Ascension (9/5) : Pistes pour l’homélie

Piste 1

Depuis les temps les plus anciens, les hommes de toutes les religions, pour s’adresser à leurs divinités, ont toujours regardé vers le haut, vers le ciel, vers les espaces infinis.
C’est ainsi que, pareillement, les grands de la terre se sont toujours installés quelques marches plus haut que le peuple.
Les apôtres n’ont pas échappé à ce réflexe : le Christ ressuscité, ils le cherchaient en haut dans les nuées du ciel. Mais voilà qu’aujourd’hui, une voix du ciel dit aux apôtres : « Pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? » 
En ce moment décisif de leur vie, ils comprennent que le Dieu de Jésus n’est en rien semblable aux autres divinités. Le Dieu que Jésus est venu leur révéler, est un Dieu sur la terre, un Dieu parmi nous. Et encore pas n’importe où, il ne se laisse trouver qu’en bas, au plus profond, auprès des pauvres, des blessés et des petits.
Et malgré tout, 2020 ans plus tard, nous continuons à le prier en levant les yeux, la tête et les mains vers le ciel au dessus de nous.
Il est évidemment plus commode de situer Dieu dans le ciel que sur la terre, c’est moins dérangeant, cela n’implique aucun changement.
Il est plus facile de regarder le ciel, même s’il y a des nuages, que de regarder dans les yeux un frère, une sœur qui pleure.
Il est plus simple de tendre les mains vers le ciel que d’ouvrir la main à celle qui se tend vers nous.
Il est plus aisé de s’incliner, se mettre à genoux devant un Dieu très haut que de s’abaisser devant son prochain qui est écrasé.
Pourtant, me direz-vous, l’Evangile nous dit formellement que Jésus fut élevé !
A nouveau nous interprétons ce « élevé » de manière spatio-temporelle, comme synonyme de ‘grimper vers le haut’.
Mais ne faut-il pas plutôt le comprendre dans le sens des parents lorsqu’ils disent qu’ils « élèvent leurs enfants » ? Curieusement ici tout le monde comprend qu’il n’est pas question de les mettre plus haut mais de les faire grandir, progresser, prendre des responsabilités, « monter » comme on dit « monter en grade ».
Jésus n’est donc pas grimpé au ciel, mais c’est le Père qui l’élève, c’est-à-dire lui manifeste toute sa reconnaissance, lui exprime toute sa tendresse, lui redit qu’il est son fils bien-aimé et que son rêve est de le voir grandir dans le monde.

Si nous nous surprenons encore à lever les yeux vers le ciel, il ne faut pas pour autant se formaliser, mais essayons de penser que Dieu est d’abord sur la terre.
En effet, après leur avoir fait comprendre de ne pas regarder vers le ciel, Jésus envoie ses apôtres en mission, « Allez, leur dit-il, non pas au ciel, mais allez dans le monde proclamer la Bonne Nouvelle ».

Piste 2

Lorsqu’un lauréat belge est retenu au concours Reine Elisabeth, c’est tout à notre honneur ! Lorsque notre club sportif gagne la coupe, avec tous les autres supporters nous relevons la tête. Si mon cousin devenait ministre, je me sentirais un peu plus important. Si au cours d’une réception je pouvais serrer la main du roi, je ne manquerais d’en déposer la photo sur la cheminée…
Lorsque quelqu’un de notre communauté ou un ami s’illustre par une action d’éclat, tous ses proches en sont honorés. L’inverse est aussi vrai, lorsqu’un homme se conduit comme un monstre, tout le monde en est humilié.
Ces exemples nous aident à comprendre le sens de l’Ascension.
Si au début les apôtres étaient très fiers d’accompagner Jésus, les choses vont vite changer lorsqu’il sera condamné et cloué sur la croix comme un vulgaire brigand. Ils n’étaient plus aussi fiers, ils vont se cacher et même, comme Pierre, faire semblant de ne pas le connaître.
Heureusement, quelqu’un est resté fier de ce qu’il a fait : son Père. En effet, lui, Dieu ne l’a pas abandonné dans la mort, il l’a ressuscité.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que du fond de sa déchéance, il l’a relevé au plus haut sommet de sa dignité, il lui a rendu le plus grand honneur qui soit, il l’a élevé pour l’asseoir à côté de lui.
Comme vous voyez, l’Ascension et la Résurrection célèbrent en fait le même événement. Jésus a vécu et partagé notre humanité dans sa plus profonde humiliation, puis il s’est retrouvé auprès de Dieu et c’est toute l’humanité qui en devient plus digne. Son honneur rejaillit sur nous tous et particulièrement sur ses amis et ses proches.
Qu’un homme soit auprès de Dieu et c’est toute l’humanité qui en est fière et en devient plus digne.
Il est vrai que très souvent nous nous désolons de notre humanité. Continuellement nous voyons des individus qui se comportent comme des monstres. Il faut dire que l’actualité et les médias ne mettent souvent à l’avant que les horreurs et les bassesses : massacres, tortures, attentats effroyables…
Mais Jésus nous donne aujourd’hui un souffle d’espérance. Quelle que soit la profondeur de l’abîme dans lequel les hommes sont tombés, ils ont une plus grande raison de se glorifier, car un des leurs est auprès de Dieu.
Même si les hommes ont très peu de considération pour leurs semblables, Dieu, lui, nous appelle toujours à une dignité infinie. Même si les hommes considèrent les autres comme des machines à produire ou à consommer, à l’inverse, Dieu nous offre une destinée éternelle. Quel que soit notre passé, si bas ou si insignifiant semble-t-il être, tous nous sommes appelés à monter, à nous élever jusqu’auprès de Dieu.
Cela exige naturellement un changement de comportement. Dorénavant nous ne pouvons plus vivre comme avant, ainsi que Jésus le disait à ses apôtres : « Vous serez mes témoins », c’est-à-dire que vous aussi vous devez entraîner les autres vers le haut, vers Dieu.

Piste 3

Il est regrettable que les paparazzis n’aient pas existé à l’époque de Jésus pour nous offrir le scoop de tous les temps : Jésus s’envolant vers le ciel !
Le dommage n’est cependant pas bien grand parce que, aussi sophistiqués que soient leurs téléobjectifs, ils n’auraient rien pu fixer sur leur pellicule comme on peut le faire d’une fusée, pour la bonne raison que Luc ne parle pas un langage aérospatial mais bien un langage symbolique.
"Jésus se sépara d’eux" dit simplement l’Evangile.
"Séparer", est un verbe très important dans la Bible parce que c’est un geste créateur. Souvenons-nous du récit de la création dans le livre de la Genèse. Comment Dieu a-t-il donc fait pour créer le monde ? Il sépara !
Il sépara le ciel de la terre, le jour de la nuit, les eaux d’en haut et les eaux d’en bas, les oiseaux des autres mammifères…

Dans la Bible comme dans la vie, "séparer" c’est "créer". Comment cela ? Et bien parce qu’en séparant, je donne à l’autre de devenir lui-même.
Les exemples sont nombreux :
Mettre un enfant au monde, n’est-ce pas se séparer de lui, mettre une distance entre lui et sa mère ? Combien d’enfants sont étouffés par leurs parents qui ont peur de le perdre, qui n’arrivent pas à couper le cordon et ne supportent pas de le voir s’éloigner ? Nous savons d’ailleurs combien souvent cette situation se termine par un drame lorsque le jeune, voulant vivre sa vie, part en claquant la porte.
C’est parfois vrai aussi dans les couples, lorsque l’un des 2 refuse toute autonomie à son conjoint par peur de le perdre, par manque de confiance.
C’est encore vrai entre le maître et l’élève. Le bon maître n’est pas celui qui oblige l’élève à l’imiter mais il lui offre l’occasion de se démarquer, d’innover, de prendre ses responsabilités, de créer du neuf.
C’est ce qu’aujourd’hui Jésus veut faire avec ses apôtres. Jusqu’ici, ceux-ci le suivaient comme des moutons. Maintenant Jésus marque les distances, il se sépare. Après leur avoir partagé ce qui le faisait vivre, il leur donne l’Esprit Saint pour devenir eux-mêmes, permettant à chacun de prendre ses responsabilités et de mettre à l’œuvre ses talents et ses charismes les plus divers.

A l’Ascension, Jésus envoie ses disciples en se séparant : il continue l’œuvre de création de son Père.
Ce qui fait l’importance de cette fête de l’Ascension, qui en quelque sorte ne fait qu’un avec la Pentecôte, c’est qu’elle clôture l’acte de création de Dieu pour laisser la place à l’humain.
C’est l’humain qui devient créateur. Fort de la Bonne Nouvelle de l’évangile, c’est à lui que revient désormais la responsabilité de créer le monde, construire le Royaume, non pas en se l’appropriant mais en osant la séparation, c’est-à-dire en osant à son tour laisser la place à l’autre pour qu’il devienne libre, autonome et advienne lui aussi comme créateur.

Piste 4

Rappelons-nous les premières pages de la Bible : « Dieu créa le monde » et pour cela il sépara, il sépara le jour de la nuit, les eaux d’en haut de celles d’en bas, les animaux qui volent et ceux qui marchent sur la terre… L’auteur de ce récit veut donc signifier que « créer » c’est « séparer ».
N’en va-t-il pas de même dans notre vie d’homme et de femme ?
Notre premier acte, notre naissance est une séparation. Ensuite l’enfant ne pourra grandir qu’à force de séparations successives et multiples, des séparations toujours douloureuses mais nécessaires pour découvrir d’autres mondes, d’autres personnes.
C’est à force de séparations que l’enfant acquerra sa liberté et forgera sa personnalité. S’il reste sous la coupe de ses parents ou de ses maîtres, jamais il ne pourra devenir lui-même, découvrir son originalité et devenir à son tour adulte et créateur.
Voilà, je pense, ce qui peut nous aider à comprendre le sens de l’Ascension.
Ce mot ascension n’est peut-être pas le meilleur parce qu’il laisse croire que Dieu « monte » tandis que nous restons en bas. En disant « ascension » nous devons plutôt comprendre « séparation » mais en vue d’aller plus loin, d’aller plus haut. Cette séparation n’est pas non plus synonyme d’éloignement. Jésus se sépare en restant toujours présent, très proche.
Comme la maman qui, à la naissance, se sépare de l’enfant, il n’y a plus fusion, mais elle reste plus que jamais présente et proche, dans un face à face.
L’ascension c’est donc Dieu qui poursuit son œuvre de création. Jusqu’ici les apôtres étaient avec Jésus et dépendaient de lui. Aujourd’hui, Dieu leur dit : « vous êtes assez grands, allez, construisez le monde, construisez vous-mêmes votre vie. »

L’Ascension, c’est Dieu qui nous aime au point d’oser le détachement, il a le courage de partager son pouvoir.
Comme les parents qui voient leur enfant démarrer dans la vie, Dieu sait aussi que cela n’ira pas toujours comme sur des roulettes, qu’il y a des risques, qu’il y aura des douleurs… mais c’est le prix à payer s’il veut voir ses enfants ne pas rester « enfants » toute leur vie, dépendants et soumis. Il ne nous abandonne pas pour autant, il nous promet son Esprit qui nous donnera force et courage.
Il est dommage que les responsables d’Eglise n’aient pas toujours osé faire confiance en l’Esprit qui nous habite tous. N’est-ce pas pour cela que tant de chrétiens demeurent encore comme des enfants enfermés dans une obéissance servile, attachés à des lois tatillonnes et des dévotions désuètes, bref dans une religion infantilisante ?
En cette fête de l’Ascension, Dieu nous dévoile son vrai projet : « voir l’homme devenir adulte dans le monde mais aussi dans sa foi ». Et comme un bon père, qui nous voit nous lancer dans la vie, il nous adresse ses premiers conseils, son ultime recommandation : « N’oublie pas mes commandements, le commandement de l’amour, c’est ainsi que l’on reconnaîtra que tu es mon enfant, que tu es mon disciple. »

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Georges LAMOTTE

Prêtre du diocèse de Namur, † 2017.

Publié: 09/04/2024