La Bible et la création

Non pas le "Comment", mais le "Pourquoi"

Les récits bibliques ne se préoccupent pas de donner une explication scientifique de l’apparition du monde et de l’homme. Le terme de "création" exprime une expérience qui est de l’ordre de la foi ; ce concept n’appartient d’ailleurs pas au vocabulaire des sciences de la nature, mais à celui de la théologie. Que les astrophysiciens, biochimistes, paléontologues et autres scientifiques continuent donc de chercher le "comment" et les circonstances de l’apparition de l’homme sur la terre ; les croyants continueront, eux, - qu’ils soient eux-mêmes scientifiques ou non - à qualifier Dieu de Créateur et, du coup, à proposer une raison d’être et un sens à tout l’univers qui les entoure.

La catéchèse sur la création revêt une importance capitale. Elle concerne les fondements mêmes de la vie humaine et chrétienne : car elle explicite la réponse de la foi chrétienne à la question élémentaire que les hommes de tous les temps se sont posée : "D’où venons-nous ?" "Où allons-nous ?" "Quelle est notre origine ?" "Quelle est notre fin ?" "D’où vient et où va tout ce qui existe ?" Les deux questions, celle de l’origine et celle de la fin, sont inséparables. Elles sont décisives pour le sens et l’orientation de notre vie et de notre agir. (Catéchisme de l’Eglise catholique, 1992, n° 282)

Il ne s’agit pas seulement de savoir quand et comment a surgi matériellement le cosmos, ni quand l’homme est apparu, mais plutôt de découvrir quel est le sens d’une telle origine : si elle est gouvernée par le hasard, un destin aveugle, une nécessité anonyme, ou bien par un Etre transcendant, intelligent et bon, appelé Dieu. (Catéchisme de l’Eglise Catholique, 1992, n° 284)

La Bible s’ouvre en fait, non pas sur un récit de la création, mais sur deux récits (sans même parler de la "création" du peuple d’Israël en par exemple), récits qui seraient d’ailleurs tout-à-fait contradictoires s’il s’agissait d’expliquer scientifiquement les débuts du monde et de l’humanité !

Ainsi, dans le récit sacerdotal (chapitre 1 du livre de la Genèse : ), composé par des prêtres au retour de l’exil à Babylone (4e siècle avant J.-C.), tout vient de l’eau. Au début, il n’y a que la masse chaotique des eaux primordiales. Dieu établit une voûte solide, le firmament, qui sépare les eaux d’en haut et les eaux d’en bas. Puis il sépare ces dernières en océans, et ainsi, la terre ferme apparaît. La terre est un ilôt au milieu des eaux.

A l’inverse, dans le récit yahviste (chapitre 2 du livre de la Genèse : ), beaucoup plus ancien puisqu’il fut écrit à la cour du roi David ou du roi Salomon (10e siècle avant J.-C.), tout vient de la terre. Au début, il n’y a que la terre sèche et stérile, car il n’y a eu aucune pluie. Dieu fait alors jaillir l’eau douce (sources et fleuves) ; l’homme et les animaux peuvent alors apparaître. La terre est une oasis au milieu du désert.

Abraham et Moïse avant Adam et Eve !

Même si la Bible, telle qu’elle se présente actuellement, commence avec le livre de la Genèse et les deux récits de la création, il faut se rappeler que les traditions les plus anciennes d’Israël concernent un Dieu libérateur (cf. les figures d’Abraham et de Moïse) plus que créateur.

En Israël, cette idée de création se développe et prend forme dans un contexte de libération. Aucun auteur n’a parlé avec autant de netteté du Dieu créateur que le Second Isaïe () : c’est qu’il annonce la libération du peuple déporté à Babylone (587-538) ; parce que, dans sa foi, il fait déjà l’expérience que Dieu est sauveur, il peut le proclamer créateur. Or c’est dans ce contexte qu’écrit également l’auteur du 1er récit de la création.

L’auteur du second récit écrit, lui, alors que le peuple est en train de goûter les fruits de la libération d’Egypte : David vient d’établir son royaume en Canaan.

A travers ces expériences de libération, Israël découvre que Dieu le veut un peuple libre et que, pour cela, il le sauve de ses esclavages ; mais cela engage Israël, en retour, à lui répondre en amour, à vivre selon l’alliance qu’il lui propose. Le génie des deux auteurs des onze premiers chapitres du livre de la Genèse a été de savoir s’élever de l’histoire d’un peuple à celle de tous les peuples : si Dieu est capable d’agir en sauveur dans une histoire particulière, c’est qu’il est le maître de l’histoire : il a créé l’humanité et il l’a créée pour qu’elle soit libre.

Une nouvelle utilisation de mythes anciens

Babyloniens et Egyptiens, eux aussi, avaient leurs mythes des origines, et la légende du déluge se retrouve ailleurs que dans la Bible à pareille époque. L’originalité de la Bible n’est pas dans les images employées !

Mais, dans le premier récit, le monothéisme juif se moque des idoles babyloniennes : le soleil et la lune ne sont plus des dieux et déesses, mais de simples "luminaires" !

Quant au second récit, il prend ses distances par rapport à l’épopée babylonienne d’Atra-Hasis. Dans le récit babylonien, l’homme est créé pour décharger les dieux de leur peine. Dans la Bible, Dieu crée l’homme de façon désintéressée et il le constitue maître de la création. Dans un cas comme dans l’autre, l’homme est créé à partir de la terre et d’un élément divin. Mais, à Babylone, c’est avec le sang d’un dieu déchu et vaincu : dans sa nature même, l’homme est ainsi marqué par une sorte de malédiction originelle. Dans la Bible, il devient un être vivant quand Dieu lui insuffle sa propre haleine : c’est le souffle de Dieu qui l’anime ! Pessimisme d’un côté, optimisme de l’autre.

Enfin, dans le récit babylonien, les dieux décideront de détruire l’humanité par le déluge, parce que celle-ci les trouble dans leur tranquillité. Le destin des hommes est décidé à partir de l’intérêt égoïste des dieux. Dans la Bible, si Dieu se résoud au déluge, c’est à cause de l’immoralité des hommes qui exige un jugement. Les hommes sont ainsi responsables de leur destin et non plus soumis aux caprices de la versatilité divine.

"Créer" n’est pas "Fabriquer"

Dans la Bible, "créer" ne signifie pas "fabriquer", mais quelque-chose comme "faire vivre", "donner la vie" (cf. le rapprochement, en français même, entre "créer" et "procréer"), "faire exister". C’est en ce sens que l’homme est dit créé "à l’image de Dieu", c’est-à-dire capable de donner la vie à son tour, de permettre aux autres d’exister en les reconnaissant avec chacun sa personnalité et son inaliénable liberté.

Etre créé, se reconnaître créé, c’est accepter de dépendre de celui qu’on aime (cf. le psaume 138 : ). L’amour crée des liens... Se reconnaître créé, c’est reconnaître ces liens, accepter de dépendre, par amour, de Celui qui nous a aimés le premier.

On peut encore lire sur le sujet : bibliographie à actualiser.
- Revue Fêtes et Saisons n° 446 (juin-juillet 1990) : La Bible dit-elle la vérité ?
- Revue Fêtes et Saisons n° 463 (mars 1992) : L’Eglise et la science
- P. GRELOT : Homme, qui es-tu ?, Cahier Evangile n° 4, Paris, Cerf, 1973
- C. MONTENAT, L. PLATEAUX, P. ROUX : Pour lire la création dans l’évolution, Paris, Cerf, 1984
- Catéchisme pour adultes des évêques de France paru en 1991, spécialement la 4e partie du chapitre 2 intitulée : "Créateur du ciel et de la terre" (pages 65 à 79)

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Philippe LOUVEAU

Prêtre du diocèse de Créteil, ancien équipier de PSN.
Curé doyen de la paroisse Saint-Georges à Villeneuve-Saint-Georges.

Publié: 01/06/2019