Beauté de Dieu - Beauté de la liturgie

I. La beauté d’une rencontre

La liturgie n’est pas un spectacle, fût-il réussi.
Attention aux liturgies « vitrines », « concerts », mimes, expos...
La liturgie ne développe pas des « thèmes », des « belles » pensées : elle n’est pas le lieu ou le moment où on développe des idées, une philosophie.
Elle n’est pas non plus l’occasion de sermonner les gens, de faire de la morale.
Elle n’est pas davantage le lieu d’ambiances, de démonstrations enthousiasmantes, de ferveurs collectives, de recherches d’émotions...
L’accumulation de beaux textes, de beaux objets, de beaux chants, de beaux gestes, de petits frissons... tout ça ne fait pas une belle liturgie...
La préparation d’une liturgie ne dresse pas la liste de belles choses à faire, il ne s’agit pas de remplir un cahier des charges, de remplir des cases (cf : les équipes de préparation : qui fait quoi ?)...

mais la liturgie chrétienne se prépare à une rencontre amoureuse.

C’est une rencontre qui nous rend beaux... de la beauté même de Celui que l’on rencontre.
Exemple : un souper d’amoureux, une fête de famille, un grand rassemblement (JMJ ; témoignages des participants d’Ecclesia 2007).
Liturgie = fête : fête intime ou fête plus collective... tout est à soigner, parce qu’on fête une présence. On est à la joie d’accueillir quelqu’un.

Dans la liturgie on assiste à une véritable inversion de la fête : c’est Dieu qui nous invite et nous fait fête. C’est Lui qui vient.
La fête est dans son cœur. C’est Lui qui nous accueille et nous met à l’aise.
Dieu nous rend beaux : alors, on a envie de vivre mieux, à la hauteur du regard qu’Il pose sur nous.

Ceux qui préparent une liturgie = facilitent la rencontre entre Dieu et la vie des gens. Traduisent un climat.
Transmettent les gestes et les paroles de Dieu pour les gens qui sont là.
Aident les gens à exprimer leur joie, leur prière, leur adoration.

Les serviteurs de la liturgie = indicateurs de la beauté de Dieu qui nous rend « en forme », qui nous rétablit dans notre « forme ».
Les liturgies de l’Eglise = ergothérapie de Dieu.
Le grand kinésithérapeute, le grand esthéticien, c’est le Saint Esprit du Père et du Christ, à l’oeuvre dans la vie des gens.
C’est Lui l’artiste.
La liturgie = parcours de santé !
Quand est-ce que nous sommes « en forme » ?
... mais en forme de quoi ?

C’est quoi notre « bonne forme » ?
« Si tu ne renais pas d’en haut... » dit Jésus à Nicodème (Jn, 3)...
On ne se refait pas... rétorque Nicodème !
Jésus réplique : à Dieu, rien n’est impossible. Tu peux être réenfanté : tu peux redevenir « beau », même si tu parais moche...
Du temps de Jésus, les disciples ont appris à être « embellis », « remis en bonne forme » par le Maître. Même les tordus, les tarés, les vieillis, les enlaidis par la vie...
Jésus redonne aux gens leur beauté. Et c’est Lui qu’on rencontre dans la liturgie : ce n’est pas nous qui nous donnons en spectacle.

II. La splendeur du Temple

Mais cette action de renaissance, de résurrection des êtres, a été refusée par la liturgie du Temple.
Il faut réfléchir à ça !
Comment se fait –il que le Temple a refusé la prédication et l’action de Jésus ? Est-ce que Jésus refuse la liturgie ?
Non, il va à la synagogue ; il va au Temple...
Est-ce qu’il refuse une belle liturgie ? Non ! Ses disciples admirent la beauté du Lieu, et sont impressionnés par sa sainteté.

C’est que le Temple était le grand lieu de pèlerinage ! le lieu de la beauté divine par excellence ! Tous les psaumes qui parlent de la liturgie s’extasient devant la beauté de ce lieu. C’était le Lieu par excellence !
La liturgie du Temple devait être très belle !
Les prêtres et les lévites devaient soigner les rites avec minutie, les lévites, animateurs liturgiques et musiciens, devaient donner beaucoup de leur temps pour préparer les liturgies et les chants des psaumes, les pèlerins donner beaucoup d’eux-mêmes pour se purifier, pour participer, pour embellir et restaurer le sanctuaire.
Tous avaient conscience pourtant que Dieu seul était beau. C’est Lui qui était le Lieu par excellence ! La splendeur par excellence... On ne pouvait pas l’approcher... il fallait montrer patte blanche, avoir les pieds nus, le corps tout propre, n’avoir aucune tare, aucune souillure, aucune tare ; il ne fallait pas avoir eu contact avec de la pourriture, de la moisissure, avec un cadavre quel qu’il soit (quelqu’un dans le fossé ou un rat qui traînait...). Il fallait être impeccable... pour rencontrer Dieu...
Et encore on ne pouvait pas avoir un contact direct avec Lui, sous peine de mourir. Seulement une fois par an, le grand prêtre, tout purifié, tout pomponné, dans son habit de lumière, approchait avec précautions de l’arche de l’alliance, du tabernacle, et il prononçait respectueusement le Nom mystérieux de IHWH, il reconstituait avec l’encens la colonne de nuée comme au désert, puis il écoutait la parole de pardon que Dieu lui disait en haut du tabernacle. Alors il sortait du Saint des saints, et il trempait le goupillon d’hysope dans le sang d’un agneau offert, et il en aspergeait les délégations de pèlerins, pour manifester au moins ce jour là que Dieu partageait sa vie avec la vie du peuple : Dieu faisait corps avec son peuple. Un même sang unissait et l’autel et le peuple. Il refaisait son alliance avec Israël.
Superbe liturgie où la beauté de Dieu était reconnue, célébrée, adorée... Beauté inégalable, incomparable. Sublime liturgie où les gens devaient être impeccables pour y participer. Un peu comme les musulmans à la Mecque encore aujourd’hui !
Évidemment pas question que les mécréants et les pécheurs participent, ou que les handicapés, les crasseux et les SDF participent... Tout au plus pouvaient-ils mendier à la porte du Temple...
La liturgie devait être splendide comme Dieu et ne s’adresser qu’à des gens en forme et purs ! On offrait sa vie, son temps, son argent, son art pour cette liturgie là !
Comment se fait-il que ce soient les autorités du Temple, de cette belle liturgie, qui ont voté la mort de Jésus l’hérétique ?

III. Dieu nous redonne notre beauté grâce à l’action de Jésus

En quoi Jésus était–il un hérétique ? Pourquoi était il insupportable pour ces liturges professionnels ?
Je laisse votre foi répondre... Je laisse votre cœur de chrétien répondre !
Jésus toute sa vie a été obsédé par ceci :
Approcher les gens pour qu’ils puissent rencontrer le Père de leur vie, pour qu’ils puissent être ré-enfantés, pour qu’ils puissent retrouver leur beauté humaine, même s’ils sont vieux, blessés, cassés... Tout cœur peut devenir un temple... parce que Dieu sonde les reins et les cœurs et c’est à la porte de nos existences qu’il frappe pour souper avec nous. La baraque peut devenir un palais, le taudis une église, dès lors que la rencontre du fils avec le Père peut se produire. Alors c’est la fête, et on fait le festin de Noces, car ce qui était perdu est retrouvé.
Mais alors si on peut monter en pèlerinage non plus nécessairement à Jérusalem, ni plus nécessairement en Samarie, s’il n’est plus obligatoire de se purifier pour être rejoint, si on peut se retrouver dans le fossé de la vie et qu’on peut quand même être sauvé, soigné, remis en forme par Dieu lui-même. Si Dieu se fait notre prochain... Mais alors c’est là le Temple, c’est là le lieu de beauté ! C’est là le sacrement et le jour du grand Pardon.

Le temple a refusé Jésus. Pourquoi ?
Jésus est mort à cause du Temple. Pourquoi ?

J’ai conscience de poser une question difficile... pour nos liturgies chrétiennes.
Elle me semble pourtant fondamentale. Elle nous oblige à mettre la beauté à sa bonne place dans nos liturgies.
Si une belle liturgie, sublime, où tout le monde a donné de son art, de son énergie, et même de sa foi, si cette liturgie aboutit à empêcher que le Seigneur rencontre les gens, elle est inutile et même dangereuse.
Dans l’Esprit de Jésus, une telle liturgie donne une image d’un Dieu sublime mais lointain, admirable mais inaccessible. Elle ne fait pas rencontrer le Père des miséricordes. Le Père de Jésus ouvre ses bras à un gamin défiguré, un enfant qui se sent moche et qui a envie de se cacher, un enfant qui pour Dieu a gardé sa beauté même s’il a perdu son innocence.

La liturgie chrétienne naît de cette beauté là.
Tout ce que nous faisons pour servir ce type de rencontre répond à l’Esprit de Jésus et prend sa source dans le cœur du Père.
« Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » ...

IV. Jésus exclu de la liturgie de son peuple accepte d’être défiguré pour nous

Mais il faut aller encore plus loin.
Jésus va donner sa vie. Exclu de la liturgie de son peuple. Il va être cloué sur le bois comme un vulgaire criminel. Il aura eu le temps juste avant de confier à ses disciples le sens qu’il donnait à ce qui allait lui arriver : il va vers son procès, en croyant toujours à l’ouverture du cœur de ses ennemis, il espère toujours de ses disciples qu’ils continuent à inaugurer le Royaume dans le cœur des gens, de leur proposer d’accueillir le Père dans leur vie et de faire de leur cœur un Temple.

Il monte à l’échafaud en pardonnant à ses bourreaux sans faire retomber sur eux une quelconque vengeance : « Père, pardonne leur ».

Il montre ainsi jusqu’où va Dieu quand il aime : jusqu’à être exclu de la liturgie ! Et jusqu’à être traité comme un réprouvé, comme un criminel, comme un exclu ! Tout ça parce qu’il respecte notre liberté de fils de Dieu et qu’il ne nous traite pas en marionnettes, en manipulés, en forçats de son amour...
Il retourne complètement la liturgie de son peuple. Ce n’est plus nous qui devons nous offrir, nous purifier, être impeccables d’abord, être des artistes géniaux dans la liturgie, avant d’avoir le droit de nous approcher de Lui.
C’est Lui qui accepte d’être défiguré, enlaidi pour nous rendre notre beauté... « Et lui qui n’avait plus d’apparence humaine... le rebut du peuple... c’était nos péchés qu’il portait. »
C’est Lui qui s’offre jusqu’à être défait.
Et c’est devant cette tendresse bafouée que nous sommes invités à nous mettre à genoux.
Le don de Dieu qui restaure notre dignité d’image de Dieu va jusqu’à s’offrir : « Lui qui était de condition divine... n’a pas revendiqué pour lui seul le rang divin, mais il s’est anéanti, prenant forme d’esclave... »
C’est dire jusqu’où Il accepte d’être tombé.
Notre beauté nous est rendue mais à quel prix !
Ce n’est plus la beauté de nos liturgies et de nos offrandes qui compte, mais c’est la pauvreté de Dieu qui se donne pour nous rendre notre splendeur.
Se recevoir de pauvres et simples gestes qui nous redonnent notre visage de fils et filles de Dieu !
La source de toute liturgie chrétienne, c’est le Christ mort pour nous rendre notre beauté, et ressuscité pour mettre en selle l’Eglise et la liturgie afin que son oeuvre continue.

V. La « vraie » beauté de Dieu nous rencontre et nous recrée

C’est donc important que la liturgie chrétienne ne soit pas en déphasage par rapport à l’esprit de cet événement là.
C’est important que la liturgie ne refasse pas une liturgie du Temple, dont les gens se sentiraient exclus, où ils se sentiraient jugés. La liturgie chrétienne nous aide à rencontrer la source de notre beauté. Et en même temps elle célèbre la beauté défigurée de Dieu et son sacrifice pour nous.
Sentir et célébrer l’abandon de Dieu...
C’est à la fois très difficile et très simple.
Cela suppose qu’on soit très respectueux de ses gestes à Lui et très vrais dans tout ce qu’on fait pour lui. Ça suppose que les gens soient respectés avec beaucoup de soin dans tout ce qu’ils sont et dans tout ce qu’ils vivent, et en même temps très aidés pour qu’ils ne tournent pas en rond dans leurs problèmes et qu’ils ne se célèbrent pas eux-mêmes dans leurs rêves ou leurs angoisses...
La liturgie c’est pas de la mise en scène, c’est une belle rencontre : c’est beau parce que c’est vrai, de la vérité même de Dieu, et de la vérité même des gens qui sont là.

Il faudrait pouvoir vérifier nos pratiques liturgiques à cette lumière là :
Ainsi dans une célébration eucharistique, de quelle beauté est-il question dans ces moments de célébration... qu’est-ce qui rend la beauté aux gens ?

Qu’est-ce qui permet de nous rassembler autour de nos sources baptismales,
d’écouter et de répondre à une Parole qui nous touche le cœur,
de redire notre confiance à notre Dieu, Père Fils incarné et Esprit donné,
de prier avec le cœur large de Dieu,
de nous offrir avec le Christ et de rendre grâces,
d’accueillir la présence du Ressuscité et de son Esprit,
la Manne de son pain, le don de son sang,
la communion à son corps,
la mission...

Autant de moments qui doivent nous travailler au corps pour nous remettre en forme christique... quel que soit l’état de délabrement de nos situations ! La liturgie nous réintroduit dans la Présence et le regard aimant posé sur nous, grâce aux soins de l’Eglise, nous redonne beauté, souplesse, confiance, espérance, et ce goût d’aimer qui peut rendre à nos vies les couleurs de la joie.

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Jean-Marie BEAURENT

Prêtre du diocèse de Cambrai, directeur de l’Institut international foi art et catéchèse (†2009).

Liturgie et sacrements du diocèse de Cambrai
Publié: 01/06/2017