Les quarante heures

Sais-tu, Isa, où ma recherche de l’origine des Quarante Heures m’a menée ? J’ai atterri au cours de mes recherches à Milan en passant par le Saint Sépulcre, à Jérusalem, pour échouer en France à Montmartre, et, par extension, au Montmartre mauricien. Quel périple ! J’en suis tout essoufflée.

La raison de ce périple ? Il m’a été demandé d’écrire sur les Quarante Heures. Je le voulais bien, mais pour écrire sur quelque chose, il faut bien le connaître. Or, quand j’ai demandé aux uns et aux autres l’origine des Quarante Heures, la réponse invariable était que personne n’en savait rien et quelqu’un m’a même dit, un jour, très sérieusement, qu’il était fort possible que ce fût une invention du clergé mauricien.

La question m’intrigue. Que signifie cette appellation : Quarante Heures ? Je me suis mise à faire des recherches et j’ai trouvé. Mais, j’aimerais expliquer tout d’abord, la raison du choix de Quarante Heures et non de trente ou de cinquante ?

Le livre d’Alain Marchadour : "Les mots de la Bible" me renseigne immédiatement. Il nous y est dit que le nombre 40 est presque cent fois cité dans la Bible. Le plus souvent, il symbolise une plénitude de vie ou une durée idéale mais alors que, pour nous, un nombre est le concept de base des mathématiques, pour les civilisations sémitiques (groupe à qui on attribue Sem, le fils de Noé, comme ancêtre), les nombres avaient surtout une valeur symbolique. Ainsi, dans la Bible, les nombres 10, 20, 40 symbolisent ce qui est complet.

"Le nombre 40 désigne les années d’une génération ainsi le déluge se déroule dans une quadruple série de 40 jours (). Moïse demeure pendant 40 jours et 40 nuits sur la montagne en présence de Dieu. Le temps du désert pour Israël fut de 40 ans : temps de la présence prévenante de Dieu mais surtout temps de l’épreuve. Jésus jeûne 40 jours et 40 nuits. L’Ascension a lieu 40 jours après la Résurrection."

Voilà un point d’acquis mais une chose m’intrigue. Quand je fais le compte du nombre d’heures pendant lesquelles le Saint Sacrement est exposé, je me rends compte que nos Quarante Heures ne sont, en fait, que 28 heures d’adoration réelle, car le Saint Sacrement ne reste pas exposé pendant la nuit, ou si l’on compte toute la période, 48 heures. Erreur de compte ! Non, facilités accordées à notre époque ! Peut-être. Quoi qu’il en soit, nos Quarante Heures ne sont pas de Quarante Heures, mais cela n’a pas une réelle importance. Là n’est pas le but de ma recherche.

Ce qui compte c’est que dès le mois de mars, le monde des catholiques et même de certains non-catholiques mauriciens s’agite et guette avec anxiété la publication par l’évêché de la liste des "Quarante Heures" pour assister autant de fois que possible et avec la même ardeur et la même piété à la cérémonie des Quarante Heures dans autant d’églises que possible.

Et que se passe-t-il pendant ces Quarante Heures ? Tout d’abord, ouverture de la cérémonie par une messe suivie d’une procession et de l’exposition du Saint-Sacrement pendant Quarante Heures, et son achèvement par une messe pour la paix. Et je viens de l’apprendre, grâce à mon encyclopédie Théo, pendant l’exposition, il est requis que deux personnes au moins soient présentes devant le Saint-Sacrement.

A Maurice, il est d’usage que le Saint-Sacrement ne soit pas exposé pendant la nuit mais réinstallé au cours d’une messe le lendemain matin. Il reste exposé à la piété des fidèles pendant deux jours, de 6 heures 30 à environ 21 heures, toute la journée et le dernier soir, la cérémonie des Quarante Heures s’achève au cours d’une messe.

Pour connaître l’origine des Quarante Heures, j’ai dû avoir recours à mon fidèle Théo, l’encyclopédie catholique d’où j’extrais ce qui va suivre :
"Les catholiques, par cette adoration de Quarante Heures, ont voulu signifier leur foi au Christ se rendant réellement présent d’une manière permanente dans le sacrement de l’Eucharistie."

"L’on pense que le nom des Quarante Heures a pour origine les prières dites devant le sépulcre du Christ dans l’église du Saint-Sépulcre entre le Vendredi saint au soir et le dimanche matin mais il semblerait que la dévotion des Quarante Heures ait vu le jour à Milan."

"En 1527, Jean-Antoine Bellotti (?) institua des Quarante Heures chaque trimestre, Mais c’est saint Antoine Marie Zaccarie et les barnabites [1] qui passent pour être les véritables fondateurs de cette chaîne ininterrompue de prière, suivant les mots de Clément VII dans la Constitution étendant cette pratique au monde entier."

"Les Quarante Heures donnèrent naissance à des pratiques telles que l’Adoration perpétuelle, c’est à dire une adoration jour et nuit pendant une certaine période. En France, à la suite d’un vœu, une adoration perpétuelle est organisée au Sacré-Cœur de Montmartre : elle s’y prolonge depuis plus de cent ans."

"L’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement est quelquefois appelée réparatrice car elle a souvent été perçue comme un moyen de consacrer par la prière ce qui est profané par le péché." Et c’est comme cela que je suis revenue à l’île Maurice, à Rose Hill, au Montmartre mauricien, lieu d’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement par les religieuses réparatrices, alors que mon enquête m’avait fait partir du Saint-Sépulcre à Jérusalem."

Je n’ai malheureusement pas le temps de décrire la ferveur populaire qui éclate dans toute l’île pendant ces nombreuses Quarante Heures, de parler des foules qui viennent prier dans les églises, de la foi immense qui se dégage, surtout quand éclatent parfois le Tantum Ergo ou le Veni Creator, de cette communion des chrétiens et de non-chrétiens qui viennent, signifier leur foi au Christ se rendant réellement présent d’une manière permanente dans le sacrement de l’Eucharistie.

Et voilà, Isa, un peu de l’histoire de notre Eglise qui n’est pas bien connue. Je suis heureuse si j’ai pu, grâce à mes nombreux livres que je destine à notre future bibliothèque de l’église du Saint-Sauveur, à Bambous, enrichir un peu nos connaissances, les miennes, les tiennes et celles de beaucoup d’autres.

Et maintenant, Isa, bonne nuit. Dors bien

[1St Antoine Marie Zaccarie, prêtre (1502-1539), fonda un groupe religieux vivant dans le monde, appelé les Clercs réguliers de Saint-Paul aussi connu sous l’appellation barnabites parce que le centre de leurs activités se trouvait à l’église Saint-Barnabé à Milan. Il fonda aussi les sœurs de Saint-Paul. Les barnabites se consacrent au ministère paroissial, à l’éducation de la jeunesse, à la prédication et aux missions.

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M.J. Arlette ORIAN

Ancienne directrice d’une école de secrétariat à l’île Maurice

Publié: 01/03/2021