12e dim. ordinaire (23/6) : Commentaire

Nous venons à cette eucharistie découvrir - un peu mieux - qui est Jésus. Celui qui est avec nous dans la barque, au milieu des tempêtes de notre vie (évangile), lui qui impose des limites aux forces du mal (première lecture). Pour l’expérimenter, il nous faut un peu plus de foi, connaître le Christ, non plus à la manière humaine, mais avec les yeux neufs que nous donne son Esprit Saint (deuxième lecture).

Première lecture (Jb 38,1.8-11)

Job est torturé par la question : d’où vient le mal dans le monde ? Sous la forme d’un dialogue avec trois amis, le va-et-vient des questions se noue, jusqu’à ce que Dieu lui-même apparaisse et interroge Job qui l’a mis en accusation. Dieu ne répond pas à la question de Job, mais son apparition est telle que Job, dans une foi qui nous confond, s’abandonne sans comprendre - mais il a du moins compris qu’il n’a pas de leçons à donner à Dieu.

Il vaut la peine de lire et de relire ces questions qui sont aussi les nôtres, dans une forme qui en a fait un des chefs-d’œuvre de la littérature universelle. Nous lisons aujourd’hui un des moments de l’apparition divine où la richesse de la pensée le dispute à la beauté de la forme.

Pour ces terriens qu’étaient les Juifs (et pour beaucoup de peuples voisins), la mer était un épouvantail, symbolisé par un dragon sorti du fond des abîmes, le lieu des forces maléfiques. Le pieux Juif du temps de Job a cependant déjà démystifié l’océan des terreurs : la mer n’est, pour Dieu, qu’un bébé qu’il a enveloppé de nuages pour lui servir de langes. Il lui a imposé des limites : jusqu’ici - et pas plus loin ! Dieu est donc, non seulement le maître de la mer, mais de ce qu’elle symbolise : le Mal.

Et Job de conclure () : Dieu est grand. Ce n’est pas à nous de lui faire la leçon. Laissons faire Dieu et reconnaissons nos propres limites.

Voilà qui est difficile pour l’homme d’aujourd’hui. Il sent son pouvoir sur la matière croître de jour en jour. C’est lui, le maître ! - Pourtant, les récentes manipulations atomiques, spatiales, génétiques... commencent à inquiéter. Si l’homme se pose en dernière instance, il devient dangereux. Cet apprenti sorcier doit réapprendre à croire en plus haut que lui. Il n’y a pas d’autre porte de sortie.

L’extrait introduit l’évangile où Jésus commande aux eaux redoutables, à la tempête dans laquelle se débat l’humanité.

Psaume (Ps 106)

Hymne d’action de grâce pour les bienfaits multiples, parmi lesquels celui d’avoir été sauvé du naufrage. Transposons-le au plan spirituel, en anticipant aussi sur l’évangile :

Que l’assemblée rende grâce, Seigneur, qu’elle offre des sacrifices de louange pendant cette eucharistie ! Car nous étions dans les tempêtes de la vie, soulevés par les vagues, retombant aux abîmes, malades à rendre l’âme.

Tu nous as tirés de cette détresse, Seigneur Jésus. Toi qui semblais dormir dans notre barque, tu t’es dressé, tu as réduit nos tempêtes au silence. Oui, nous nous réjouissons d’avoir échappé à ces dangers, d’avoir été conduits au port, dans ton Eglise. Rendez grâce au Seigneur de son amour !

Deuxième lecture (2 Co 5,14-17)

Si Paul parle souvent de la mort du Christ, c’est qu’il y est confronté continuellement par les “mises à mort” psychologiques dont il est l’objet de la part de ses adversaires. Il trouve la force de tenir, en centrant sa vie, non sur lui-même, mais entièrement sur ce Christ mort et ressuscité pour nous. Comme l’amour du Christ l’a saisi ! Il contemple Jésus non plus à la manière humaine, comme avant sa conversion, quand il ne voyait en Jésus qu’un homme à abattre. Il ne le comprend plus ainsi. Il le voit, le connaît avec les yeux de la foi, dans sa gloire de Ressuscité, Christ en qui tout a été créé à neuf, de sorte que si nous sommes en Jésus Christ, nous sommes une créature nouvelle, filles et fils du Père comme Jésus. C’est vraiment un monde nouveau qui est déjà né, qui a déjà fait irruption dans notre temps. Le monde ancien, l’ancienne façon d’être et de vivre, est caduque ; pour nous, il s’en est allé.

Quelle forte spiritualité ! Tout centrer sur le Christ, être saisi par lui. Un Christ de gloire en qui nous vivons, qui nous fait participer à sa vie et maîtriser la mort. Un Christ en qui nous sommes déjà dans un monde neuf, de telle sorte que nous ne connaissons plus personne à la manière humaine ; désormais, nous voyons tout autrement, nous connaissons en Christ, avec ses yeux, son cœur !

L’expression : en Jésus Christ revient 164 fois chez Paul ; elle est à prendre au sens fort : être uni à lui, vivre de sa vie, participer à sa mort, sa résurrection, sa vie avec le Père.

Évangile (Mc 4,35-41)

Après que Jésus eut parlé toute la journée en paraboles (voir dimanche précédent), il dit à ses disciples : Passons sur l’autre rive, en territoire païen. Ils quittèrent la foule. Jésus veut rester seul avec ses disciples pour “leur expliquer tout, sans employer de paraboles” (). Tout : son message, sa personne. Et cela par une série de signes qui doivent leur révéler qui il est.

Les apôtres emmènent donc Jésus dans la barque comme il était, sans lui laisser le temps de se préparer. D’autres barques les suivaient... Jésus dormait sur le coussin à l’arrière. Alors que Matthieu et Luc débarrassent leur compte rendu de ce qui leur semble des détails inutiles pour les remplacer par des vues théologiques plus élaborées, Marc garde ces petits détails qui font un récit plus frais, plus concret, plus proche de l’événement. Une de ses caractéristiques, un de ses charmes.

Survient une tempête. Elles sont subites, dans cette cuvette où le vent s’engouffre avec une telle violence que déjà la barque s’emplissait d’eau. Les apôtres qui ont pourtant du métier sont au bout de leur savoir : Nous sommes perdus ! Et Jésus dort. Quel contraste ! Jésus dort, abandonné à son Père dans une confiance totale, et les apôtres n’ont même pas un bout de foi !

Mais Jésus, réveillé, interpelle le vent, comme si celui-ci était une personne - et avec vivacité - le menaçant comme il avait rudoyé la lèpre (, 6e dimanche). Il dit à la mer qui gronde : Silence, tais-toi ! Une espèce d’exorcisme : la mer était pour les anciens le lieu des forces maléfiques et des démons. Aussitôt, le vent tomba, et sur la mer il se fit un grand calme. Devant une telle puissance, les apôtres sont saisis d’une grande crainte, comme toujours dans la Bible, quand Dieu se manifeste ; pensons à Marie, à l’annonciation, aux bergers de Bethléem, aux femmes près du tombeau, le matin de Pâques. Et ils se disaient entre eux : Qui est-il donc, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? Oui, qui est-il ? Voilà la question posée depuis le début (à partir du 4e dimanche), et qui aboutira, en un premier temps, à la confession de Pierre (24e dimanche) pour culminer dans la déclaration solennelle de Jésus lui-même devant le Sanhédrin (). Puis elle résonnera dans le monde entier par la bouche de l’officier païen sous la croix : Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu () !

Les apôtres, pour l’instant, n’en sont pas encore là, et ils doivent s’entendre dire : Comment se fait-il que vous n’ayez pas la foi ? Après tant de miracles que j’ai déjà faits, après tout ce que j’ai déjà révélé de mon être profond ! Hélas ! après tout ce que le Christ nous a dit dans son Evangile et fait pour nous dans ses sacrements, oui, comment se fait-il que nous réagissions si mal, que nous ayons peur, que nous doutions de l’avenir de l’Eglise, maintenant qu’elle est secouée violemment, qu’elle prend l’eau, que les chefs eux-mêmes sont au bout de leur savoir et que Jésus dort ! Il nous faut prier et tenir dans la foi. Criez fort : Maître !

La mer, c’est encore la masse des ennemis de Jésus : pharisiens, scribes, sadducéens, hérodiens... tous confondus qui s’acharnent contre lui. Et que fait le Christ, alors que les disciples attendent de lui un signe de puissance ? Il dort, non plus sur un coussin, mais sur le dur bois de la croix ; il s’endort dans la mort. Et les apôtres sont désemparés : "Nous espérions que c’était lui qui délivrerait Israël !" gémissent les deux déçus d’Emmaüs.

Et voilà que, contre toute attente, alors que les Onze ont perdu tout espoir, Jésus se lève. Dans le calme radieux du matin de Pâques, il se relève du sommeil de sa mort. Il apparaît à ses disciples et leur dit : « La paix soit avec vous. »

Encore une de ces explications tirées par les cheveux, penseront quelques-uns ! - Et si c’était précisément la plus profonde ? Le fil d’or, le fil pascal qui parcourt toute la tapisserie des évangiles, et qui fait de chaque dimanche une fête pascale.

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René LUDMANN c.ss.r.

Prêtre du diocèse de Luxembourg.

Publié: 23/05/2024