Résurrection : éveil et illumination

Les récits évangéliques de la Résurrection nous disent que le corps du Christ n’est pas à embaumer mais à partager. Que le tombeau vide n’est pas un lieu de pèlerinage mais qu’il dessine l’espace d’une parole à dire pour l’espérance. Que rien de la mort n’a retenu Jésus mais que le Ressuscité est insaisissable et qu’on ne peut le rencontrer que parmi les frères. Que la Résurrection est victoire sur la mort mais qu’elle est aussi victoire sur la non foi des disciples. En ce sens leur foi et la nôtre font partie de la Résurrection. Elles l’attestent et lui donnent forme et force dans le temps.

Au printemps, lorsque tout va bien, il est facile de parler de la Résurrection. Mais si l’on accepte de se tenir auprès de jeunes tétraplégiques, d’handicapés mentaux profonds, de jeunes mères mourant d’un cancer, des massacrés - et des massacreurs, hélas, - de celles et ceux qui n’ont connu au long de leur vie que la poisse, la misère et la souffrance, beaucoup de paroles sur la Résurrection deviennent insupportables et leur inconsciente légèreté écrase. On ne peut plus écouter les magiciens des signes de résurrection dont la théologie est celle de la philosophie du beau temps après la pluie, du retour du printemps après l’hiver, de la santé après la grippe. Et les discours qui vont répétant que "Dieu veut des hommes debout", alors qu’on est terrassé par la misère, la souffrance et le malheur sont comme ceux des amis de Job. Saint Hilaire de Poitiers pensait "qu’il n’était pas digne de la grandeur de Dieu d’avoir introduit l’homme dans cette vie où il participe à l’intelligence et à la sagesse pour qu’elle défaille et qu’il meure à jamais". Et déjà l’homme des psaumes espérait que "Dieu rachèterait sa vie au pouvoir des enfers et le prendrait avec lui", alors que, sans illusions, il savait que l’homme ne pouvait vivre indéfiniment et que le sage périrait comme l’imbécile et la brute. () Oui, la Résurrection ouvre l’horizon de la plénitude pour celles et ceux qui ont connu la grâce des instants merveilleux de l’existence, des amours dont on voudrait qu’ils durent toujours, de la beauté que l’effacement du temps rend si émouvante et fragile. Mais la Résurrection est plus encore espérance pour celles et ceux qui ont vécu toute leur vie dans la misère noire, dans la détresse et la tristesse ; pour celles et ceux qui n’ont même pas eu l’espace de temps ou les capacités de vivre. "S’il n’y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité, et si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide et vide aussi votre foi." ()

Aux lieux de la détresse on est résolument compagnon de ce Thomas qui semble avoir tant de mal à croire à la Résurrection mais qui veut surtout vérifier que le Ressuscité n’a pas laissé la misère en l’état sur l’autre rive, la sienne, la nôtre. Comme un mauvais souvenir, un mauvais moment à passer. Pour espérer contre toute espérance (), il faut avoir compris la profondeur du désespoir des disciples d’Emmaüs. Même les ressources insoupçonnées que certains trouvent au fond d’eux-mêmes ou dans le regard des autres pour survivre et surmonter des malheurs sans nom ne sont pas des signes de la Résurrection. Toutes ces manières de voir ne sont qu’une façon d’arraisonner la foi au culturellement correct qui ne veut plus entendre parler d’au-delà de la mort. “L’éternité est dans l’instant.” Tu parles ! Faudra-t-il enlever à ceux et celles qui n’ont rien que leurs yeux pour pleurer, à celles et ceux pour qui chaque jour et chaque heure sont une immense peine à vivre, la dernière espérance d’une Vie en Dieu ?

Sensibles aux doutes et à la critique contemporaine - et comment y serait-on insensible ? - on a peur aujourd’hui d’évoquer un au-delà de la mort parce qu’il répondrait trop bien à un désir d’éternité ou bien parce que la vie éternelle démobiliserait de l’engagement dans la vie de ce temps en la dévaluant. On comprend que celles et ceux qui pensent que la mort borne irrémédiablement la vie n’en veuillent pas perdre un instant et que, s’efforçant d’être fraternels, ils s’insurgent contre l’injustice et luttent contre le malheur du monde. Mais en croyant que la vie éternelle donne toute sa gravité - poids et importance - à la vie humaine qu’elle accomplit, les chrétiens en portent aussi le souci. L’espérance de la Résurrection engage. Elle nous engage à cultiver la vie, à résister à tout ce qui amoindrit l’humanité de l’homme. Tout ce que nous donnons de nos vies dans l’amour, le service gratuit des autres, la beauté, la recherche de la vérité, la lutte pour la liberté, le combat pour la justice, l’humble et silencieuse compassion, tout cela est récapitulé en Dieu dans la Résurrection du Christ. "Tout ce qui n’est pas donné est perdu" dit un adage de l’Inde sans cesse repris par le jésuite Pierre Ceyrac qui y vit.

Mais il faut dire, aussi, que si la Résurrection est engagée dans l’histoire, elle n’est pas une réalité de ce monde. Ce n’est pas le fruit du progrès, ni sa condition d’ailleurs. Ceux qui ont cru le contraire et qui ont prétendu connaître le secret de la fin des temps ont voulu plier la marche de l’histoire à ce qu’ils imaginaient être le Royaume de Dieu. Au nom de ces visions totalisantes du cours des temps ils ont été totalitaires et, pire, ils ont effacé le caractère scandaleux du mal et de la souffrance et même ils les ont justifiés parfois comme un mal nécessaire pour nous conduire au bonheur pour tous et pour toujours. La Résurrection fonde une espérance mais c’est une réalité qu’on ne voit pas. C’est l’assurance que rien ne nous séparera de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ. () "Il essuiera toute larme de nos yeux, il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu." ()

La Résurrection est illumination (), éveil de l’homme à la vérité et à la vie. Mais elle n’est pas au bout d’un chemin d’ascèse comme dans le bouddhisme, elle est au départ comme ce qui éclaire l’existence d’un jour nouveau. "Éveille toi, ô toi qui dors, lève-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera." () (cf. ) Le Christ, mort, est ressuscité et nous marchons à sa suite dans la Voie évangélique de la simplicité, du partage, du renoncement au toujours plus avoir, de la joie pure. ()

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Jean-Marie PLOUX

Prêtre de la Mission de France.

Publié: 31/03/2014