Le centurion

Ma femme Josepha craint que je me ridiculise parce que j’ai décidé, demain, quand mon tour de garde sera fini, d’aller trouver rabbi Jésus de Nazareth, qui révolutionne tout le pays par les multiples guérisons qu’il opère.

Un de mes fils, Pierre, a dit qu’il aimerait m’accompagner. Personnellement, je n’y verrais que des avantages. C’est un enfant qui a l’esprit très ouvert ; mais sa mère m’a devancé et elle s’y est opposée. Alors je me suis incliné.

Pourquoi est-ce que je veux aller trouver rabbi Jésus ?

C’est à cause de Julius mon esclave que j’aime comme mon frère : il a toujours refusé que je l’affranchisse pour être sûr de ne pas me quitter. Il est malade, bien malade, et malgré tous les soins, je vois bien que son état empire, et il souffre.
Ce Juif, rabbi Jésus, je le sais, j’en suis sûr, peut le guérir.
Cela fait quelque temps que je m’intéresse à cette religion juive. Elle me paraît très supérieure à la religion officielle romaine avec ses multiples dieux, parfois peu recommandables. Le Dieu unique d’Abraham, de Jacob, d’Israël se révèle impressionnant de fidélité envers son peuple élu. Il se définit comme étant ’’je suis celui qui suis’’. C’est simple et grandiose.

Je suis séduit, c’est certain, et j’ouvre ma bourse en faveur de cette religion chaque fois que je suis sollicité.

Ma femme, elle, refuse de participer à ma recherche. Mais elle ne s’y oppose pas vraiment. Sa meilleure amie, la femme du gouverneur Pilate, se pose aussi des questions au sujet de Jésus. Josepha m’a dit qu’elle avait peur de perdre sa tranquillité en remettant en cause le sens de sa vie. À mon avis, elle s’y mettra, c’est une question de temps ; pour l’instant, je respecte sa position.

Et puis, m’a-t-elle objecté : « Qu’est-ce que tu deviendras quand tu auras une nouvelle affectation, hors la Palestine ? »
Ça ne m’inquiète pas trop car il y a de nombreuses synagogues dans tout l’empire romain. Non, ce qui me retient encore, c’est l’exclusion des non Juifs ; cela, je n’arrive pas à l’admettre. Pourquoi Dieu exclurait-il les 99 % de l’humanité ? C’est a priori injuste et inexplicable. Et justement, si ce prophète Jésus accède à ma demande, il y aura une brèche dans cet exclusivisme. Je l’espère de tout mon cœur.

Il me tarde de l’approcher ; comment me préparer à cette importante rencontre ? Si je savais comment me purifier, je le ferais. Que lui dire ? Heureusement le chef de la synagogue a accepté de m’accompagner pour me présenter. Mais c’est ce qui sortira de ma bouche qui le convaincra de m’aider ou pas.

Je pense qu’il suffit que je sois vrai ; inutile de lui cacher que je suis un militaire et que je suis indigne de son intérêt puisque non juif. Mais il faut qu’il m’écoute pour Julius, pour moi et pour toux ceux qui ne sont pas nés juifs.
Dieu d’Abraham, exauce-moi.

Vingt-quatre heures ont passé.
Tout s’est déroulé comme je l’espérais : rabbi Jésus et moi avons été tout de suite en confiance. Nous nous sommes reçus cinq sur cinq. J’ai même l’impression que rabbi Jésus, grâce à ma démarche, a constaté qu’il était mieux suivi par des non Juifs, que par ses frères en religion. Et j’ai eu le cœur tout dilaté.
En revenant, j’ai trouvé Julius guéri, en pleine forme, et Pierre puni par sa mère, car finalement, sans que je m’en aperçoive, il m’avait suivi de loin. Mais nous allons faire une telle fête que la punition sera levée.

Il est bon, il est utile pour un officier d’avoir femme et enfants, sinon j’aurais tendance à me croire très puissant avec ma fameuse discipline militaire.
C’est ce que j’ai dit à rabbi Jésus : "Quand je dis à l’un ’’va’’, il va, quand je dis à l’autre ’’fais ceci’’, il le fait."

Si je n’y prenais pas garde, ma femme et mes enfants m’y aidant, je serais d’un autoritarisme insupportable. Et j’ai vu que rabbi Jésus, dont la puissance est bien supérieure à la mienne, pourrait, s’il le voulait, renvoyer les autorités établies. Mais il ne le fera pas ; il préfère nous donner du temps pour nous rallier volontairement à lui.
Alors Josepha, qu’est-ce que tu en penses ?

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/10/2015