Le pardon des offenses

Comment réciter le Notre Père avec sincérité ?

Nous récitons avec conviction : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » Nous donnant cette prière, Jésus insiste : « Car, si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera aussi. Mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne pardonnera pas vos fautes. » (). Il y revient dans son enseignement sur la vie fraternelle ; voici la leçon qu’il tire de la parabole du débiteur impitoyable : « Le maître le fit appeler et lui dit : “Serviteur mauvais ! je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié. Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?” Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait. C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. » (). Quel est donc ce pardon auquel nous nous engageons en récitant le Notre Père, et dont Jésus nous rappelle l’ardente obligation ? Inclut-il la réconciliation ?

Le pardon des offenses

Le pardon de Jésus

Sur la Croix, Jésus ne s’adresse pas à ceux qui l’ont fait condamner, ni à Pilate, ni aux soldats qui l’ont flagellé et crucifié, ni aux passants qui ont craché sur lui quand il portait la croix, ni aux chefs qui vont se moquer de lui en hochant la tête, mais :
- il se tourne vers son Père : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » () ;
- et il donne sa vie pour eux.

Notre pardon

Quand on nous offense, nous avons à imiter Jésus :
- nous tourner vers le Père : « Père, pardonne-lui : il ne sait pas tout le mal qu’il m’a fait » ;
- décider de faire ce que je peux pour son salut : prier pour lui () ; répondre à ses demandes utiles à son salut.
Voilà le pardon du fond du cœur que le Père attend de nous. Il se donne dans le secret de notre relation au Père.

La réconciliation

Il ne s’agit donc pas de stoïquement minimiser l’offense ou s’en rendre indifférent, ni d’aller jusqu’à la réconciliation. Jésus n’a pas cherché à se réconcilier avec ses offenseurs. La réconciliation n’est pas incluse dans le commandement du pardon, parce qu’elle suppose la disponibilité des deux parties et que la disponibilité de notre offenseur ne relève pas de nous. Elle est cependant un au-delà souhaitable du pardon. Dieu va pour nous jusqu’à la réconciliation. Paul nous dit : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (). Et nous appelons le sacrement de ‘réconciliation’.

Les deux niveaux de réconciliation

Distinguons la réconciliation de raison et la réconciliation de cœur.

- La réconciliation de raison est l’accord des deux parties pour ne plus se nuire. Par exemple Ésaü a des griefs contre son jumeau Jacob, qui était le préféré de leur mère Rébecca ; qui lui a extorqué son droit d’aînesse et volé la bénédiction de leur père Isaac. Jacob a fui la colère d’Ésaü. Quatorze ans plus tard, il revient ; les deux frères se rencontrent avec chacun leurs forces ; ils se saluent et s’embrassent ; et ils se séparent (). À quoi bon nous entretuer ? mais restons chacun chez soi. Il n’est pas sûr qu’Ésaü ait pardonné, mais il a renoncé à la vengeance. Ces réconciliations de raison sont froides, en-deçà du pardon, mais utiles et sages.

- La réconciliation de cœur est celle qui restaure la relation, plus profonde qu’avant l’offense. Par exemple Joseph a reconnu ses frères, il leur pardonne : il les sauve de la famine (). Plus tard, il se réconcilie avec eux ; on pleure, on s’embrasse, on se réjouit (). C’est la réconciliation chaude, au-delà du pardon – parfois fragile : à la mort de Jacob, les frères de Joseph s’alarment ().

La réconciliation avec Dieu

Pierre a renié Jésus. Jésus lui a pardonné ; peut-être d’avance, quand il lui a dit : « Quand tu seras revenu, affermis tes frères » () ; ou alors quand il l’a regardé dans la cour du grand prêtre (). Mais la réconciliation, c’est quand ils se retrouvent tous deux, au bord du lac (). La scène des ‘Pierre, m’aimes-tu ?’ n’est pas une scène de pardon, mais de réconciliation : Jésus permet à Pierre, aux vêtements encore humides d’avoir plongé vers lui, d’exprimer son amour au-delà des reniements dont l’évocation l’attriste. Il peut alors lui confier son troupeau, parce qu’il aime Jésus du fond du cœur. À Césarée, Jésus avait annoncé qu’il bâtirait sur lui son Église ; c’est maintenant qu’il le fait, dans la joie de la réconciliation – une réconciliation de cœur.

Quand les scribes et les pharisiens reprochent à Jésus de faire bon accueil aux pécheurs, il prononce les trois paraboles de la miséricorde. Il commence par la brebis perdue. La brebis a franchi la limite du pâturage avec curiosité, excitation. Maintenant égarée, loin du berger, loin du troupeau, elle est dans la confusion et la peur : que faire ? où aller ? et le loup ? Mais le berger connaît et aime ses brebis ; il repère son absence et part à sa recherche, laissant là le troupeau (!). Il l’appelle, la retrouve, la serre contre son cœur, la prend sur ses épaules, et la remet à sa place – ni plus, ni moins – dans le troupeau. Elle est joyeuse d’avoir retrouvé le troupeau ; et elle aime davantage le berger qui l’a sauvée. Et le berger fait une fête démesurée avec ses amis : la joie au ciel pour un pécheur qui se convertit. Tel est l’effet du sacrement de réconciliation.

La réconciliation avec mon frère

Jésus ne me demande pas de me réconcilier avec mon offenseur, mais de lui pardonner. Par contre il me dit de me réconcilier – toutes affaires cessantes, même le culte – avec mon frère qui a un grief contre moi : « Lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. » (). Il s’agit de ne pas laisser mon frère dans une position où il doit me pardonner, de le décharger de l’obligation de pardon. Selon ses dispositions, la réconciliation sera de raison ou de cœur, mais j’aurai fait ce que Jésus demande.

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Bruno SION s.j.

Enseignant à l’université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban

Publié: 01/05/2020