Heureusement, Seigneur, tu n’es pas cartésien !

Explique-moi Seigneur, pourquoi j’ai le don (si on peut appeler ça un don) de voir, de trouver tout de suite dans un passage d’évangile, l’interprétation la plus farfelue qui soit. Elle me saute aux yeux.

Tu veux un exemple ? Tiens, en voila un, que j’ai lu ces jours-ci dans Saint Luc au ch. 11 verset 14 et suivants. Tu discutes avec certains de tes concitoyens qui t’accusent de chasser les démons par Belzébuth.

Au début de ton discours, ça va très bien, je peux te suivre sans peine. En effet, Tu fais remarquer que ce serait idiot que Belzébuth se fasse lui-même la guerre. C’est logique ! Mais ensuite, il y a un passage qu’avec la plus grande bonne foi, sans y mettre de malice, tout au moins il me semble, j’interprète de façon totalement erronée.

Le voila ce passage « Quand l’esprit mauvais est sorti d’un homme il parcourt les terres desséchées en cherchant un lieu de repos. N’en trouvant pas il se dit : je vais retourner dans ma maison d’où je suis sorti. En arrivant, il la trouve balayée, bien rangée. Alors il s’en va et prend sept autres esprits plus mauvais que lui, ils y entrent et s y installent. Ainsi l’état de cet homme est pire à la fin qu’au début »

Curieux non ! Notons à ma décharge que vingt siècles après Ta venue, les histoires de démons ne nous sont pas trop familières.

Mais aussitôt après la lecture de ce texte, m’appuyant sur mon passé de Juge pour Enfants, je pense à un garçon qui, par exemple, a une forte tendance à voler des mobylettes, voire des autos. C’est embêtant, mais pas terrible, terrible, et je me dis : "est-ce qu’il vaut mieux que ce garçon ne respecte pas l’article 379 du code pénal, de cette façon et continue son petit trafic coupable, plutôt que d’essayer de le délivrer de cette fâcheuse tendance pour, d’ici quelques temps, le retrouver poursuivi pour braquage de banque avec prise d’otage."

Ça parait aller dans le droit fil de Ton discours, mais évidement c’est stupide.
Pourquoi, sans me forcer presque naturellement, je suis entraînée vers ces raisonnements débiles ?

Cette fois-ci, je Te rassure, Seigneur, je n’ai pas mis trop de temps à me débarrasser de cette idée, mais parfois c’est beaucoup plus coton. Et ça m’arrive assez souvent.
Ici il est évident qu’il faut traduire ce passage pour entrer dans Tes vues, comme un avertissement plein de bon sens. Si j’ai fait un effort pour parvenir à une certaine amélioration de ma conduite et si je m’en attribue le seul mérite ou au moins le mérite principal, estimant être arrivée à un degré de perfection satisfaisant qui m’autorise à m’accorder un repos bien mérité, en relâchant mon attention, il y a fort à parier que je vais vite re-dégringoler ; sur le plan spirituel comme sur beaucoup d’autres plans, le proverbe « qui n’avance pas, recule » est parfaitement exact. Ou je continue à cheminer avec Toi, Seigneur, plus ou moins facilement, où je tombe droit dans les embrouilles de Satan.

Il n’y a pas de milieu. Le repos éternel c’est pour plus tard. Sur terre, c’est le temps du combat.

Je sais bien que la logique pure, c’est bien beau en math, en droit aussi, mais ça n’a rien à faire dans des tas de domaines, et j’ai tendance à lui attribuer une valeur suprême qu’elle n’a pas. Qu’est-ce que la logique viendrait faire devant une fleur qui sent bon, devant l’harmonie, le bon équilibre d’un bâtiment en adéquation parfaite avec le paysage qui l’entoure, devant le sentiment de plénitude qui peut nous envahir en écoutant une belle musique,... la liste pourrait s’allonger. Le monde serait triste, invivable s’il se réduisait au seul raisonnable.

Alors au fond, pourquoi m’inquiéter de cette tendance déformante que j’ai en moi. Je la connais cette tendance, je sais qu’il faut m’en méfier, tendance d’autant plus stupide que je cherche à l’appliquer à des textes écrits par des orientaux et non par des occidentaux. Et je sais aussi Seigneur, que Tu finis par me faire rencontrer soit des textes, soit des amis qui m’aident à y voir plus vrai quand ce n’est pas Toi-même qui me fait ce que j’appelle un petit clin d’œil pour m’aider, et ce faisant j’ai un mouvement tout aussi spontané pour Te rendre grâce et Te dire mon amour grandissant.

Tu es mon berger, Seigneur, et rien ne saurait me manquer.

Inutile de m’inquiéter !

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/02/2010