Excès de vitesse

Ou l’art de la possibilité de transformer un handicap en avantage

Avec la vieillesse, mes réflexes deviennent de plus en plus lents et mes activités demandent de plus en plus de temps. Je le déplore surtout dans un monde qui va de plus en plus vite, où je me sens déphasée. Mais je viens de me rendre compte que cette lenteur, dans certains domaines, peut être source d’enrichissement. Il en est ainsi de la lecture de l’évangile du jour qui alimente ma prière quotidienne.
Une lecture rapide peut m’orienter vers des conclusions erronées. Je viens d’en avoir la preuve, en lisant saint Jean (), où il fait dire à Jésus, s’adressant aux apôtres : "Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père, parce que le Père est plus grand que moi."

Au premier abord, tout m’indispose dans cette phrase.

Premier point : je peux effectivement me réjouir de l’arrivée à bon port, au Royaume éternel, de personnes qui me sont assez lointaines, je peux même les envier, mais quand j’ai des liens très forts d’amour, d’amitié, d’affection avec ces personnes, c’est le côté douloureux de leur disparition qui prend le dessus. Et je ne dois pas me tromper tellement, puisque Jésus lui-même n’a pas dansé de joie, mais a pleuré à la mort de Lazare...
Ce que dit saint Jean est juste, mais il est allé beaucoup trop vite. Il faut du temps et parfois beaucoup de temps pour arriver à se réjouir en pensant que ceux qu’on aime sont maintenant vraiment heureux auprès de Toi, Seigneur.

Deuxième point : on m’a appris que les trois personnes de la Trinité sont rigoureusement égales entre elles, ce qui ne peut pas se concevoir autrement puisqu’il s’agit d’un seul Dieu. Est-ce que par hasard la boutade qui affirme qu’on est tous égaux, mais qu’il y en a qui sont plus égaux que d’autres, serait fondée ? Il y a une icône célèbre, celle d’Andreï Roublev, où le Père, le Fils et l’Esprit sont dessinés de façon identique. Si on comptait leurs cheveux (ce qui, d’après le Fils, serait un des passe-temps du Père) on trouverait le même nombre, à un cheveu près. Trêve de plaisanterie, pourquoi saint Jean fait-il dire à Jésus que son Père est plus grand que Lui ?
On m’a expliqué que Jésus ayant tout reçu du Père, estimait que le Père est plus grand que Lui. Je veux bien, mais si c’est exact, quel serait le sentiment du Père, et où se situerait le Saint-Esprit ? Ça devient drôlement compliqué !
Mais en réfléchissant un peu, en prenant du temps, je me suis rapprochée de cette explication. Effectivement, quand on aime quelqu’un, on pense souvent qu’il a un plus par rapport à nous. C’est vrai des jeunes enfants par rapport aux parents, et c’est vrai également des parents vis-à-vis de leurs enfants. Ça n’est pas toujours le cas, pas toujours, mais c’est le plus fréquent.
Alors pourquoi ne pas admettre que la Trinité peut réagir comme nous ou plus exactement, toute révérence gardée, que nous avons des points communs avec les personnes de la Trinité ; ce qui en un sens serait bien rassurant pour nous. Certes, nous avons beaucoup plus de raisons d’admirer Dieu que lui de nous admirer… C’est une phrase d’un psaume qui m’y fait penser, où il est question "de l’être étonnant que je suis, Tu l’as fait un peu moindre qu’un Dieu". Dieu doit nous voir, non pas comme nous sommes en réalité, mais comme nous pourrions devenir, si on faisait nôtre son projet sur nous (comme a fait Marie, par exemple).

D’accord pour le moment, c’est loin d’être évident, mais on peut, on doit même, espérer que ça le deviendra. Bref, une fois de plus, en prenant du temps, en n’allant pas trop vite, mes objections tombent à l’eau, et je peux, sans réticence m’émerveiller de Ta Parole, Seigneur. Il suffit de ne pas lire en toute hâte. Dans ce domaine, comme sur la route, il est recommandé de ne pas faire d’excès de vitesse.

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/07/2017