Face à la crise

Quelques éléments de la doctrine sociale de l’Eglise

Commençons par rappeler quelques-uns des grands principes qui se dégagent de l’enseignement du pape et des évêques depuis l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII en 1891. Nous en verrons ensuite quelques applications plus concrètes.

I. QUATRE GRANDS PRINCIPES INDISSOCIABLES

1. La dignité de la personne humaine

Toute la doctrine sociale de l’Eglise « se déroule à partir du principe qui affirme l’intangible dignité de la personne humaine » [1], laquelle dignité lui vient de son statut de créature créée à l’image de Dieu.
Une société juste ne peut être réalisée que dans le respect de la dignité transcendante de la personne humaine. Celle-ci représente la fin dernière de la société, qui lui est ordonnée. « Aussi l’ordre social et son progrès doivent-ils toujours tourner au bien des personnes, puisque l’ordre des choses doit être subordonné à l’ordre des personnes et non l’inverse. » [2]
La personne ne peut pas être finalisée à des projets de caractère économique, social et politique imposés par quelque autorité que ce soit, même au nom de présumés progrès de la communauté civile dans son ensemble ou d’autres personnes, dans le présent ou dans le futur. [3]

2. La recherche du bien commun

Le concile Vatican II le présente comme « cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée ». [4]
Le bien commun ne saurait se réduire au bien-être socio-économique et ne coïncide pas toujours avec l’expression majoritaire. Supérieur et transcendant à la somme des intérêts personnels des membres du groupe, il implique toujours un progrès en humanité, donc un progrès moral.
Dans une perspective chrétienne, il passe en premier lieu par le respect de la personne humaine en tant que telle et est la raison d’être de l’autorité politique [5].
De ce principe découle un autre principe, celui de la destination universelle des biens : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité ». [6]
Tous les autres droits, quels qu’ils soient, y compris ceux de propriété et de libre commerce, sont subordonnés à ce principe de la destination universelle des biens.
De ce principe découle aussi « l’option préférentielle pour les pauvres » souvent évoquée par Jean-Paul II à propos de la réforme agraire en Amérique Latine. [7]

3. La subsidiarité

Formulé déjà dans l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII en 1891 et désormais passé dans la société civile, le principe de subsidiarité fait confiance à ceux qui se trouvent au plus près du terrain pour résoudre ensemble leurs difficultés et ne prévoit l’intervention des instances sociales supérieures que pour aider (« subsidium » = aide) les individus et les corps intermédiaires en cas de nécessité. [8] Il repose sur la conviction que toute personne, toute famille et tout corps intermédiaire a quelque chose d’original à offrir à la communauté et tend à promouvoir la participation du plus grand nombre à la vie sociale.
« En intervenant directement et en privant la société de ses responsabilités, l’Etat-Providence provoque la déperdition des forces humaines, l’hypertrophie des appareils publics, animés par une logique bureaucratique plus que par la préoccupation d’être au service des usagers, avec une croissance énorme des dépenses. » [9]

4. La solidarité

Ce terme, connoté très positivement aujourd’hui et qui s’exprime notamment par le souci d’un « développement durable », nous vient de la morale républicaine de la fin du XIXème s. et a été largement repris dans le discours ecclésial. « C’est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun ; c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous. » [10] Il s’agit sans aucun doute d’« une vertu chrétienne » [11]

Avant d’en venir à quelques applications plus concrètes, notons que certaines personnalités chrétiennes ont récemment [12] cru pouvoir condenser encore ces quatre principes en deux priorités : celle de l’homme sur l’économie (l’économie est au service de l’homme, et non l’inverse) et celle des pauvres sur les privilégiés (l’équité condamne une trop grande inégalité entre les revenus).

II. QUELQUES APPLICATIONS…

1. Le profit et le marché libre

La doctrine sociale reconnaît la juste fonction du profit, comme premier indicateur du bon fonctionnement de l’entreprise. Mais il reste à vérifier que l’entreprise sert correctement la société. Par exemple ; « il peut arriver que les comptes économiques soient satisfaisants et qu’en même temps les hommes qui constituent le patrimoine le plus précieux de l’entreprise soient humiliés et offensés dans leur dignité. » [13]
Le profit individuel de l’agent économique, bien que légitime, ne doit jamais devenir l’unique objectif. A côté de celui-ci, il en existe un autre, tout aussi fondamental et supérieur, celui de l’utilité sociale, qui doit être réalisé non pas en opposition, mais en cohérence avec la logique du marché.
« Les vols les plus graves ne sont pas nécessairement les plus visibles : escroqueries, manœuvres frauduleuses et opérations financières malhonnêtes, production obtenue par une main-d’œuvre sous-payée et placée hors de la protection sociale, exploitation du tiers monde sans transfert de technologie... Le respect des normes légales ne suffit pas à les rendre moralement licites ». [14]

2. Le rôle de l’État en matière économique

La solidarité sans subsidiarité peut facilement dégénérer en politique de l’État-Providence générant l’irresponsabilité des citoyens, tandis que la subsidiarité sans la solidarité risque d’alimenter des formes de régionalisme égoïste. Pour respecter ces deux principes fondamentaux, l’intervention de l’Etat dans le domaine économique ne doit être ni envahissante, ni insuffisante, mais adaptée aux exigences réelles de la société.

3. La démocratie

L’encyclique Centesimus annus fait l’éloge de la démocratie, tout en en montrant les limites [15]. La doctrine sociale identifie le relativisme éthique comme l’un des risques majeurs pour les démocraties actuelles, lequel induit à estimer qu’il n’existe pas de critère objectif et universel pour établir le fondement et la hiérarchie correcte des valeurs.
Fondamentalement, la démocratie est « un ‘système’ et, comme tel, un instrument et non pas une fin. Son caractère ‘moral’ n’est pas automatique, mais dépend de la conformité à la loi morale, à laquelle la démocratie doit être soumise comme tout comportement humain : il dépend donc de la moralité des fins poursuivies et des moyens utilisés ». [16]

4. Travailler le dimanche ?

Même si la Bible et la doctrine sociale de l’Eglise tiennent en haute estime le travail de l’homme et y voient une marque de sa ressemblance avec Dieu, il n’en reste pas moins que notre Eglise est très attachée au respect du repos du dimanche, et ceci pour des raisons théologiques certes, mais encore anthropologiques et sociales.
L’heureuse tradition, multiséculaire, du dimanche chômé enrichit, pour les chrétiens, la célébration du jour du Seigneur. Mais elle rend un éminent service à la société tout entière en soulignant fortement que l’homme a d’autres besoins que de produire et de consommer : Jour de liberté, de détente, de repos, le dimanche est un jour pas comme les autres qui permet aux hommes de prendre un peu de distance par rapport au travail et à l’argent.
Avec l’ensemble des syndicats, l’Eglise rappelle aussi que le dimanche chômé, outre qu’il sert les retrouvailles entre générations au bénéfice du lien social, constitue bel et bien un acquis des travailleurs conquis de haute lutte qu’il convient de préserver : supprimer ce jour de congé hebdomadaire commun accentuerait l’atomisation de la société française et desservirait les travailleurs. Prétendre que ceux-ci pourraient choisir de travailler ou non le dimanche est un leurre : des pressions pèseraient en effet sur le personnel en particulier dans les conditions d’embauche. Et il n’est pas difficile de deviner que les avantages salariaux consentis actuellement disparaîtront progressivement, à moins que l’on ait recours à des emplois à temps partiel continuant à renforcer les situations de précarité de bien des familles. [17]

[1Conseil Pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, Bayard-Cerf-Fleurus, 2008, n°107

[2Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes l’Eglise dans le monde de ce temps, n°26

[3Conseil Pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, Bayard-Cerf-Fleurus, 2008, n°133

[4Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes l’Eglise dans le monde de ce temps, n°26

[5Catéchisme de l’Eglise catholique, n°1910

[6Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes l’Eglise dans le monde de ce temps, n°69

[7Encyclique Sollicitudo rei socialis sur le développement et la question sociale, n°42

[8Catéchisme de l’Eglise catholique, n°1883

[9Jean-Paul II, encyclique Centesimus annus, 48

[10Encyclique Sollicitudo rei socialis sur le développement et la question sociale, n°38

[11idem, n°40

[12"Un rendez-vous pour l’Espérance", tribune signée d’une vingtaine cde personnalités chrétiennes et publiée dans plusieurs quotidiens dont le journal La Croix en date des 24-25 décembre 2008

[13Jean-Paul II, encyclique Centesimus annus, 35

[14Catéchisme pour Adultes, n°615

[15Les évêques de France, Catéchisme pour adultes, n°571 et 573

[16Jean-Paul II, encyclique Evangelium vitae 70

[17Cf. CEC 2184 et, plus récemment, « Le dimanche au risque de la vie actuelle » , Documents Episcopat n°1/2008 et « Ne sacrifions pas le dimanche pour gagner plus », déclaration du Cardinal BARBARIN dans le quotidien « Le Monde » du 3 décembre 2008, textes téléchargeables depuis : http://www.eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/la-place-du-dimanche-dans-la-vie-de-lhomme.html

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Philippe LOUVEAU

Prêtre du diocèse de Créteil, ancien équipier de PSN.
Curé doyen de la paroisse Saint-Georges à Villeneuve-Saint-Georges.

Publié: 01/03/2009