Le scandale de la croix
Dans ma jeunesse, il y avait un cantique qui me mettait mal à l’aise, parce que le refrain se terminait par : "Vive Jésus, vive sa croix !"
Vive sa croix : pourquoi pas vive la guillotine, la roue, les fouets, la baignoire des nazis, les petites flammèches sous les ongles des Chinois, les chambres à gaz pendant qu’on y était, et je ne sais quoi encore ! J’aurais préféré chanter : "à bas tous ces instruments de torture" inventés par les hommes dont l’imagination, en ce domaine, a toujours été débordante. Ça aurait beaucoup mieux correspondu à ce que je ressentais.
Plus tard, cette croix a continué à me poser problème car on m’a expliqué que ce sacrifice du Christ n’était pas indispensable, n’était absolument pas nécessaire pour assurer le salut des hommes. Il était venu sur terre, et c’était suffisant pour renouer l’Alliance. Alors, pourquoi cette croix dont Jésus, en tant qu’homme, avait repoussé l’idée, le soir à Gethsémani. Pourquoi Dieu le Père voulait-il cette croix, cette Passion pour son fils ?
"Pas ma volonté, avait dit le Christ, mais ta volonté, Père."
C’était insoutenable cette idée : comme une mouche contre une vitre, je butais et retournais cette interrogation sans arriver à trouver d’issue.
J’acceptais parfaitement la phrase du Christ : "Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime." Un homme qui se jette à l’eau quand quelqu’un se noie, quitte à se noyer lui-même, un autre qui donne un rein pour guérir un malade qui en a besoin, parfait ! Pas d’objection de principe, au contraire ! C’est bien, c’est très satisfaisant.
Mais trouver la mort comme un chenapan, sans bénéfice pour personne ! Est-ce que ça avait un sens ?
Et puis un jour, j’ai entendu parler des trois degrés de l’amour :
– premier degré : aimer être aimé. C’est à la portée de n’importe qui, car c’est très agréable, pour ne pas dire plus.
– deuxième degré : aimer, aimer. C’est déjà mieux, mais le moi est toujours présent. On se fait plaisir en étant quelqu’un de bien, qui s’occupe des autres.
– troisième degré : aimer. Tout court, comme ça, gratuitement ; aimer ceux qui ne vous aiment pas, ceux qui vous sont antipathiques, qui vous veulent du mal, qui font le mal, aimer tous ceux qu’on rejette habituellement !
Et la lumière s’est faite.
Jusqu’ici, le troisième degré m’était à peu près inconnu. C’est pour cela que je ne comprenais pas la Croix, que je ne pouvais pas comprendre vraiment. Et je crains qu’il ne se passe du temps avant que je puisse chanter : Vive sa croix !
Le troisième degré, ce n’est pas à la portée de n’importe qui, mais au moins, je ne m’indigne plus.
C’est déjà ça !

Laïque mariste († 2011).
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