Le juste salaire

Le travailleur mérite son salaire, as-tu dit, Seigneur, en Luc () ou en Matthieu () : "L’ouvrier mérite sa nourriture." C’est dit à propos des disciples envoyés dans les villages pour annoncer la proximité de ton Règne. Ça devrait nous inspirer chaque fois que nous faisons appel à un de tes clercs, Seigneur, pour assurer tel ou tel service. Il est évident que nous avons à nous soucier de leur donner une juste compensation. Mais c’est aussi valable pour n’importe quel ouvrier.

Seulement, qu’est-ce qu’on doit entendre par là ? Ça varie tellement, d’une époque à l’autre, d’un pays à l’autre.

Aujourd’hui dans les pays dits favorisés, les syndicats réclament toujours plus d’augmentations de salaire et toujours moins d’heures de travail. À ce train-là, avec les possibilités de délocalisation dans les pays où les ouvriers sont payés quatre, cinq, dix fois moins qu’ici, nombre d’ouvriers en France se trouvent confrontés au chômage. Pour eux, on pourrait dire que trop d’avantages ont fini par tuer les avantages.

Faudrait-il alors se retourner vers le Deutéronome ou vers l’Exode qui racontent l’histoire de la création en parlant pour Dieu de six jours de travail et d’un seul jour de repos par semaine ?
Ce serait ridicule. Tu te rends compte, Seigneur ? Plus de week-ends, plus de congés payés, plus de jours fériés. Chez nous en France, ce serait la révolution. Ce serait aussi une façon fondamentaliste de lire ta Parole, et j’ai déjà dit que cette façon de faire ne me paraissait pas aller dans le bon sens, car contraire à ce que Toi, Seigneur, Tu as fait lors de ton passage sur terre.
Mais il est certain qu’on se trouve aujourd’hui confronté à un problème sérieux qu’il faudra bien résoudre pour essayer de construire une société plus harmonieuse, travail qui nous incombe certainement pour participer à ton œuvre de création.
À force d’organiser le monde en faisant fi du véritable intérêt de l’homme et en privilégiant surtout le profit, on est à l’heure actuelle devant une situation mondiale si injuste qu’on ne sait plus par quel bout la prendre. Il y en a parmi nous qui sont plus impliqués que d’autres pour lutter contre ce fléau : tous ceux notamment qui ont des responsabilités d’hommes politiques, de chefs d’entreprise, de directeurs de syndicats, ...mais nous sommes tous concernés, surtout ceux qui comme moi profitent plus ou moins de ces injustices, puisque je vis dans un pays riche. Alors, que faire ?

Nous devrions être atterrés par cette économie mondiale complètement faussée. Cela nous saute aux yeux quand, dans une même émission de télé, on nous montre dans les pays pauvres des enfants squelettiques décharnés dont seuls les yeux anxieux sont vivants et que deux ou trois minutes plus tard, on nous fait part du désarroi des pays riches, face au problème grandissant de l’obésité où on est prêt à dépenser des sommes folles pour lutter contre cette tendance.
Mais ces images passent très vite, en laissant la plupart d’entre nous indifférents ou fatalistes : "C’est comme ça, on n’y peut rien."
Comme chrétien, c’est impossible d’en rester là. Mais que faire ? Pas facile de répondre.

Oui, que faire, ai-je dit : il faudrait partager non seulement le superflu, mais le nécessaire. Ce qui est beaucoup plus difficile, très difficile même, car cela paraît si infinitésimal par rapport à la vertigineuse grandeur du gouffre dans lequel nous évoluons. On peut aussi s’intéresser aux associations qui œuvrent dans les pays pauvres pour les aider à s’organiser. Mais tout ça, ça ne fait pas lourd.

Alors, Tu sais, Seigneur, on se sent vraiment pauvre en ce domaine. Puis-je Te rappeler que "quand un pauvre appelle Dieu entend" dit un psaume. Ce serait bien si on était très nombreux, le plus nombreux possible à être plus généreux et à crier vers Toi, Seigneur. Je ne vois pas d’autre possibilité pour sortir de ce marasme. Mais avec Toi ! ...

Seigneur, je t’en supplie, entends ma prière.

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/05/2013