts sur ceux qui vivent déjà avec le VIH mais l’ignorent, qui souvent ne veulent pas le savoir et le transmettent à leurs partenaires. C’est ce qu’on appelle la prévention secondaire, particulièrement difficile mais des plus urgentes en Afrique de l’Est et australe.

Qu’en est-il en Afrique de l’Ouest ?

J’ai effectué plusieurs missions dans cette région, pour ONUSIDA, l’agence coordonnant les efforts de l’ONU contre le sida. Le taux de séropositivité est faible : Niger 1,35%, Sénégal 1,7%, Ghana 3,60%. Ces chiffres peuvent sembler rassurants. Pendant un séjour au Bénin, j’ai essayé de comprendre la situation locale. Apparemment elle est bonne avec 4,1% seulement de porteurs de VIH. Cependant, si nous regardons les choses de plus près, nous constatons que s’il n’y avait que 0,9% de futures mères vivant avec le VIH en 1989, il y en avait 2,5% en 1995 et 4,1% en 1999. Cela veut dire que l’épidémie double tous les trois ans, comme elle l’a fait en Afrique australe.

Un point particulièrement sombre : Abidjan, avec ses 16% de porteurs de VIH. De nombreux migrants vont y chercher du travail, souvent pour gagner la dot de leur fiancée. À leur retour, ils lui donnent et la dot et le VIH. Par eux, ce virus atteint les villages les plus reculés du Sahel. La situation risque d’y devenir semblable à celle de l’Afrique de l’Est.

Il est peut-être encore temps de vaincre l’épidémie en Afrique de l’Ouest. J’ai un petit espoir, basé sur l’évolution de la situation en Ouganda. Dans ce pays, le nombre de jeunes femmes de 15 à 25 ans infectées est descendu de 18% à 9%. Explications données : le gouvernement a brisé le silence, parle ouvertement du sida, propose les trois moyens de prévention et a invité toutes les institutions concernées, en particulier les Églises, à intensifier et coordonner leurs effort de lutte contre le sida.

Une catastrophe économique plus grave encore

Cette situation sanitaire alarmante engendre une catastrophe économique dont nous découvrons progressivement l’ampleur. Dans certaines zones rurales, les champs restent en friche faute de bras. Des usines ferment ou ne travaillent qu’au ralenti par suite du décès des cadres. Une raffinerie de sucre au Kenya a vu sa production diminuer de moitié par suite du décès d’un ingénieur chef de cuisson ayant reçu six ans de formation et irremplaçable avant des années. Les ingénieurs des mines de cuivre de Zambie qui disparaissent sont remplacés par des étrangers. Vingt membres du parlement et 1.300 enseignants sont morts dans ce pays. 107 écoles ont dû fermer en Afrique centrale par suite du décès des instituteurs. Les organismes internationaux, tels que l’UNESCO, hésitent à faire des plans de formation de longue durée dont les bénéficiaires mourront en cours de formation.

Dans les banques de Kinshasa, les chefs de service sont plus infectés que le personnel d’entretien. Le pourcentage de personnes séropositives ayant une éducation supérieure est le double de celui des personnes qui n’ont qu’une éducation primaire. Les personnes riches et les détenteurs de l’autorité forment un groupe à haut risque. Ils ont plus facilement accès à des partenaires sexuels multiples.

Nous nous trouvons en face d’une situation catastrophique, tant au point de vue sanitaire qu’économique. Je pense que seul un sursaut de toutes les forces vives du continent, agissant ensemble au coude à coude pourra ralentir la progression de l’épidémie. Dans une telle situation, les Églises, les groupes religieux, les Missionnaires d’Afrique peuvent jouer un rôle très important.

II. Nous, Missionnaires d’Afrique, que pouvons-nous faire ?

Je pense qu’une réponse globale est requise face à l’épidémie. Une telle réponse exige que notre action soit dirigée vers quatre groupes humains qui demandent une attention différente :

  1. Les sidéens en fin de parcours (soutien médical, psychologique, social et économique).
  2. Les survivants : orphelins, grands-parents, veuves, veufs (soutien psychologique, social et économique).
  3. Les personnes vivant avec le VIH : prévention secondaire, c’est-à-dire efforts pour ne pas infecter les autres (ce qui requiert un soutien médical, psychologique et social).
  4. Les personnes saines (prévention primaire).

L’action de chacun d’entre nous dépend de ses dons et inclinations, c’est évident. Mais le danger est que les Églises et nos communautés ne négligent certains secteurs de cette lutte. Je vais faire quelques suggestions basées sur ce que j’ai vécu et constaté autour de moi. Je ne mentionnerai que les points qui me semblent essentiels.

1. Les sidéens en fin de parcours

Les Églises ont une longue tradition d’aide aux malades, tradition qui les a instinctivement portées à l’aide des sidéens en fin de parcours. L’apparition des trithérapies sur le marché est venu donner un nouvel espoir à ces malades. L’action énergique de nombreuses Organisations Non gouvernementales (ONG) a amené les entreprises pharmaceutiques à baisser leur prix de 90%, de 50.000 à 5.000 FF par an environ pour certains pays pauvres, dans certaines conditions. Grâce à cette lutte, certains pays comme l’Afrique du Sud, l’Inde et le Brésil ont maintenant le droit de produire ces molécules à bas prix sans être poursuivis devant les tribunaux. Les autres pays pauvres peuvent-ils se fournir chez eux ? Ce n’est pas clair. L’action des ONG et celle des confrères vivant dans le Nord doit être poursuivie. Ces médicaments sont encore hors de portée pour la plupart des personnes vivant avec le VIH, mais leur existence leur donne l’espoir et les motive à se faire soigner en attendant d’y avoir accès. Cet espoir et cette attente exigent que les dispensaires soient approvisionnés en médicaments à bas prix pour soigner les maladies opportunistes. Ce qui exige souvent une aide extérieure dont nous pouvons nous faire les avocats dans nos pays d’origine.

Les visites à domicile sont très importantes pour combattre le sentiment d’exclusion que sentent de nombreux malades. Tâche à la portée des communautés chrétiennes de base (CCB) et des confrères âgés vivant en Europe ou en Amérique.

2. Les survivants

Orphelins du sida : 12,1 millions. Un chiffre énorme ! Traditionnellement, les orphelins étaient recueillis par leur famille et élevés par leurs oncles ou leurs tantes. Mais souvent ceux-ci sont déjà décédés, suite au VIH. Les grands-parents doivent alors élever leurs petits-enfants, jusqu’à dix ou quinze, alors qu’ils comptaient sur eux pour avoir une vieillesse tranquille. Ils ont besoin d’une aide matérielle en nourriture, en vêtements et en espèces pour payer les frais de scolarité. Et si ces grands-parents meurent, qui élèvera ces orphelins ? Ce ne sont souvent que des adolescents faisant des études secondaires. Ils doivent les interrompre brusquement et vont rejoindre la foule des jeunes sans travail dont ils espéraient sortir. On parle peu de ces jeunes déstabilisés.

Les veuves sont souvent accusées de sorcellerie et d’avoir tué leur mari. Elles doivent prendre la fuite. Au début de la mission, les paroisses recueillaient ces veuves et les regroupaient dans un petit village près de l’église. Cette tradition renaît, par exemple en Ouganda. Les veuves urbaines qui vivent de leur salaire risquent d’être marginalisées, isolées tant sur leur lieu de travail que d’habitation. Elles ont besoin d’un soutien psychologique et social suivi.

3. Les personnes vivant avec le VIH (25 millions) et pouvant infecter les autres. La prévention secondaire.

Les progrès de la chimiothérapie rendent possible la prévention secondaire. Face à une personne ayant un comportement à risque, ou présentant les premiers symptômes de la maladie, je me sens maintenant capable de lui proposer le test de dépistage. Auparavant je me heurtais à la réponse presque automatique : « Le test ? Pourquoi faire ? Il n’y a pas de médicament ! Si je sais que je vis avec le VIH, je vivrai dans la peur de la mort sans que l’on puisse me soigner. Je préfère ne pas le savoir. » Maintenant, je peux dialoguer avec la personne concernée. Je peux aussi parler du test aux fiancés et aux jeunes adultes, par exemple dans la préparation à la confirmation. Cette tâche est urgente. Si les personnes vivant avec le VIH cessaient de le transmettre, l’épidémie s’arrêterait net.

Surtout, un traitement d’un jour de la mère séropositive et de son enfant à la névirapine au moment de la naissance peut faire baisser le taux de transmission du VIH de la mère à l’enfant à 8%. Coût : environ 300 FF, soins compris. Les missionnaires vivant en Europe ou en Amérique peuvent sensibiliser l’opinion publique à ce besoin des centres de santé en médicaments peu coûteux. Par exemple avec une campagne du type 300 FF pour un bébé. La nécessité de stériliser aiguilles et seringues est toujours aussi impérative.

4. Les personnes saines : comment ne pas être infecté par le VIH ? La prévention primaire.

La prévention primaire, par les personnes non encore infectées, me semble très urgente. « Quand la salle de bain est inondée, le plus urgent est de fermer le robinet. » De 1987 à 1990, je me suis surtout occupé de l’aide psychosociale aux malades. Maintenant, avec la Flottille de l’espoir, je concentre mes efforts sur la prévention. Elle doit commencer très tôt. Dans certains pays, comme le Botswana, de nombreux jeunes de moins de 15 ans sont déjà porteurs du VIH. M. Pinto, président de la Commission parlementaire de lutte contre le sida en Ouganda, parle de la Fenêtre de l’espoir, le groupe des 5 à 15 ans, sur lesquels nos efforts devraient porter avant qu’il ne soit trop tard.

Cette prévention est compliquée pour nous par un conflit autour du préservatif. Certains évêques interdisent l’emploi de celui-ci même par les personnes mariées vivant avec le VIH. D’autres insistent sur le « Tu ne tueras pas » et conseillent son emploi dans certaines circonstances. Les conséquences de ce conflit sont dramatiques. Je connais des infirmiers de dispensaires catholiques qui n’informent pas leurs malades de leur séropositivité, car, disent-ils, nous ne pouvons pas leur conseiller le préservatif et nous ne pensons pas qu’ils peuvent pratiquer l’abstinence quotidienne jusqu’à la mort, quand ils vivent dans une seule chambre avec leur femme et leurs enfants. Dans certains pays, les Églises n’ont pas de programme de prévention qui accepte les questions que posent les jeunes et leur donne une réponse qui peut être mise en pratique par tous. Les groupes Jeunesse vivante (Youth Alive) qui préconisent l’abstinence avant et en dehors du mariage atteignent plusieurs milliers de jeunes en Tanzanie et donnent une formation globale pour la vie. C’est exemplaire. Mais des centaines de milliers, des millions d’autres jeunes ne veulent pas faire partie de ces groupes et ne reçoivent aucune formation au contrôle de soi. Pourquoi cette opposition dans certains milieux, y compris chez les Missionnaires d’Afrique ?

Elle s’explique d’abord par une réaction énergique des évêques à certains programmes gouvernementaux donnant une information inexacte. Ces programmes ne parlent que du préservatif avec des slogans du genre, « Le sida, il est facile de l’éviter avec Prudence (une marque de préservatif) » ou « La prévention, un simple geste ». L’expérience montre que ceci est faux. L’emploi de ce moyen artificiel requiert réflexion, décision, achat, conservation, arrêt de la rencontre des corps, reprise de celle-ci, nouvel arrêt maîtrisé, enlever, jeter. Ces opérations multiples requièrent un degré de contrôle de soi qui n’est pas possédé par tous, surtout après ingestion d’alcool. De nombreuses Conférences épiscopales ont protesté contre ces campagnes dans les écoles, comme incitant au dévergondage et donnant une fausse confiance.

D’autre part, l’organisme des Nations Unies chargé des problèmes de population a lancé depuis plusieurs années, dans de nombreux pays, des campagnes pour la diminution de la population, en particulier par l’emploi du préservatif. Celui-ci est ainsi identifié aux attaques contre la famille africaine et chrétienne. Les évêques de ces pays trouvent inadmissible que l’on parle du préservatif pour bloquer la route au VIH car cela affaiblirait, disent-ils, leur condamnation de son emploi pour le contrôle des naissances.

J’ai décrit certaines causes sociales et culturelles du conflit. À un degré plus profond, il y a un conflit de théologie morale. Certains évêques se basent sur l’enseignement donné par Paul VI dans son encyclique Humanae Vitae, en 1968, interdisant l’emploi de moyens artificiels, de la pilule au préservatif, pour la contraception. Il insistait sur la valeur de la vie et sa transmission.

Paul VI écrivait en 1968. Un événement est intervenu depuis, en 1981, l’apparition du sida et en 1983, la découverte du VIH. Nous savons que ce dernier cohabite inséparablement avec les spermatozoïdes et qu’une rencontre sexuelle dans ces circonstances peut transmettre et la mort et la vie. Si un porteur de virus tente de barrer le passage au VIH avec un préservatif, il empêche en même temps la transmission de la vie. Il y a double effet. Un étudiant de première année de théologie sait très bien qu’en cas de double effet nous devons rechercher le moindre mal.

Transmettre un virus mortel semble infiniment plus grave qu’empêcher un spermatozoïde d’atteindre un oeuf par un moyen défendu par une encyclique. Le « Tu ne tueras pas » est incontournable. Demandez à des groupes de fidèles de se poser la question : « En cette matière où est le moindre mal ? » Je n’ai jamais vu un groupe hésiter dans sa réponse. Elle est toujours semblable à celle du cardinal Lustiger qui déclarait à la télévision le 1er décembre 1988 : « Vous qui êtes atteints de cette maladie, vous qui ne pouvez vivre ainsi de cette chasteté, prenez les moyens que l’on vous propose par respect pour vous-même et pour autrui. Vous ne devez pas donner la mort. » La plupart des chrétiens savent apprécier l’importance d’un tel commandement de Dieu. Faisons confiance à la voix de leur conscience.

Dans cette perspective du moindre mal, les discussions sur l’efficacité du préservatif, si vives dans certains groupes, me semblent dépassées, car même si le préservatif ne protégeait qu’à 20 ou 30% seulement, ce qui n’est pas le cas (les plus pessimistes parlent de 40%), il serait encore un moindre mal. Nous avons tous appris cela en théologie. Comment se fait-il que certains responsables religieux l’aient oublié ? D’où peut venir ce blocage des mémoires ?

J’ai passé beaucoup de temps, trop de temps, peut-être à discuter de la question du préservatif à cause de ses conséquences : elle bloque radicalement toute discussion ouverte sur la prévention du sida dans les communautés, les écoles, les radios et les télévisions chrétiennes. Les statistiques établies en Ouganda, en Tanzanie et au Kenya montrent que le pourcentage des chrétiens vivant avec le sida est plus grand que celui des autres religions. Certains médecins appellent le sida une maladie chrétienne. C’est un drame qui ne peut laisser un chrétien insensible.

L’expérience m’a montré qu’une fois expliqués les trois moyens de prévention et données les réponses à toutes les questions du groupe sur le préservatif, alors il est possible de parler de vie, de projet de vie, d’espoir, d’amour, de fidélité, de contrôle de soi, de l’importance de l’abstinence, de parler aussi de la chasteté chrétienne, de fidélité dans l’amour. C’est possible, je l’ai vécu avec les jeunes chômeurs de plusieurs grandes villes.

III. Suggestions pastorales pour temps de sida

J’ai parlé de la Fenêtre de l’espoir de M. Pinto, M.P., pour qui la prévention doit commencer dès cinq ou sept ans. Oui, je suis convaincu qu’elle doit commencer très tôt. Elle ne se réduit pas à une éducation sexuelle au moment de l’adolescence mais devrait être une formation de toute la personnalité pendant toute la vie. Elle est partie intégrante de la nouvelle évangélisation telle que la décrit M. Pivot : « Les Églises ne sont pas présentes au monde pour s’en faire les juges, mais pour repérer les énergies disponibles dans ces sociétés afin de les raviver, de leur donner force » (Un nouveau souffle pour la mission, Éditions de l’Atelier, Paris, 2000). Je vais juste énumérer quelques orientations qui me semblent fondamentales.

1. Conviction que Dieu ne veut pas la mort du pécheur

Les campagnes pour la prévention du sida semblent avoir peu d’effet, sauf en Ouganda. Je pense que cet échec est dû à la conviction profonde que la mort et la maladie viennent de Dieu ou de la sorcellerie. J’ai souvent entendu dire : « La prévention ? Pour quoi faire ? Si Dieu veut que je meure, je mourrai ! » Les professionnels de la santé se sentent désarmés devant cette conviction culturelle qui se transmet de génération en génération.

Mais nous, nous pouvons, nous devons prêcher la Bonne Nouvelle : Dieu est amour, le Dieu de Jésus Christ est le Dieu de la vie. Dieu ne veut pas la mort du pécheur. Aider les croyants à être convaincus qu’ils peuvent lutter contre la maladie, repousser la venue de la mort est une tâche très difficile. Leur en donner les moyens aussi, par l’accès aux soins de santé et aux médicaments. Prêcher le Dieu de Vie devrait être une dimension de toute la catéchèse, depuis le plus jeune âge.

2. Formation à la liberté en Jésus Christ

Le VIH n’est pas transmis par un vecteur extérieur tel que le moustique pour le paludisme. Il est transmis par des rapports humains physiques, profonds et intimes, qui viennent de la libre décision d’au moins un des partenaires. Je suis convaincu que la prévention du sida est avant tout une formation de la liberté en Jésus Christ qui nous fait nous sentir responsables des conséquences de nos actions. Si les chrétiens sont plus touchés que les autres dans certains pays, cela veut dire que leur formation à la liberté n’est pas suffisante pour leur permettre de faire face à l’épidémie. Formation chrétienne fondamentale qui doit commencer dès le jeune âge. Ensuite, plus tard mais pas trop tard, viendra la formation à un comportement sexuel responsable.

3. Formation à l’amour

Amour, cela veut dire que nous voulons le bonheur de l’autre. Savoir que l’action la plus contraire à l’amour du prochain est de lui donner la mort. Apprendre à ne pas se demander seulement : « Est-ce permis ou pas ? » Mais aussi : « Où est le plus grand amour ? » Cette question aide à découvrir où est le moindre mal. Quand je parle à certains groupes, prêche dans certaines églises, je sais que 20 à 30% de mes auditeurs vivent avec le VIH et sont capables d’homicide involontaire. Que leur dire ? Quelle Bonne Nouvelle pour eux ?

4. Lutte contre la sorcellerie

La croyance la plus répandue, me semble-t-il, est que le sida est dû à des actes de sorcellerie. Les personnes accusées de tels actes sont expulsées ou même mises à mort en commençant par les veuves. Comment lutter contre cette conviction mortifère ? Un médecin peut bien expliquer que la maladie est due à un virus. La question surgit : « Qui a envoyé ce virus sur mon frère, mon fils, ma fille et pas sur les autres ? » Une vraie question. Que répondre ? Après tout, l’Église en Europe avec l’Inquisition a combattu pendant des siècles non pas la croyance en l’existence de la sorcellerie, mais son utilisation maléfique par les sorciers.

Saint Paul nous enseigne que la puissance du Christ est supérieure à celle des pouvoirs, des dominations, de tous les êtres visibles et invisibles. Comment développer une catéchèse qui va donner une explication à la maladie, aux accidents, aux malheurs, à la mort ? Une pastorale qui va vraiment diminuer la peur du sorcier et finalement la faire disparaître.

Conclusion

Faire face au sida réclame une approche pastorale globale imprégnant la catéchèse, les sacrements, la préparation à la confirmation et au mariage, les enterrements, toute notre activité pastorale. J’exagère direz-vous ! Pour le Sénégal sans doute, pas pour les banlieues des grandes villes d’Afrique de l’Est, ni pour les camps de mineurs de Johannesburg.

Cela ne se fera pas du haut de la chaire, les croyants sont fatigués d’entendre parler du sida et se ferment les oreilles quand on en parle. Mais un sursaut est peut-être possible au sein des petites communautés de base. Leurs membres peuvent s’aider à prendre conscience de la situation vécue dans leur quartier, avec les départs, les deuils répétés et discuter de l’importance du test dans leur communauté. Elles peuvent donner un soutien psychologique et social à leurs membres infectés, rendre visite aux malades, discuter aussi de l’information et de la formation de leurs enfants, se conscientisant les uns les autres.

Un individu seul a peu ou pas de chances de survivre. Ces petites communautés pourront former des petits îlots qui survivront, ces îlots pourront former un archipel avec tous ceux qui luttent et peut-être devenir un continent. Le sixième, qui émergera là où les autres auront été engloutis. Je suis prêt à lutter à temps et à contretemps pour cet objectif modeste mais réalisable, je pense.

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Info

Note sur la Flottille de l’espoir, une parabole sur le sida

Le sida est comme une inondation. Les eaux montent, montent, montent et beaucoup de personnes se noient. Les autres voient qu’elles seront rattrapées par les eaux et perdent courage. Elles ont oublié que l’on échappe à une inondation en montant en bateau. Il y a trois bateaux pour échapper au sida : abstinence, fidélité et préservatif. Les consignes sont simples : ne restez pas dans l’eau, montez en bateau, le bateau de votre choix, si vous n’êtes pas bien sur un bateau, ne retournez pas à l’eau, changez de bateau.

Publié pour la première fois dans Petit Écho n. 925, 2001/9.

Bernard JOINET s.m.a.

Docteur en théologie et en psychologie, professeur de psychologie clinique à la Faculté de médecine de Dar es Salaam, Tanzanie, ancien président de la commission nationale de soutien psychologique aux personnes vivant avec le VIH

Publié: 01/11/2009