Religions, laïcité, libertés : Vers où la France veut-elle aller ?

En ce début juin, une proposition de loi ouvre à nouveau le débat sur la laïcité dans notre pays et, de nouveau, c’est l’islam qui est mis en cause. De quoi s’agit-il ? Une centaine de députés propose de réformer le Code du travail pour permettre à une entreprise d’interdire des signes religieux. Ceci fait suite à l’arrêt de la Cour de Cassation dans l’affaire « Baby loup » annulant le licenciement d’une salariée d’une crèche privée pour cause de port de voile. Les magistrats justifient ainsi leur décision : « Le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. » Ils précisent encore : « Les restrictions de la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. » Du côté des cadres ou dirigeants d’entreprises, des enquêtes soulignent que 80 % des interrogés ne ressentent pas de malaise particulier sur les questions liées au religieux dans l’entreprise. Une majorité d’entre eux pense qu’une loi n’est pas la bonne solution pour résoudre des difficultés qui peuvent apparaître. [1]

Alors pourquoi cette obstination de responsables politiques à vouloir une nouvelle loi au risque de créer à nouveau oppositions et clivages dans une société française par trop divisée et de donner raison aux plus extrémistes des religieux ou des laïques ? N’y a-t-il pas là une tentative de répondre aux inquiétudes réelles de certains par une réponse inadaptée ?

Aujourd’hui, chez les Français, musulmans et non musulmans, nous constatons une peur de disparaître. Des musulmans sont à la recherche de leur identité dans une société très sécularisée, perçue parfois comme hostile ou non compatible avec l’islam. D’autres concitoyens, parfois, ne supportent plus une visibilité ou des comportements de musulmans perçus comme provocants ou prosélytes. Certains peuvent passer de la peur à la haine. Le plus urgent n’est-il pas d’abord de reconnaître ces peurs et de chercher ensemble les moyens de les dépasser ?

Comment les responsables politiques peuvent-ils prendre en compte, au-delà de leurs convictions personnelles, la dimension religieuse et la liberté de son expression qui n’est pas confinée à la sphère privée selon toutes les conventions internationales sur les droits humains ? Ne devraient-ils pas se préoccuper en premier des causes économiques et sociales qui créent des situations d’inégalités, d’exclusions et de frustrations chez des jeunes qui se sentent rejetés tentés par les circuits parallèles et/ou une identité religieuse exacerbée pour être reconnus ?

Comment les responsables dans la communauté musulmane en France pourraient-ils faire passer au second plan divisions et querelles pour travailler ensemble à ce qui préoccupe la majorité des musulmans vivant en France ?

Comment ensemble, responsables religieux chrétiens et musulmans, aidons-nous les jeunes générations à conjuguer foi et raison, pratique spirituelle et religieuse et vie avec les autres dans le cadre de la société française ? Quelles initiatives prenons-nous pour casser les peurs, les préjugés sur l’autre et créer des liens ?

Comment formons-nous les futurs responsables religieux à la connaissance de la tradition de l’autre et à la reconnaissance de son chemin spirituel vers Dieu, sans masquer les différences doctrinales ?

Responsables politiques et responsables religieux à tous les niveaux, acteurs de la vie économique ou de la société civile, ne peuvent pas, pour des raisons électorales ou pour satisfaire leurs communautés, refuser de se donner les moyens de réfléchir ensemble à ces questions, de prendre ensemble des initiatives pour servir la cohésion de notre société, pour servir la fraternité.

Au moment où le SRI fête les 40 ans de sa création par les évêques de France, catholiques et musulmans avec nos autres concitoyens, nous sommes appelés plus que jamais à regarder en face, la réalité de notre société, à nous donner les moyens de la réflexion pour résoudre les situations difficiles, à faire preuve de créativité pour apprendre à conjuguer citoyenneté et foi en Dieu. Notre société a peur des différences, comment faire, lucidement, de ces différences une richesse ? Notre foi -confiance- en Dieu n’est-elle pas la source qui nous invite à regarder l’autre frère humain aussi, avec confiance ?

[1Étude de l’observatoire du fait religieux en entreprise de Sciences Po Rennes, mai 2013, en collaboration avec le groupe de RH et d’intérim Randstad France.

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Christophe ROUCOU

Prêtre de la Communauté Mission de France, directeur du Service des relations avec l’islam.

Publié: 01/07/2013