14e dim. ordinaire (6/7) : Pistes pour l’homélie

Pour bien comprendre un texte, quel qu’il soit, il est nécessaire de se mettre dans la situation de l’écrivain et dans les conditions de l’époque. En écrivant cette page d’évangile, Luc avait une intention bien précise. En effet il vit à l’époque des 1ères générations de chrétiens, dans une Eglise qui commence à s’organiser et se structurer : un pape, des évêques, (les apôtres) et même des diacres. Et en vis-à-vis, le peuple des chrétiens qui se laisse passivement enseigner.
Or Luc voudrait justement responsabiliser ces 1ers chrétiens et leur faire comprendre que chaque baptisé, autant que les apôtres, ont une vocation. Il essaye ici d’en faire la démonstration. Il rappelle en effet qu’en plus des 12 apôtres, Jésus en choisit encore 72. Rien ne nous empêche de croire qu’il y a là dedans des femmes et des hommes. Tous ils sont envoyés ! Voilà donc bien l’évidence qu’il n’y a pas que le pape et les évêques qui sont envoyés mais chaque baptisé. D’ailleurs Luc en rajoute encore lorsqu’il met dans la bouche de Jésus ces paroles : « la moisson est abondante mais les ouvriers peu nombreux ». Ce qui signifie qu’il faut prier le maître d’envoyer encore beaucoup d’autres croyants prêts à s’engager.
Jésus leur donne quelques directives :
 « Il les envoie 2 par 2 » Pourquoi ce détail ? Parce qu’on ne peut pas être chrétien tout seul. La foi ne peut se vivre que partagée, en communauté. Remarquez qu’il en va de même pour toutes choses, que ce soit dans le domaine scientifique, scolaire, de la recherche quelle qu’elle soit… Le travail en équipe est toujours le plus efficace. « Il y a plus de choses dans 2 têtes que dans une » dit-on.
 Luc apporte aussi une petite précision : Jésus les envoie « où il devait lui-même aller ». Ce qui signifie que le disciple doit rester très humble, il ne fait que préparer le chemin. Le travail en profondeur, c’est l’œuvre de Dieu lui-même.
 Encore une précision : les disciples doivent aller « sans argent, ni sac ni sandales ». Luc veut dire par là, qu’annoncer le Royaume de Dieu n’a rien d’un marketing publicitaire. Il ne faut pas s’encombrer de matériel de propagande mais il faut aller à l’essentiel et cet essentiel est tout simple « guérissez les malades et dites aux habitants que le règne de Dieu est tout proche. »
L’expression « guérissez les malades » englobe tout, dans la bouche de Jésus il doit être pris dans un sens très général, cela signifie : aidez les personnes en situation difficile, rétablissez la justice, libérez les opprimés de leur servitudes ou de leurs peurs, relevez toutes celles et ceux qui sont écrasés, découragés, isolés, démunis, déprimés par la dureté de la vie, annoncez qu’il y a toujours une espérance, un avenir possible, que la vie est plus forte, qu’ils sont capables avec notre soutien de s’en sortir… autrement dit que le Royaume est tout près, qu’il est déjà là.
Nous avons toujours la fâcheuse tendance de reléguer le Royaume dans l’au-delà, après notre mort, alors que Jésus s’époumone à nous dire que le Royaume n’est pas seulement à venir, il est déjà présent, ou plus exactement il nous incombe de l’actualiser. La vie, le bonheur ne sont pas pour demain, nous avons la mission de les rendre accessibles à tous aujourd’hui. Telle est la vocation non seulement des responsables de l’Eglise mais aussi la vocation de tous les baptisés.

Piste 2

« La moisson est abondante mais les ouvriers peu nombreux ».
Cette phrase a toujours été utilisée dans l’Eglise pour stimuler et susciter les vocations sacerdotales. Engagez-vous disaient-ils !
Généralement l’accent a été mis sur le mot « ouvrier », ce qui n’a rien d’une promotion. Et puis, étrangement l’Eglise justifiait cet engagement « pour aller semer la Bonne Nouvelle ». Or Jésus ne parle pas du tout de semailles mais de moisson. Il y a me semble-t-il, une forte différence entre semer et moissonner. Il est plus enthousiasmant de récolter que de semer. Celui qui sème demeure toujours dans l’incertitude de la récolte, car non seulement la semence peut tomber dans les ronces sur les pierres ou dans la bonne terre, mais y aura-t-il suffisamment de pluie pour la faire germer, n’y aura-t-il pas l’une ou l’autre catastrophe pour empêcher les épis d’atteindre leur maturité ? Nous connaissons sans doute cette parole du psalmiste : « celui qui sème dans les larmes moissonne en chantant ».
Or Jésus précise bien quel est notre travail : récolter la moisson. Il a toujours été très explicite : il n’y a qu’un seul semeur. Dans toutes les paraboles où il parle de semeur, le semeur est Dieu lui-même, il sème dans le cœur des hommes. Dieu nous laisse le beau rôle, il nous donne le travail le plus agréable : la récolte. Il ne veut pas que nous connaissions cette incertitude du semeur qui doit puiser dans sa réserve de grains pour les jeter en terre.
« La moisson est abondante », en disant cela Jésus ne signifie pas que tout nous est donné tout cuit, et que nous n’avons qu’à nous asseoir pour jouir de tout ce que les générations précédentes d’hommes et de femmes nous ont légué en fait de bien-être social, de confort médical, matériel ou autre… Non, nous aussi nous sommes invités au travail, mais ce travail, Dieu le souhaite exaltant, agréable, un travail pour tous, car la moisson est vraiment abondante.
Le pain ne nous tombera donc pas directement dans notre bouche il nous faut travailler. Par ailleurs, les fruits que nous récoltons ne sont pas uniquement pour nous, ils nous sont offerts pour le partage.
En résumé, cette page d’évangile nous invite à une profonde humilité. N’ayons pas, parce que nous sommes chrétiens, la prétention d’être le réservoir de la semence, semence de vérité, semence de sainteté, semence de bonne conduite (l’Eglise n’en fait-elle pas la malheureuse expérience aujourd’hui ?).
Jésus nous rappelle qu’il n’y a qu’un semeur et que nous ne sommes que les heureux bénéficiaires de la moisson. Je me suis laissé dire qu’un proverbe juif disait : « nous serons jugés sur tous les biens que la vie nous a offerts et que nous n’avons pas pu apprécier ».
Notre mission est aussi simple que belle, elle est de cueillir tous les fruits de beauté, de bonté, de bonheur, d’amour…qui nous sont offerts en abondance pour les donner en partage.

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Georges LAMOTTE

Prêtre du diocèse de Namur, † 2017.

Publié: 06/06/2025