Le retour du fils prodigue, de Rembrandt (1667)

Inspirée par le chapitre 15 de l’évangile de Luc, cette toile de 2,62 m x 2,05 m, peinte vers 1667, se trouve au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg.

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Très connue, cette œuvre a souvent été reproduite. Elle sert souvent de support catéchétique pour aborder le sacrement de la réconciliation. Quelquefois, et même assez souvent, on n’en regarde qu’une partie, se concentrant sur le groupe extraordinaire du père et de son fils, oubliant les autres personnages. Le père Paul Baudiquey qui a longuement contemplé et commenté ce tableau écrit que, « pour lui, c’est le premier portrait “grandeur nature” pour lequel Dieu lui-même ait jamais pris la pose ». En effet, c’est bien ce groupe du père et de son fils qui attire l’attention et la retient longuement.

Rembrandt a une soixantaine d’année quand il peint cette œuvre. C’est un homme usé par les faillites et les deuils. C’est un homme sans fard, sans masque. Sa pâte picturale est à son image : brute, épaisse, creusée et recreusée, sans chercher à la rendre lisse. Rembrandt sait bien que la vie d’un homme n’est pas lisse, mais qu’elle a toutes les raisons d’être burinée au fil du temps. Cet homme qui pleure encore son propre fils, Titus, va mettre toute son intériorité à peindre ce père prodigue en miséricorde.

Un visage ridé et presque aveugle, aux yeux usés d’avoir guetté l’improbable retour.
Une stature arrondie, presque ovale, forme de mandorle d’un tympan roman, une stature de porche royal pour protéger l’enfant revenu.
Le père décrit par la parabole et peint ici par Rembrandt n’est pas un père rigide, drapé dans sa droiture, enfermé dans une justice de purs. C’est un Père qui ne cesse de descendre vers nous, de se pencher vers nous, de guetter nos pauvres pas pour retourner vers lui, surveillant inlassablement nos chemins. Et lorsqu’il a la joie de nous voir retourner, ne fût-ce que d’un pas, vers lui, il n’a de cesse de nous accueillir tout près de lui comme un Père de tendresse. On commente souvent cette œuvre en parlant des deux mains du père : l’une serait plus masculine, l’autre plus féminine. Peut-être n’est-ce qu’une opinion. Mais on observe la même part de féminité ou de maternité du père dans l’attitude du fils qui vient se nicher contre le ventre paternel, attitude convenant plus à une mère qu’à un père. Cet homme redevenu enfant vient s’appuyer contre les entrailles matricielles à qui il doit sa renaissance.

Regardons maintenant le fils : il est peint comme une sorte de condamné, ses cheveux rasés comme un sorti de prison, sa tunique déchirée, un pied nu, l’autre à moitié (les pieds nus dans la peinture du 17e siècle signifiant souvent l’attitude d’adoration prêtée aux anges), prosterné. Le vide d’une sandale nous permet de contempler qu’il a été nécessaire à ce fils de parvenir à cette pauvreté, de se sentir vide et vidé, pour trouver la force de vouloir échapper à ses emprisonnements et ainsi redevenir assez petit enfant pour se blottir tout contre son père, la tête nichée tout contre son corps. Enfin délivré de ses fausses richesses, celles de ses plaisirs, il peut maintenant comprendre la vraie richesse du Père : celle de son amour sans condition. Et le manteau royal posé sur les épaules du Père peut maintenant envelopper à nouveau le fils.

D’autres personnages apparaissent dans le tableau. Simples spectateurs, leur présence est moins intense. On a beaucoup écrit sur eux : qui sont-ils ? Que pensent-ils ? Une chose est sûre, c’est qu’ils s’étonnent, tous. Celui qui nous interpelle le plus est cet homme qui reste drapé dans sa droiture, sa verticalité, exactement à l’inverse du Père qui renonce à sa droiture pour s’abaisser vers son fils. Il semble peiner à goûter la miséricorde infinie qu’il contemple pourtant. Sa sévérité pourrait bien nous faire penser à celle du fils revenu des champs. Mais qu’importe ? Quelle que soit son identité, il nous invite à nous interroger sur le regard que nous portons sur la miséricorde de Dieu, à quel point nous croyons à sa miséricorde et jusqu’à quel point elle nous émerveille et nous réjouit. De fait, on raisonne parfois comme le fils aîné, choqués par un Dieu qui pardonnerait aux pires pécheurs et semblerait moins aimer ses autres enfants vivant le plus possible dans la droiture. Mais refuser l’amour infini du Père, refuser d’entrer dans cette attitude de miséricorde, c’est refuser le Père tout entier. Et ce chemin est encore plus faux que le chemin du fils parti se tromper de richesses mais revenu à la source amoureuse du père prodigue en miséricorde.

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Venceslas DEBLOCK

Prêtre du diocèse de Cambrai, responsable de la Commission d’art sacré.

Publié: 01/03/2010