Vous savez dire ‘merci’, vous ?

Ils étaient dix, atteints du sida en phase pré-terminale. Ils se savaient incurables, condamnés à une mort physique prochaine. Ils étaient d’ailleurs à peu près morts sur le plan civil. Ils avaient perdu leur boulot sous des prétextes divers, ils avaient aussi perdu leur foyer : leurs épouses, sous des prétextes divers aussi, s’étaient pour la plupart éclipsées, deux sur trois avaient même perdu leurs enfants. Il leur avait été vivement déconseillé de les voir (cela risquait de les traumatiser, sans compter les risques de contagion). Et ceux qui avaient malgré tout conservé leur environnement familial, amical, se sentaient comme les autres, seuls en face du passage fatal qui approchait à grands pas... Sur les dix, neuf étaient français de souche ; ils s’appelaient Martin, Dupont, Lefort, le dixième s’appelait Ali Ben Ali. Mais dans l’état où ils étaient, ça leur était égal que cet étranger fasse partie de leur groupe.

Ils avaient entendu parler d’un guérisseur extraordinaire qui s’appelait Jésus. Comme ils n’avaient plus rien à perdre, ils avaient décidé d’aller vers Lui. Ils l’avaient trouvé et le guérisseur, pris de pitié, leur avait recommandé de retourner voir leur médecin traitant. Et sur le chemin du retour, ils s’étaient sentis incroyablement mieux : les plaques noires avaient disparu, les tremblements également, leurs forces revenaient... Guéris, ils se sentaient guéris ! Ils ont tous couru vers leur toubib pour avoir confirmation de leur rétablissement, tous sauf Ali Ben Ali qui est retourné voir leur guérisseur pour lui dire merci.

"Un seul sur dix" a soupiré Jésus, "N’ont-ils pas tous été guéris ? Et c’est un étranger qui, seul, a su dire merci."

Va, Seigneur, ne te désole pas ! Un sur dix est un score des plus honorables, je t’assure. Pense à tous ceux qui dans les pays riches de l’hémisphère nord se réveillent après une bonne nuit, s’apprêtent à déjeuner avec appétit, et à accomplir leurs activités dans une forme des plus convenables. Et dis-moi, combien il y en a qui songent à dire merci pour cette bonne santé gratuite dont ils bénéficient. Je t’assure, il n’y en a pas un sur dix ; un sur cent ? Ça m’étonnerait ! Un sur mille ? Je ne sais pas, c’est pas sûr !

Il leur faudra être en contact avec quelqu’un qui leur est cher, et qui souffre de mauvaise santé, ou être malade eux-mêmes pour prendre conscience de la chance merveilleuse qu’on a quand on est en bonne santé. Alors, peut-être, en cas de mieux être, ils songeront à Te dire merci.

Tu vois, ne Te désole pas, Seigneur ! On est comme ça oublieux des bienfaits dont on bénéficie ! Tu nous excuses, dis, Seigneur ? Mais je Te promets, avec l’histoire de tes dix lépreux, on va essayer de Te dire merci. Ça fera bien élevé et surtout, on le sait, ça Te fera plaisir.

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/01/2004