Expérience du sacré et liturgie

Un peu de familiarité avec la Bible aidera les chrétiens à ne pas se tromper de sacré et à ne pas se crisper sur des querelles litugiques. Merci au Père COTHENET de nous le rappeler !

Il est de bon ton, dans certains milieux, de déplorer que la liturgie actuelle ait contribué à faire perdre le sens du sacré. On idéalise le passé, en oubliant parfois que S.Pie X avait réclamé une participation active de l’assemblée aux célébrations.

La question essentielle est celle du statut du sacré en christianisme. En histoire des religions la distinction entre sacré et profane est fondamentale, même si elle se réalise sous des formes très variées. Selon l’étymologie, le profane (pro fano) est ce qui se trouve devant l’espace sacré et appartient donc à la vie ordinaire, alors que le sacré relève de la communication avec les forces divines. Le grand historien des religions , Mircea Eliade, renvoie aux expériences fondatrices, celles des manifestations des forces de la nature : la source qui jaillit dans le désert, l’arbre qui semble braver les siècles, l’antre mystérieux où la pythie installera son trépied, la haute montagne, entourée d’un cercle de nuages, où résident les dieux...Pour accéder au lieu sacré, confié à la garde des prêtres, il faut pratiquer des rites de purification.

En Israël, l’expérience fondatrice n’est pas celle d’un lieu sacré, mais celle d’un Dieu qui s’adresse à l’homme pour lui ouvrir un avenir. Expérience d’Abraham appelé à quitter la terre des ancêtres pour donner naissance à une nation. Expérience de Jacob qui voit en rêve l’échelle reliant le ciel et la terre et reçoit une réitération de la promesse pour sa descendance. Expérience de Moïse qui doit se déchausser pour approcher d’un Dieu qui se présente comme libérateur et l’envoie à ses frères opprimés en Egypte. Le signe de la présence divine, c’est l’arche, piédestal d’un Dieu qui siège sur les chérubins et a conclu alliance avec son peuple sur la base des Dix Paroles . A l’opposé des sanctuaires païens qui regorgent de statues, la Loi de Moïse interdit toute représentation de Yahvé. La seule image de Dieu, ce sont l’homme et la femme que le Créateur a faits à son image selon sa ressemblance. Nous aimons chanter : « Tout homme est une histoire sacrée. »

Le Nouveau Testament apporte en la matière une radicalisation des perspectives. Jésus fréquente le Temple de Jérusalem pour y enseigner et invite à trouver en Lui la source des eaux jaillissantes (Jn 7,37). S’il chasse les vendeurs, c’est pour que tombent les barrières et que le temple tout entier soit « maison de prière pour les nations ». S.Jean radicalise encore la scène, en insistant sur la suppression des sacrifices , tels que les prescrivait la Loi de Moïse. Désormais, il n’y a d’autre Temple que le Christ ressuscité, Parole éternelle du Père.

Paul a tiré les conséquences de la foi au Christ qui seul justifie : tombent tous les interdits liés à la distinction entre aliments purs et impurs. Le véritable Temple, où réside l’Esprit de Dieu, c’est la communauté tout entière. Pierre ne dira pas autre chose dans cette épître où il présente l’Eglise comme « la communauté sacerdotale du roi ». Le seul sacrifice qui convient, c’est l’offrande concrète de l’existence tout entière, dans la recherche de ce qui plaît au Seigneur. La profanation du « repas du Seigneur » vient de ce qu’on s’assemble par petits groupes, selon la fortune et les affinités sociales, en méprisant les pauvres de la communauté. Avec force, l’épître aux Hébreux rappellera que le Christ est l’unique Prêtre, Lui qui s ’est offert pour toujours afin d’être notre intercesseur auprès du Père. Quant aux fidèles, ils sont invités à « offrir sans cesse à Dieu un sacrifice de louange, c’est à dire le fruit des lèvres qui confessent Dieu » et à ne pas oublier la bienfaisance et l’entraide communautaire (He 13,9s).

Tels sont les critères d’une liturgie authentique : l’écoute d’un Dieu qui nous parle en son Fils, Jésus Christ, - la formation d’une communauté appelée à être Temple de Dieu, sous l’action de l’Esprit qui distribue ses dons pour le bien de tous, - d’une communauté qui, dans la réception du Corps du Christ, se sait envoyée au service du monde aimé de Dieu. « Foi, culte et ethos (au sens d’un service concret) se compénètrent mutuellement comme une unique réalité qui trouve sa forme dans la rencontre avec l’agapè de Dieu... Une Eucharistie qui ne se traduit pas en une pratique concrète de l’amour est en elle-même tronquée » (Benoit XVI, Dieu est amour, n° 14),

Ne laissons pas les querelles de rites nous ramener vers une notion du sacré qui n’est pas celle du christianisme. A la mort du Christ, le voile du Temple s’est déchiré, l’espace est ouvert pour que la proclamation de l’Evangile retentisse dans toutes les nations, chacune appelée à vivre la foi selon les richesses de sa culture.

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Edouard COTHENET

Prêtre du diocèse de Bourges.

Publié: 01/09/2006