Judas
Judas se dit qu’il doit prendre une décision, alors il réfléchit.
"Quand Rabbi Jésus m’a choisi et que j’ai fait partie des douze, je n’en revenais pas. Pourquoi moi ? Nous étions nombreux à espérer être retenus. Et je l’avais été. C’était merveilleux, car c’était certain, les douze nous étions promis à un avenir extraordinaire.
Rabbi Jésus c’est quelqu’un. La puissance de cet homme est incroyable. Il opère les guérisons de toutes les maladies, de toutes les infirmités ; il fait obéir le vent et la mer ; il peut multiplier la nourriture à l’infini ; il peut même faire revivre les morts : il est stupéfiant. Et en plus de ça, il est calme, chaleureux, il écoute tous ceux qui s’adressent à lui, on se sent bien dès qu’on l’écoute. Tout le peuple le suit aveuglément et souhaite l’avoir pour chef. Y a pas à dire, c’est vraiment quelqu’un et il n’en aurait pas fallu beaucoup pour que je me donne entièrement à Lui. Mais ce qui m’intéresse surtout, c’est l’avenir glorieux de cet homme, car le mien en dépend. Et Lui, ça n’a pas l’air de le préoccuper beaucoup.
On m’a demandé de tenir la bourse, et j’ai été d’accord ; les comptes ça me connaît et puis, j’aime bien être au courant de ces choses là. En plus, je pensais que ça ne serait pas très compliqué, parce qu’il n’y aurait jamais des sommes folles, surtout avec cette manie du maître de donner à tort et à travers à tous les pauvres recontrés. Ce sont surtout les femmes qui alimentent la bourse avec leurs dons, mais ce n’est jamais très important. D’un côté, je mets les rentrées, et de l’autre les dépenses de notre petit train-train journalier, pour nous les treize.
Mais je suis de plus en plus déçu. A mon avis, avec la puissance qu’il a, Rabbi Jésus pourrait chasser les Romains, chasser Hérode qui ne vaut guère mieux, et toutes les autorités du temple, dont beaucoup s’engraissent avec les offrandes du peuple, et qui d’ailleurs sont hostiles dans l’ensemble au maître. Et ça m’agace qu’il tarde à prendre le pouvoir. Et comble de sottise, il a dit à Pierre que ça finirait mal pour lui : si c’est vrai, qu’est-ce qu’on va devenir, nous ?
Heureusement, j’ai pris quelques petites précautions. La première fois que j’ai puisé dans la bourse pour moi, c’était insignifiant : personne ne s’en est aperçu. Alors, peu à peu, j’ai pris un peu plus, et maintenant, j’ai un petit magot, pas très important, mais ça me permettra de me retourner si vraiment ça va mal. Je crois que les autres me soupçonnent un peu, mais jusqu’ici, ils n’ont rien dit. Jusqu’à aujourd’hui, où une espèce de toquée a répandu trois cents deniers de parfum sur les pieds du maître. Je n’ai pas pu m’empêcher de dire que c’était stupide : mais le maître lui a donné raison, et il a à nouveau parlé de sa mort prochaine. De plus, j’ai vu que les autres souriaient d’une drôle de façon en me regardant.
Décidément, je crois que j’ai fait un mauvais choix en suivant Rabbi Jésus. Jamais il ne réalisera mes espérances, jamais je ne serai ministre des finances. Alors autant virer de bord pendant qu’il en est temps encore.
Judas, pourquoi as-tu perdu confiance en Jésus ? Tu avais tout pour devenir un saint, un ami de Dieu comme les onze autres.
Mais tu as pris dans la caisse, tu as volé : pas beaucoup au début, mais de plus en plus, comme font tous les voleurs, et surtout, tu as pensé que tu avais raison de le faire. Alors tu t’es perdu.
Et je pense qu’il m’arrive souvent de mésestimer tel ou tel geste, telle ou telle parole méchante. Ca me parait insignifiant, ça ne prête pas à conséquences ; mais leur accumulation va faire un petit magot de saletés qui risquent de me détourner de toi, Seigneur.
ô Judas, si en fin de compte tu as été pardonné, rappelle-moi que tu as bien failli te perdre à cause de petits péchés de peu de poids, mais les petits ruisseaux font les grandes rivières, et même les torrents, c’est bien connu.

Laïque mariste († 2011).
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