Pourquoi cette guerre est illégitime

Toutes les Églises chrétiennes - sauf l’Église baptiste du sud des États-Unis - ont exprimé leur refus d’une guerre contre l’Irak. Du côté catholique, on a souvent invoqué, pour fonder ce refus, le fait que plusieurs des conditions exigées pour qu’un recours aux armes soit moralement légitime ne sont pas réunies dans le cas présent. Pour bien comprendre cette argumentation, il est utile de connaître cet enseignement de l’Église sur la guerre.

Ce qui s’impose d’abord, évidemment, c’est le refus de la violence : tout ce qui porte atteinte à la vie ou à la dignité d’êtres humains est contraire à la volonté de Dieu. Dans tous les conflits de la vie sociale, politique et internationale, les moyens non-violents doivent donc être privilégiés. Cette règle ne peut pourtant être tenue pour absolue : il y a des cas où refuser de recourir à des moyens militaires reviendrait à laisser se perpétrer des processus violents d’une extrême gravité. Comment savoir que l’on se trouve dans un tel cas ? Plusieurs conditions doivent être réunies. On notera au passage que la plupart d’entre elles, formulées ici dans un registre éthique, ont trouvé forme juridique dans le droit international.
Juste cause

Il faut ce qu’on appelle traditionnellement une juste cause. Les textes récents du magistère n’en mentionnent que trois :

 La légitime défense contre une agression armée. On ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les possibilités de réglement pacifique, le droit de légitime défense... Mais faire la guerre pour la juste défense des peuples est une chose, vouloir imposer son empire à d’autres nations en est une autre. (Vatican II, Gaudium et spes, 79,4)
 L’intervention pour secourir un peuple agressé. Le cas est évoqué par Jean Paul Il en ces termes : Quand les populations civiles risquent de succomber sous les coups d’un injuste agresseur et que les efforts de la politique et les instruments de défense non violente n’ont eu aucun résultat, il est légitime, et c’est même un devoir, de recourir à des initiatives concrètes pour désarmer l’agresseur. (Message pour le 1er janvier 2000, Doc. Cath. 2/2/00)
 Le cas de la révolte armée d’un peuple opprimé par une tyrannie évidente et prolongée qui porterait gravement atteinte aux droits fondamentaux de la personne et nuirait dangereusement au bien commun du pays. (Paul VI, Populorum progressio, 31) Cette hypothèse n’est évoquée qu’en incise, dans une phrase prônant la résistance aux oppressions par des moyens autres que militaires.

Ultime recours

Aucune violence, même défensive, n’est légitime si elle ne constitue pas un ultime recours. Notion essentielle, mais d’interprétation difficile : pour affirmer que d’autres moyens que militaires seraient inefficaces, il faut laisser du temps. Mais l’agresseur peut en profiter, par exemple en faisant durer des négociations à la seule fin de gagner du temps pour créer un fait accompli.

Proportionnalité

Le recours aux armes ne se légitime, même pour une cause juste, même en ultime recours, que si l’on a toutes les raisons de penser qu’il ne provoquera pas des destructions d’une ampleur telle que le remède apparaîtra pire que le mal. Il s’agit en somme, selon une éthique de responsabilité bien comprise, de prendre en considération toutes les conséquences de la décision que l’on prend, et pas seulement à court terme (nombreuses victimes, destructions), mais aussi à moyen et long termes (conséquences sur les relations entre peuples, germes de violences futures, désirs de vengeance, etc.). Pie XII déclarait en 1953 : Lorsque les dommages entraînés par la guerre ne sont pas comparables à ceux de l’injustice tolérée, on peut avoir l’obligation de subir l’injustice. (Documentation catholique, 1953, col. 1413) Quatre jours avant le début de la guerre de 1991, Jean-Paul Il soulignait, devant les ambassadeurs accrédités auprès du Saint-Siège qu’une guerre serait particulièrement meurtrière, sans compter les conséquences écologiques, politiques, économiques et stratégiques : et il rappelait que le recours à la force pour une cause juste n’est admissible que si celui-ci est proportionnel au résultat que l’on veut obtenir et en soupesant bien les conséquences de l’action militaire.

Espérance de succès

Simple conséquence du principe précédent : nul recours aux armes n’est éthiquement acceptable s’il n’existe pas de probabilité raisonnable de succès. On ne ferait alors qu’ajouter les destructions de la guerre à celles de la situation présente.

Autorité légitime

Le recours aux armes ne peut être décidé que par l’autorité légitime, celle qui a la charge du bien commun. De qui peut-on dire aujourd’hui qu’il est en charge du bien commun international ? On pense évidemment à l’ONU, dont c’est le rôle. Mais si l’ONU est indifférente ou paralysée, faut-il se résigner à laisser se poursuivre un génocide ou une purification ethnique ? D’un autre côté, s’affranchir trop aisément de l’aval de l’ONU, c’est laisser revenir le danger de guerres privées, entreprises par les seuls pays qui en ont les moyens, non pas au nom du bien commun de l’humanité, mais de leurs visées propres.

Intention droite

Il est immoral de chercher à atteindre par les armes, sous couvert de juste cause à défendre, des objectifs différents que ceux que l’on prétend poursuivre. C’est ce qu’on appelle l’intention droite.

Immunité des non-combattants

Un autre aspect de cet enseignement concerne non plus les conditions qui doivent être réunies pour décider de recourir aux armes (Jus ad bellum : droit à la guerre), mais les limitations à respecter dans la conduite même des opérations militaires (Jus in bello : droit dans la guerre). Il s’agit essentiellement du devoir de ne pas s’en prendre délibérément aux non-combattants. Ce principe de discrimination (entendre : entre combattants et non-combattants), se fonde sur la nécessité de ne faire que les exceptions strictement nécessaires au devoir de respecter toute vie humaine. Essentielle dans la tradition chrétienne comme dans le droit moderne de la guerre (notamment les Conventions de Genève de 1949) et dans les divers règlements intérieurs des armées, l’interdiction de s’en prendre délibérément aux non-combattants fonde la condamnation éthique du terrorisme (qui prend pour cible des passants dans la rue, les consommateurs dans un café, les passagers d’un avion) et celle de toute stratégie de destruction massive, notamment la stratégie dite anti-cités. Comme le déclare solennellement le Concile Vatican II, tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation. (Gaudium et spes, 80)

Guerre juste ?

On aura reconnu dans ces critères de jugement ceux qui nous ont été transmis sous le nom de guerre juste. L’expression n’est guère utilisée de nos jours, car elle est source de malentendu : comme l’adjectif juste a une connotation positive, on pourrait croire qu’il y a de bonnes guerres ! Or l’Église ne cesse de rappeler que le recours à la violence - même quand il est légitime - marque toujours un échec. La violence ne fournit jamais, par elle-même, une solution : tout au plus peut-on admettre qu’elle constitue, dans certains cas exceptionnels, le seul moyen qui, dans l’urgence, permette de s’opposer à une agression dont les conséquences seraient, si on la laissait se poursuivre, bien plus meurtrières que la violence mise en oeuvre pour la contrer. La guerre n’est pas déclarée morale en elle-même, mais seulement par comparaison avec une inaction perçue comme plus immorale encore, parce qu’abandonnant des populations au bon vouloir de ses bourreaux. Encore faut-il que l’usage de la force visant à désarmer le bourreau s’inscrive dans une perspective politique pour la sortie de crise.

Un dernier point, important : cet enseignement ne vaut que dans une société internationale encore en état d’anarchie. Pour aller vers une paix durable et véritable, l’Église invite à construire une société internationale où les Etats, acceptant de renoncer à une partie de leur souveraineté, soumettront leurs différends à une autorité publique de compétence universelle, selon le voeu de Jean XXIII dans Pacem in terris. Les artisans de paix sont ainsi invités à s’engager dans un travail de longue haleine pour dépasser les égoïsmes nationaux afin de donner forme institutionnelle à des solidarités régionales, puis mondiales.

Pour aller plus loin

 Catéchisme de l’Église catholique, no. 2309
 René COSTE, Théologie de la paix, Cerf, Collection Cogitatio fidei, 1997
 Questions actuelles, Janvier-février 2003, Bayard
 Christian MELLON, Ethique et violence des armes, Assas-Editions, 1995
 Croire aujourd’hui, mars 2003, entretien avec C. Mellon

Toute la tradition de réflexion morale catholique nous conduit à redire, comme les évêques allemands tout récemment, que le droit de légitime défense présuppose une attaque réelle ou imminente, et non la simple possibilité d’une attaque. Admettre qu’il soit légitime de mener des guerres préventives contre tous les régimes qui nous déplaisent ou qui oppriment leur peuple, ce serait mettre le monde à feu et à sang.
(Conseil permanent de la Conférence des évêques de France, 10 février 2003)

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Christian MELLON s.j.

Responsable du pôle formation du Centre de Recherche et d’Action Sociales. Secrétaire de Justice et Paix France (1997-2004).

Publié: 28/02/2003