Descente de croix, Rubens (1616)

Une catéchèse de l’eucharistie

Ce tableau est visible au musée des Beaux-Arts de Lille.

L’œuvre est immense, et nous pourrions y entrer comme la personne qui est à gauche. Comme cette vieille femme, entrons avec surprise, et peut-être sans trop oser nous approcher. Comme elle laissons-nous étonner : il se passe quelque chose devant elle, on descend un supplicié de la croix. La descente de croix de Jésus, relatée dans les évangiles, est ici peinte par Rubens, vers 1616. En pleine maturité de son art, il donne sa propre vision de cette scène qu’il a déjà représentée plusieurs fois.
Sa mise en scène est savante et grandiose : la croix ne se dresse pas en une solitaire verticale mais devient le pivot autour duquel toute une petite foule s’active. Avant de contempler le Christ, regardons cette foule variée :

Des hommes et des femmes se sont rassemblés pour récupérer le corps de Jésus. Hommes et femmes, ils réagissent différemment. Les hommes sont complètement dans l’action, c’est-à-dire qu’ils font : il faut bien descendre le corps de Jésus de la croix. Il faut le faire et ça leur demande un effort physique, que Rubens met en valeur par leurs musculatures et leurs gestes efficaces. Placés plutôt vers le haut de la toile, perchés sur des échelles, ils descendent le corps, ils le font glisser vers les mains des femmes, restées au sol.
Jean, habillé de vert et de rouge, fait la transition entre les deux groupes. Il est placé avec les femmes, ce qui pourrait paraître étrange. Pourtant sa stature marque bien sa force masculine et son geste, comme celui des autres, est solide et efficace : sans lui, le lourd corps de Jésus tomberait. Mais Jean, comme les trois femmes, vit une proximité différente avec le corps de Jésus. Rubens a placé avec précision son regard au plus près de la blessure du côté, ce côté d’où jaillissent du sang et de l’eau comme lui-même le précise dans son évangile.
Venons-en aux femmes. Leur attitude est beaucoup plus contemplative, tout comme leurs gestes : elles reçoivent le corps qui glisse lentement vers elles, soutenu par Jean. Leur regard cherche encore un peu de vie en celui qu’elles aiment. Marie, très près de son fils, laisse pourtant un peu d’espace entre elle et lui, jamais elle ne l’a retenu. Marie-Madeleine, différemment, embrasse une main suppliciée tandis qu’une troisième semble reculer pour tenter de comprendre, de réaliser le drame qui se joue devant elle.

Cette façon diverse de se situer par rapport au corps de Jésus des personnages représentés, hommes et femmes, chacun selon ce qu’il est, peut se déployer théologiquement et spirituellement pour ceux qui regardent le tableau depuis presque 400 ans.
Réalisé pour le couvent des capucins à Lille, en pleine Réforme catholique, il est un de ces très grands tableaux que l’on plaçait au dessus des autels dans les églises. C’est-à-dire que ce tableau était contemplé par les gens pendant la messe, bien sûr célébrée dans un rite différent du nôtre. Et justement il faut imaginer ce contexte, celui du prêtre forcément dos au peuple, et donc le visage tourné vers le tableau. Et le mystère célébré à l’autel et que les gens ne voyaient pas, c’est le tableau de l’autel qui lui servait d’introduction.
Le trait d’union entre la célébration, les gestes du prêtre et la descente de croix qui est peinte au dessus, se faisait par la petite nature morte qui est peinte en bas du tableau à droite. On y voit une bassine de cuivre, un linge, la couronne d’épines, les clous. C’est cette nature morte que le prêtre devait avoir dans son champ de vision, au cours de la célébration eucharistique, alors que le dessus du tableau devait lui échapper. Ainsi, l’œuvre lui rappelait que ce qu’il faisait, ce qu’il célébrait, avait un rapport avec cet épisode de la croix, et que s’il n’y avait pas eu la crucifixion et la résurrection de Jésus il n’y aurait pas non plus de célébration de l’eucharistie.

Alors comment parler de l’eucharistie avec ce tableau ? Eh bien il faut regarder la grande incohérence du tableau. Car il y a une incohérence dans le réalisme de la scène : la façon dont est traité le linceul. Si on regarde bien, ce linceul sert presque de corde pour descendre doucement le corps de Jésus. Et donc le poids du corps devrait tendre le tissu. Or le tissu ne se tend pas, au contraire, il se déploie très largement, en plis parfois souples. Rubens met ici le linceul en scène, en faisant une vaste nappe, nappe qui pourrait bien être celle de l‘autel : le linceul du corps du Christ est aussi la nappe de l’autel, et le corps qui est descendu est aussi le corps eucharistique qui descend dans les mains tendues de ceux qui veulent le recevoir.

Ces personnages qui sont autour du corps de Jésus pour le descendre de la croix courageusement ou le recevoir, c’est aussi nous. Nous aussi comme les personnages du tableau, nous pouvons nous situer différemment les uns des autres par rapport au corps du Christ qui descend jusque dans nos mains à chaque eucharistie.
Que nous soyons homme, femme, que nous soyons plutôt dans une manière active de le recevoir ou plutôt dans une manière contemplative, à chaque fois que l’eucharistie est célébrée, c’est le corps du Christ qui descend dans nos mains comme au jour de la descente de croix.

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Venceslas DEBLOCK

Prêtre du diocèse de Cambrai, responsable de la Commission d’art sacré.

Publié: 01/06/2017