Prier le Notre Père avec Marie : Que ta volonté soit faite sur terre comme au ciel (4/7)
Jn 19, 25-27.
Or près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala.
Jésus donc voyant sa mère et, se tenant près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : " Femme, voici ton fils. "
Puis il dit au disciple : " Voici ta mère. " Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chez lui.
Je voudrais commencer à nouveau par une remarque de grammaire. Comme les deux autres demandes du Notre Père, la troisième est au subjonctif. « Que ta volonté soit faite ». Le subjonctif est proche du futur, il exprime le souhait. L’expression ne veut donc surtout pas dire que ce qui est arrivé, tout ce qui vient d’arriver, c’était la volonté de Dieu. Accepter le réel, c’est une chose indispensable ; mais dire que Dieu l’a voulu c’est tout autre chose.
En d’autres termes, la troisième demande du Notre Père pourrait être déployée de la façon suivante : Seigneur, dans ce temps qui est le nôtre, heureux ou malheureux, fais-nous connaître ta volonté que nous puissions la mettre en œuvre avec ton Esprit. Vous pressentez déjà combien cette troisième demande complète aussi la première. En effet, il ne suffit pas de dire que la sainteté de Dieu se manifeste dans notre vie quotidienne, encore faut-il connaître quels sont les actes qui la manifestent le mieux.
Deux questions fondamentales se posent maintenant à nous. D’une part comment connaître la volonté de Dieu ? D’autre part, comment la mettre en œuvre concrètement ?
Comment connaître la volonté de Dieu ?
Chacun ici, moi compris, nous avons quelque part dans notre cœur le secret désir de connaître avec certitude cette volonté et la connaissant, nous la mettrions en œuvre sans nous poser de question. Nous aimerions tant être à la place du serviteur du centurion à qui il dit « fait ceci » et qui le fait. Au fond, ce serait assez sécurisant mais aussi plutôt déresponsabilisant. Avons-nous été créé pour être aveugles dans notre obéissance, robotisés dans notre agir, ou encore pour être des marionnettes dans les mains de Dieu ?
Nous allons le voir, la volonté de Dieu à notre sujet n’est pas coulée dans le bronze de l’éternité. Il y a une vraie différence entre le désir et la volonté de Dieu sur nous ou encore les appels que Dieu nous lance et ce que nous appelons ici bas une vocation. Ne nous méprenons pas, Dieu veut de toute éternité que nous soyons en communion avec lui et entre nous ; il veut que nous fassions le bien et évitions le mal. C’est sûr et il ne faut pas douter de cela. Cependant, plus nous descendons dans le quotidien de la vie, comme le dirait saint Thomas d’Aquin, moins les choses sont évidentes car les situations sont complexes pour ne pas dire compliquées.
Commençons par imaginer la thèse où Dieu aurait tout écrit, tout décidé pour chacun de nous et tâchons d’en tirer logiquement les conséquences. Revenons à notre ami Rodrigue qui hier hésitait entre épouser Cunégonde ou épouser Artémise. Si Dieu voulait qu’il épouse Cunégonde, en épousant Artémise, a-t-il raté définitivement sa vie ? En fait, on pourrait aussi imaginer que Dieu voulait que Rodrigue devienne prêtre du diocèse de Cambrai. Mais voilà qu’il épouse Artémise ? Rodrigue a-t-il raté sa vie et compromis son salut ? Vous savez bien que la réponse est non et nous allons voir pourquoi. Et si la réponse est non pour des situations aussi importantes que les engagements à vie, la réponse sera encore plus ferme pour les petites décisions de notre quotidien.
J’entends déjà une objection parmi les familiers de l’Écriture que vous êtes. Celles et ceux qui ont lu et médité le Ps 138-139 qui porte sur l’omniscience de Dieu connaissent le verset 16 : « sur ton livre, ils sont tous inscrits les jours qui ont été fixés, et chacun d’eux y figurent ». Ce n’est pas parce que Dieu sait tout ce qui va advenir que c’est lui qui organise les événements. Il sait tout parce qu’il est Dieu et qu’il sait comment nous allons réagir à ses appels, mais parce qu’il est l’amour même, il ne fait pas les choses à notre place. En fait, il veut agir avec nous et pas sans nous.
Autrement dit, Dieu ne reprend pas d’une main ce qu’il a donné de l’autre. En nous créant libres pour être des partenaires, des collaborateurs de sa création, des hommes et des femmes debout, il ne peut dans le même temps nous manipuler à longueur de temps ou nous enfermer dans un programme préétabli. Si Dieu nous a donné la sagesse et l’autonomie, c’est pour que nous nous en servions pour faire le bien et éviter le mal en nous appuyant sur sa grâce. Grâce de Dieu dont je rappelle qu’elle éclaire notre intelligence et incline notre volonté à faire le bien.
Pour aller jusqu’au bout de ma pensée, lorsque nous demandons à Dieu « que ta volonté soit faite » nous lui demandons très exactement de nous aider à faire le bien, à vivre de l’Évangile, à être des témoins de son amour dans toutes les situations que nous traversons. Cela suppose que nous ouvrions notre conscience à son Évangile et à son Esprit-saint.
Les Pères du Concile Vatican II n’ont pas eu peur d’écrire au N° 16 de Gaudium et spes l’expression suivante : « Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal au moment opportun résonne dans l’intimité de son cœur : « Fais ceci, évite cela » ; Car c’est une loi inscrite par Dieu au cœur de l’homme ; sa dignité est de lui obéir, et c’est elle qui le jugera. ». Voyez-vous, lorsque les Pères nous invitent à écouter notre conscience, ils ne nous disent pas de nous éloigner de Dieu mais bien de nous en rapprocher. Faire la volonté de Dieu, c’est construire avec lui, sous l’éclairage de notre conscience droite, le chemin de vie qui sera en harmonie avec notre conscience.
Relisons la troisième demande du Notre Père. Jésus ne nous dit de prier en disant « que ta volonté soit accomplie », mais « faite ». C’est-à-dire, qu’il faut la construire avec lui. Et c’est la grandeur de l’homme que de pouvoir faire cela.
La Vierge Marie est pour nous un modèle en ce domaine.
Lorsque l’ange Gabriel fait son annonce, il ne fait rien d’autre que de lui proposer une vocation. Le Oui de Marie est complètement libre, d’une liberté qui est pétrie de sa fréquentation de Dieu. Mais elle n’est aucunement manipulée. De même, lorsqu’elle consent à la demande de son fils de prendre Jean comme un fils, et avec lui tous les hommes, c’est parce que, au cœur de sa souffrance, elle est encore en communion profonde avec Dieu. Ses deux réponses au début et à la fin du passage du Fils de Dieu sur terre sont des réponses en pleine harmonie avec sa conscience. Un des signes de cela est le cri de joie du Magnificat qui atteste de cette unité entre la volonté de Dieu et celle de Marie au plus profond de sa conscience.
Une bonne décision nous laisse toujours dans une paix et une joie telles que, le monde entier pourrait s’opposer à nous, rien ne nous fera bouger.
Quels chemins pour éclairer sa conscience ?
Mais alors quels chemins pour éclairer notre conscience ?
Les chrétiens ne cherchent pas à avoir une bonne conscience au sens populaire de l’expression. En revanche ils s’exercent à éclairer leur conscience et à lui obéir. Dans l’Église, nous parlons alors de conscience droite. Et sans jeu de mots, avoir une conscience droite, c’est être droit avec sa conscience.
C’est ainsi qu’à chaque fois que je ne sais plus quoi faire, que l’évidence de l’agir quotidien se perd, surgit la question au fond de ma conscience que dois-je faire pour accomplir la volonté de Dieu. En théorie, le travail est assez simple.
Il faut commencer par faire l’effort de prendre un peu de recul et comprendre pourquoi l’évidence est perdue et devant quelles alternatives je me trouve.
Ensuite, il faut éclairer la situation par des consultations, des informations, des discussions, des lectures, ... tout ce qui paraîtra utile au vue des circonstances.
Vient alors le temps de la décision. Après le travail rationnel et le temps de prière qui met le dossier sous la lumière de l’Esprit-Saint, il faut choisir en fonction du faisceau d’indices majoritaires. Normalement, cette décision se prend dans une véritable paix et nous y laisse. _ On ne prend jamais de décision dans le trouble.
C’est alors le temps de la mise en œuvre.
Puis celui de la vérification en fonction des fruits attendus.
Et... recommencer le processus enrichi de cette expérience supplémentaire.
Si nous sommes dans l’urgence, alors notre goût pour le bien cultivé depuis notre enfance servira de flair, souvent suffisant, pour prendre une décision dont nous saurons rendre compte a posteriori.
Comme cela paraît simple. Pourtant ce n’est pas toujours facile de décider en conscience.
Avancer pas à pas.
Deux difficultés principales se présentent pourtant à celui qui veut obéir courageusement à sa conscience, à la volonté de Dieu qui a gravé sur nos cœurs la loi universelle du bien à faire et du mal à éviter.
La première est que nous ne voyons pas clair. Que cela résiste. Que malgré tous nos efforts, nous ne comprenons pas et que nous n’arrivons pas à lever un minimum d’incertitudes pour prendre une décision. La sainteté consiste alors à ne pas baisser les bras ou plutôt à garder en veille le radar de notre conscience. Le pire serait de l’éteindre et d’arrêter de chercher où se trouve la vérité, où se trouve la volonté de Dieu. Dans l’Évangile, et celui de Marc en particulier, les disciples sont souvent de ce côté-là. Ils ne comprennent pas. Cependant, un jour viendra où ils comprendront et deviendront les apôtres que l’on sait. Si cela a été difficile pour les disciples qui avaient Jésus tout près d’eux et à qui ils pouvaient poser autant de question qu’ils le voulaient, pourquoi est-ce que ce serait plus facile pour nous ? Je le répète, la grâce de Dieu éclaire notre intelligence.
La seconde difficulté est qu’en fait nous voyons clair, mais nous n’avons pas le courage de nous jeter à l’eau, de faire le pas supplémentaire que nous indique notre conscience. Nous sentons l’appel de Dieu, et parfois nous pressentons la joie qu’il y aurait à faire un pas de plus dans l’aventure humaine. Mais nous éprouvons une résistance qui est comme indépassable. C’est peut-être la marque de notre péché. Là aussi, il ne faut pas désespérer de nous-mêmes. Dieu n’a pas désespéré de nous, de chacun de nous. Au nom de quoi serions-nous plus pessimistes que lui ? Un personnage emblématique de cette situation est le jeune homme riche de l’Évangile. Il sent bien qu’il faut aller plus loin que la stricte pratique des commandements, c’est pourquoi il va questionner Jésus. Et nous savons que ses grands biens seront un obstacle suffisant pour ne pas poursuivre à ce moment là sa démarche à la suite de Jésus. Un jour peut-être a-t-il trouvé la force d’accomplir la volonté de Dieu, de mettre sa volonté en harmonie avec sa conscience. Je me répète encore, la grâce de Dieu incline la volonté à faire le bien.
La dignité de l’homme, c’est de ne pas s’arrêter dans la recherche de la connaissance et de la mise en œuvre de la volonté de Dieu. Garder le radar de sa conscience ouvert et vigilant demande plus de courage qu’on ne le croit. Mais l’attitude du veilleur, vous le savez, c’est la marque des chrétiens.
Prenons l’histoire du patriarche Joseph, celui qui est mort vice-roi d’Egypte. Lorsqu’il était jeune, il était le préféré de son père et sans doute qu’il en tirait de l’orgueil ou de la suffisance. D’autant plus qu’il a des songes qui lui annoncent que ses frères s’inclineront un jour devant lui. Ainsi allait-il voir ses frères au travail en train de garder les troupeaux en habit de fête et non pas en habit de campagne ou de travail. Agacés ses frères finissent par le vendre comme esclave, surs qu’ainsi, le songe ne pourra pas s’accomplir. Or de fil en aiguille, de songes en interprétations de songes, Joseph devient vice-roi d’Egypte et gère la pénurie de blé et la famine. Ses frères qui ignorent ce qu’il est devenu viennent s’incliner devant lui pour lui acheter du blé. Et c’est là que je veux en venir. Joseph a deux solutions devant lui : la vengeance ou la miséricorde. Il aurait pu dire « Dieu a livré mes ennemis entre mes mains ». Et d’ailleurs il joue un jeu très ambigu envers ses frères. (Mise en prison des frères, rétention d’un des frères en otage, ...). Mais il choisit de dire, après beaucoup d’hésitations : « C’est moi Joseph, ne craignez pas, c’est Dieu qui m’a envoyé en avant de vous pour qu’aujourd’hui vous ayez la vie ». Qu’est-ce qui l’a amené à faire ce choix ? Dieu a-t-il voulu que ses frères le vendent en otage ? Non ! Car Dieu ne veut pas le mal et ne fait pas le mal pour obtenir un bien. En revanche, si Joseph ne peut refaire l’histoire, il peut la réinterpréter, lui donner un sens nouveau. Ici, faire la volonté de Dieu, ce n’est pas dire « Dieu a voulu tout ceci », mais bien « je choisis de faire de ma vie, aujourd’hui, une réponse à l’amour de Dieu, de mettre ma volonté en harmonie avec la sienne ».
D’une certaine manière, c’est Joseph, éclairé par la grâce de Dieu qui décide ce que va être la volonté de Dieu et qui la fait advenir. Nous pouvons contempler en la personne de Joseph une des plus belles figures du Christ dans l’Ancien Testament. Tout en nous laissant le signe de l’eucharistie, du pain de vie, n’est-il pas parti en avant de nous par delà la mort pour que dès aujourd’hui nous ayons la vie ?
Jésus lui-même, parce qu’il est aussi homme est passé par des étapes. Prenons l’exemple de la cananéenne qui demande la guérison de sa petite fille. Jésus refuse parce qu’il pense qu’il n’a été envoyé qu’aux enfants d’Israël. Mais face à la foi de cette femme, il comprend que sa mission va au-delà des frontières de la foi juive et il accepte de guérir la fille de cette païenne. Dans une situation nouvelle, il s’est laissé éclairer.
Ou encore, au moment de la passion, les évangélistes nous racontent combien il fut difficile pour Jésus de consentir au pas supplémentaire, de faire la volonté de son Père plutôt que la sienne. Et finalement il ira jusqu’à la croix que nous fêtions hier. Jusqu’au terme de sa vie, Jésus a cherché à faire le bien, à faire la volonté de son Père. Et je suis sûr que pour lui aussi, l’Esprit-Saint l’a aidé à incliner sa volonté à aller jusqu’au bout.
Or si cela a été possible pour le Christ, ça l’est aussi pour nous.
Pour conclure, redisons-nous que faire la volonté de Dieu consiste bien à faire correspondre notre vie à son appel à faire le bien et à éviter le mal. Cela concerne donc la totalité de notre vie quotidienne. Il arrive aussi qu’il appelle celui-ci ou celle-là à un destin plus précis comme lui consacrer sa vie. Mais si dans sa liberté, l’un et l’autre choisissent de se marier, alors la volonté de Dieu sera qu’ils vivent chrétiennement leur mariage. Car Dieu s’engage dans tous nos choix pourvu qu’ils cherchent à faire le bien et à éviter le mal. Dieu nous appelle toujours à partir de là où nous sommes et non à partir de là où nous aurions pu être.
La vocation chrétienne ne se réduit pas au seul appel de Dieu. Elle consiste fondamentalement en la réponse qu’une personne libre fait en Eglise à l’appel que Dieu lui a lancé.
Avec Marie et avec toute l’Eglise, prions pour que la volonté de Dieu puisse s’accomplir en nos vies,
Notre Père...
© Bruno Feillet
Évêque de Séez, ancien équipier de PSN.
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