Jean, Élisabeth et les autres

Déjà les appeler par leur prénom est signe d’un grand respect. Ils sont tous dans des services de l’hôpital psychiatrique d’où ils ne sortiront jamais : ce sont les "chroniques" de l’établissement. À leur rencontre il ne faut pas s’étonner de leurs comportements : ils peuvent se mettre à crier ou à proférer des menaces, tout autant qu’à manifester de gros câlins. Leurs propos sont bien souvent incohérents. Une vraie cour des miracles.

Et pourtant, des bénévoles de l’aumônerie les visitent régulièrement ou les rejoignent pour certaines activités communes. Avec beaucoup d’attention, ils leur parlent, les rassurent quand leurs angoisses ou leurs phobies sont trop fortes. Ils les connaissent bien et savent qu’Élisabeth peut se mettre à chanter à tout moment, écoutée par tous, que Denis veut toujours parler de sa maman qui est en fauteuil roulant et que Louis voudra aller chercher dans la poche de son voisin une cigarette qu’il lui aurait prise ! Derrière chaque visage, une histoire humaine, douloureuse, qui s’écrit encore tous les jours.

Ce qui se passe à l’hôpital psychiatrique se vit pareillement dans des hôpitaux, des cliniques, des maisons de retraite. De nombreux visiteurs bénévoles en milieu hospitalier ou membres des équipes d’aumônerie, des familiers et des amis sont fidèles à leur rendez-vous régulier : pour assurer les repas, s’occuper du linge ou pour parler, passer un moment et pour rompre la solitude d’une chambre.

Pour ces témoins, de la pure gratuité dans leur compassion pour les souffrants ! Si on leur pose la question de l’efficacité de leur démarche, ils ne répondront pas. Ils sont là, tout simplement présents, prenant en défaut les schémas dominants d’une société où rentabilité, productivité et efficacité sont les maîtres mots ! Leur action se situe dans le registre de la fécondité : des gestes posés, des signes de tendresse, des heures d’écoute portent du fruit bien au-delà de ce que l’on peut imaginer et comptabiliser. Que se passe-t-il dans le cœur de celui qui, par son regard ou ses propos (même incompréhensibles), dit son merci ? Il compte aux yeux de celui qui s’intéresse à lui. Que devient le visiteur au contact de l’humanité souffrante ? Pour les uns comme pour les autres, c’est le temps de lentes germinations dont la récolte des fruits restera toujours de l’ordre de l’intime. Dans son dernier livre, Desmond Tutu, prix Nobel de la Paix pour son action non-violente en Afrique du Sud, écrit : « Pour chaque geste de méchanceté, une dizaine de gestes de bonté passent inaperçus dans notre monde. »

Dans la compassion, il y a quelque chose d’imprévisible et d’irrésistible. Sans avoir été consulté, on est pris de compassion. Le cœur parle, les actes suivent. Un échange surprenant prend naissance. Tous, souffrants et bien portants, vivent une aventure : celle d’une promesse de la victoire toujours définitive de l’amour sur l’oubli. Au temps de Toussaint, fête des champions d’humanité, ne pourrions-nous pas être de ceux-là ?

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Michel AMALRIC

Prêtre du diocèse d’Albi, chargé de la communication.

Publié: 01/11/2009