Le pape François et la diplomatie du Saint-Siège

Le pape dispose-t-il d’une véritable capacité d’action sur la scène internationale ?

Il existe un intérêt inaltéré pour la parole du pape François au sein de l’opinion publique internationale. Ce constat interroge : le pape dispose-t-il d’une véritable capacité d’action sur la scène internationale ? Et qu’en est-il de sa diplomatie [1] ?

Neutralité, puissance morale, et diplomatie de collaboration

Le Saint-Siège est un État « neutre et inviolable » et se définit comme « une puissance morale et spirituelle » [2]. Le principe de neutralité date du 19e siècle avec la fin des États pontificaux : le Siège apostolique s’est alors déclaré totalement neutre au sein du concert des nations. Cette approche sera consolidée lors de la première guerre mondiale puis intégrée dans les Accords du Latran de 1929 créant l’État de la cité du Vatican. De manière pratique, cela signifie que le Saint-Siège dispose du statut particulier d’observateur au sein de nombreuses instances intergouvernementales ou qu’il peut servir de médiateur dans des conflits entre États si les parties litigieuses en font la demande.

Quant à la notion de puissance morale du Saint-Siège, elle a été élaborée dans les années 1930 par des juristes catholiques. Le but était d’éviter l’assimilation du Vatican aux autres nouveaux petits États créés après la guerre de 1914 et d’affirmer sa singularité sur la scène internationale. Certains États, malgré leur petite taille, jouent aujourd’hui un rôle très important sur la scène interétatique et le Saint-Siège assume désormais pleinement cette caractéristique. De même, l’articulation entre « neutralité » et « puissance morale » permet au Saint-Siège d’adopter une attitude de « surplomb magistériel » à l’égard de la société internationale. Ce rôle « d’expert en humanité » du Saint-Siège a été assumé pour la première fois par le pape Paul VI lors de sa venue aux Nations-Unies en 1965.

Hors enceintes dédiées au multilatéralisme, le cadre privilégié des relations diplomatiques avec le Saint-Siège est bilatéral, c’est-à-dire d’État à État. La diplomatie du Saint-Siège propose une offre de coopération dans l’intérêt des deux parties. Ainsi, on peut considérer qu’en échange du libre exercice de la liberté religieuse, l’Église aide à éduquer la conscience des citoyens, respecte le principe de la légitimité, engage à la solidarité et à l’amour de la patrie. Elle aide également l’État dans sa mission de service public par ses propres institutions sociales (écoles, hôpitaux, etc.) [3]. La visite du pape auprès du parlement européen en 2014 est une illustration de cette diplomatie de coopération. Le Saint-Père a rappelé que le passé est le passé mais propose une offre de service pour le futur [4] : Comment construire en commun l’avenir de la jeunesse, améliorer l’environnement, lutter contre la pauvreté, et aider les migrants ?

La capacité d’action du Saint-Père sur la scène internationale

D’après François MABILLE, le pape dispose d’une capacité d’action globale (un véritable soft power). Son premier levier s’apparente, dans une certaine mesure, à un « pouvoir d’ingérence » de l’Église catholique dans un État. En effet, la dimension sociale de la foi peut avoir un impact direct dans les affaires d’un pays notamment concernant les questions sociétales, la défense de la vie, ou l’application de la doctrine sociale de l’Église. Lors de son entretien avec des députés européens en 2007, le pape Benoît XVI a rappelé qu’il existe une véritable « objection de conscience » pour un homme politique chrétien lorsqu’il se prononce sur de tels sujets.

Le Saint-Père dispose également d’un pouvoir d’influence et d’un pouvoir médiatique. Le pape François est sur ces points en rupture avec ses prédécesseurs dans la mesure où il souhaite toucher directement l’opinion publique mondiale, et non les dirigeants. En faisant appel à la conscience de chacun, il offre ainsi une réflexion commune et tente de mobiliser l’opinion internationale sur des sujets précis. Le mode de communication du pape François – en s’adressant directement aux journalistes et en ayant une parole très accessible (mais peut-être moins maîtrisée) – représente quelque chose de très innovant et adapté aux nouveaux modes de communications numériques.

Une autre dimension importante – et souvent oubliée car trop diffuse – est la politique culturelle du Saint-Siège. Elle est solidement portée par les organismes officiels du Vatican notamment en charge de l’éducation et de la culture ainsi que les académies pontificales. Mais elle est également soutenue par l’enseignement catholique allant du primaire au supérieur (qui est le premier acteur privé au niveau mondial dans ce domaine), par le travail des organisations non-gouvernementales catholiques (très actives auprès des organisations multilatérales), et plus largement au sein des différents lieux de cultes ou centres de réflexions catholiques à travers le monde.

Le pape François : médiateur, médecin et lanceur d’alerte

Le pape François a progressivement dévoilé ses compétences de médiateur sur la scène internationale. Ainsi, sous son pontificat, la diplomatie du Saint-Siège s’est intégrée à la « diplomatie parallèle » en complément de la diplomatie traditionnelle. Ayant bien compris que les questions religieuses étaient désormais sur l’agenda des relations inter-étatiques, le pape François a réintroduit le Saint-Siège dans le jeu des puissances en s’impliquant dans de nombreux dossiers géopolitiques. Son but est de promouvoir le dialogue et la rencontre pour apaiser les tensions internationales, par exemple avec les entrevues officieuses entre Cuba et les États-Unis ou encore le travail para-diplomatique avec l’Iran. Il s’agit d’une diplomatie de mouvement, qui n’aime pas le statu quo, et qui prend des risques comme cela a été fait sur le dossier syrien afin d’éviter une intervention américaine.

La figure du pape médecin ou de l’humanitaire est un autre visage du pape François. Que cela soit à Lampedusa en Sicile, à Lesbos, ou au parlement européen, le pape n’a jamais cessé de dénoncer la « mondialisation de l’indifférence » à l’égard des migrants et des réfugiés et plus globalement des exclus. Les propos du pape se sont accompagnées d’actions concrètes relayées par des organisations non-gouvernementales catholiques (p.ex. communauté Sant’ Egidio), des congrégations catholiques (p.ex. Jesuit Refugee Service) ou encore des institutions catholiques (p.ex. RefugeesLab). Ainsi, avec ces prises de positions, le Saint-Siège renoue avec un imaginaire et des représentations qui associent l’Église au champ caritatif.

Dans les enceintes internationales où s’active la diplomatie pontificale, les dénonciations du pape François d’un ordre international néo-libéral et du capitalisme financier s’enchaînent. À l’UNESCO, au conseil de l’Europe, ou à l’OSCE, les prises de positions du Saint-Siège se multiplient. Le pape François est devenu ainsi une sorte de lanceur d’alerte. Il est accepté comme tel par l’opinion publique mondiale qui voit en lui une figure morale capable de structurer des lignes de réflexion sur des problématiques précises.

Axiomes de la diplomatie pontificale : Paix, écologie et tolérance

La diplomatie du pape François s’ordonne, selon François MABILLE, autour de la promotion de la « paix intégrale » qui embrasse l’ensemble des besoins fondamentaux de l’humanité.

Ces besoins incluent en premier lieu une opposition radicale à la course aux armes et à la promotion de la paix. Alors que Jean Paul II avait défini la dissuasion nucléaire comme un mal nécessaire, le pape François est très critique de cette doctrine, allant jusqu’à condamner la possession d’armes nucléaires par les États. La médiation en faveur de la paix est également une priorité pour le pape. Du Soudan du Sud, en passant par le Moyen-Orient et l’Ukraine, le pape n’aura cessé, avec des succès divers de sortir des us et coutumes diplomatiques pour emprunter les habits d’un homme de bonne volonté promouvant la paix. Cette approche conjuguant simplicité, pacifisme et esprit de pauvreté, s’inscrit dans le choix même de son nom de pape – François – à la suite du poverello saint François d’Assise.

La mobilisation en faveur de l’environnement (avec l’encyclique Laudato si’) a montré la volonté de la diplomatie pontificale de faire prendre conscience à l’humanité de la nécessité de protéger la « maison commune ». Cette position a ainsi permis à l’Église catholique d’opérer un rattrapage intellectuel tout en reprenant place parmi les acteurs impliqués sur le sujet.

Le pape Benoît XVI a initié un dialogue avec le monde musulman suite à ses propos controversés de Regensburg. Ce dialogue a été énergiquement renforcé par le pape François et est structuré à partir de déclarations communes signées avec les autorités musulmanes. L’objectif du pape est de faire baisser les tensions avec le monde musulman, et de nouer des relations pérennes avec l’islam. L’histoire rendra très certainement hommage à ce travail.

Et le Luxembourg ?

Le catholicisme européen se marginalise au sein même du catholicisme mondial : il devient progressivement un dossier à traiter pour le Saint-Siège – avec ses problématiques (déclin, sécularisation, minoritaire) – et non un exemple à suivre à l’échelle internationale. Dans ce contexte, la situation luxembourgeoise ne se distingue pas de ses voisins européens. Même si la principale religion pratiquée au Luxembourg demeure le catholicisme (avec comme principal moteur les populations immigrées), la société luxembourgeoise est devenue dans la dernière décennie une société « post-matérialiste », c’est-à-dire a-religieuse, et dominée par le libéralisme culturel [5].

La liberté religieuse demeure quelque chose de fragile même dans les sociétés démocratiques et tolérantes comme le Luxemobourg. L’actuel nonce apostolique pour la Belgique et le Luxembourg, Franco COPPOLA, tout en faisant état des bonnes relations entre l’Église catholique et l’État luxembourgeois, a été surpris de constater la survivance dans le droit pénal luxembourgeois de l’article 268 sur le « délit de chaire » qui limiterait la liberté de parole du prêtre lorsqu’il s’exprime en public. Cependant, on peut se poser la question de la compatibilité de cet article avec la Convention européenne des droits de l’homme garantissant la liberté de pensée, de conscience et de religion.

Concernant les aspects diplomatiques, la situation luxembourgeoise est originale. Tout d’abord, la diplomatie pontificale est d’intérêt pour le Grand-Duché qui lui aussi est un « petit État » disposant d’un appareil diplomatique complet. De plus, la nomination de l’archevêque de Luxembourg Jean-Claude HOLLERICH à différents postes au Saint-Siège – notamment comme rapporteur général du Synode ou encore comme membre du Conseil des cardinaux – fait de ce dernier une personnalité de premier plan au sein de l’Église universelle. Enfin, la visite du chef de la diplomatie du Saint-Siège en mars 2023 montre la vivacité des liens diplomatiques entre les deux États.

[1Cet article est basé sur une conférence organisée le 12 mars 2024 à Luxembourg par la Conférence Saint-Yves. Les intervenants étaient François MABILLE (universitaire français spécialisé dans la politique du Saint-Siège), Franco COPPOLA (nonce apostolique pour la Belgique et le Luxembourg), Renée SCHMIT (Centre de formation diocésain), Jude KULAS (Pères rédemptoristes), Geoffroy HERMANNS (Conférence Saint-Yves).

[2Voir l’article 24 des Accords de Latran entre le Saint-Siège et le Royaume d’Italie du 11 février 1929.

[3Cette approche a été développée par le cardinal Tauran (1943-2018) lorsqu’il était chef de la diplomatie du Vatican.

[4Notamment avec l’aide de la COMECE - Commission des épiscopats de l’Union européenne – qui a pour but de mettre en oeuvre le dialogue entre les évêques des pays membres de l’Union européenne et les institutions de l’Union européenne sur des sujets d’intérêt commun.

[5Voir l’analyse du professeur Philippe POIRIER, « Le futur du catholicisme ? », publication de la Conférence Saint-Yves, Luxembourg, Mars 2022, pp. 2-3 disponible sur http://www.csy.lu (https://web.cathol.lu/article11023).

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William Lindsay SIMPSON

Président de la Conférence Saint-Yves, association des avocats et des juristes catholiques au Luxembourg.

Publié: 01/07/2024
Les escales d'Olivier