Avant et après Jésus Christ
Je me demande, Seigneur, si je suis la seule à avoir interprété le texte de Luc au chapitre 5, versets 33 à 39 (>>Lc 5,33-39<<), de manière aussi plate, aussi superficielle.
C’est un passage qui me paraissait curieux, fait de bric et de broc sans lien entre eux. Pourtant il est proposé comme lecture, lors d’une eucharistie en un seul bloc, associé en première lecture, à un passage de Paul où il clame en termes très forts, son admiration émerveillée pour toi Seigneur, venu sur terre pour nous sauver.
Dans le texte évangélique, il est question en premier lieu de jeûne, non observé par les apôtres, puis de la conservation du vin et du rapiéçage des vêtements, et enfin du vin vieux qui est meilleur que le vin nouveau.
J’y voyais d’abord une définition qui t’est très personnelle sur la façon d’être heureux sur terre, d’être de "noce" comme Tu dis. Situation qui est celle de tes apôtres, au moment où on T’interroge. Ils sont avec Toi, et ça suffit pour être comblés... Ensuite dans les conseils ménagers donnés par Toi, j’admirais combien l’éducation de tes parents avait été bonne, réaliste et combien Tu avais bien retenu leurs leçons. Ça Te rendait encore plus humain.
Enfin dans ton appréciation sur le vin j’entendais seulement un appel à exercer notre intelligence pour savoir discerner et ne pas juger automatiquement bon ou mauvais ce qui est moderne et ce qui est ancien.
Bref rien de bien exaltant, et surtout aucun lien entre ces trois paragraphes et aucune correspondance avec St. Paul. Bref c’était très limité.
Heureusement Seigneur, lors d’un échange dans ma paroisse il y a eu un commentaire beaucoup plus signifiant, beaucoup plus profond, qui a le mérite de faire de ce texte, un tout, bien en relation avec la première lecture. Aussi j’ai envie de le mettre par écrit, de peur que la prochaine fois où je le lirai, je ne retourne à ma lecture au premier degré un peu débile.
Voilà, ce que j’ai retenu. Ça débute effectivement par une question sur la pertinence du jeûne, que Tu ne condamnes pas Seigneur au contraire, mais que Tu réserves à des périodes bien précises. À l’heure actuelle, sur terre, on est à la fois de noces puisque Tu es au milieu de nous quand on est deux ou trois réunis en ton nom, et privés de l’époux puisque privés de présence sensible. On doit donc jeûner de temps en temps.
Partant de là, Tu enchaînes et attires l’attention de tes disciples sur la transformation radicale que ta venue sur terre va apporter dans les pratiques religieuses. Il y aura un avant et il y aura un après, il y aura l’ancien et le nouveau, et bon nombre de pratiques religieuses n’auront plus cours, car le neuf risque de faire craquer le vieux. La circoncision, les sacrifices sanglants au Temple, ce sera fini.
Mais Tu remarques qu’on a du mal à quitter les vieilles habitudes. Beaucoup de tes contemporains ont refusé de le faire, et de nos jours c’est la même chanson. On en a eu la démonstration avec Vatican II. On est toujours plus ou moins tenté de regarder en arrière. Il suffit d’écouter les personnes d’un certain âge, pérorer sur le bon temps d’autres fois où tout était bien meilleur. Pourtant la vie exige les transformations, c’est la routine qui est mortifère. Mais on dit, pour se conforter : c’est le vin vieux qui est bon !
Ainsi ce passage de Luc donne un éclairage fort sur la transformation que ta venue sur terre a apportée Seigneur. C’est le côté mystérieux interloquant, et exaltant de ton Incarnation qui est mis en relief et ainsi ce texte prend fière allure, en parfaite concordance avec la lettre admirative de Paul.
Mais je vais quand même, garder en mémoire ta conception d’être "de noces", Seigneur. Tes apôtres vivaient avec Toi, d’accord, mais ils n’avaient aucune sécurité, étaient en perpétuelles pérégrinations, sans maison, sans entourage familial, harcelés, bousculés par une foule quémandeuse insatiable, et en butte de plus en plus avec les autorités religieuses...
Si c’est ça être heureux, mon petit confort, en prend un sacré coup. Seigneur aide-moi à entrer dans tes vues et un grand merci pour la chance que j’ai, d’avoir une paroisse si enrichissante.
Laïque mariste († 2011).
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