L’Immaculée Conception

Seigneur, si je suis franche avec Toi, il faut que je Te dise que je ne suis pas très attirée par la fête de l’Immaculée Conception. Ça me met mal à l’aise.

Parce qu’enfin, si Marie a été conçue sans péché, elle a un avantage par rapport à moi, et j’aurais tendance à penser qu’elle aurait moins de mérite que moi, qui suis obligée de lutter ferme contre Satan qui est diablement fort (diablement est le mot qui convient, Tu remarques ?) pour m’emberlificoter dans ses mensonges. Elle, elle ne serait pas fondamentalement attirée par lui. Elle pourrait donc plus facilement lui résister. C’est ce que j’ai tendance à penser.

J’admets volontiers que Tu as voulu faire le ménage à fond, avant de T’installer dans le corps de Marie pour T’incarner. Mais ce privilège me rend ta mère un peu étrangère. Et ça, je le regrette, car j’aime bien penser à Marie comme à une femme comme moi, comme à une laïque comme moi qui ai vécu une vie ordinaire avec son lot de joie, de souffrance, de travail ménager quotidien, cherchant à comprendre ce que disait ou ce que faisait ton Fils. Mais à partir du moment où j’admets qu’elle est sans péché, le parallèle me paraît faussé. Ainsi, lors de l’annonciation, je me demande si sa totale disponibilité à ton projet n’a pas été en partie induite par le fait qu’elle était toute pure. Elle aurait pu dire non, certes. Tu lui as demandé son accord, avant de passer à l’acte. Mais son oui, qui me remplit d’autant plus d’admiration que personnellement j’aurais été peu attirée, je le crains, par le fait de devenir fille-mère c’est à dire pécheresse publique, son oui, dis-je, me paraît plus facile que pour moi.

Aussi jusqu’ici, j’ai mis ce dogme en sourdine, j’essayais de ne pas y penser. Mais je reconnais que ce n’est pas souhaitable, ni même normal. Quand tu t’es présentée à la petite Soubirous, Marie, tu as dit que tu étais l’Immaculée Conception. Tu n’as pas pris un autre titre. Et paradoxalement ce titre absolument incompréhensible pour cette jeune paysanne inculte a fait voler en éclats les doutes de son curé sur la réalité des apparitions. C’est donc important.

Que faire ? Je reste un moment sur cette idée agaçante où je ne vois pas d’issue, et puis, allez donc savoir pourquoi, la parabole des talents me vient à l’esprit.

Mais une fois de plus, où avais-je la tête ? Tu n’es pas injuste, Seigneur, Tu es la justice même. Et Tu nous l’as très clairement expliqué. Quand Tu donnes beaucoup de talents à quelqu’un, Tu lui donnes une responsabilité accrue. Qui a reçu plus, doit donner plus. C’est parfaitement équitable et mon esprit juridique et cartésien est tout à fait apaisé ; pour le moment, car il serait bien à plaindre celui qui estimerait avoir fait le tour complet de la question quand il s’agit du mystère de Dieu.

Le Seigneur a fait des merveilles pour toi, Marie, tu le reconnais, mais il t’a été beaucoup demandé. C’est évident ! Devenir mère de Dieu t’a certainement posé problème. Elever le Fils de Dieu n’a pas dû être simple. Comment concilier le fait que c’était ton enfant, ton tout petit, et qu’il était ton Dieu. Comment as tu fait pour tenir les deux bouts ? Pour garder la foi, pour tenir bon dans les épreuves, pour travailler longtemps après la Résurrection à faire grandir l’Église naissante...

Vraiment, Seigneur, Tu demandes beaucoup à ceux qui ont beaucoup reçu. Intellectuellement, c’est satisfaisant, mais sur le plan pratique ça fait un peu peur. Je crois qu’on est nombreux à rêver d’une petite vie tranquille où on peut espérer être sauvé, sans trop de frais, un sauvetage au plus juste prix. Seigneur donne-moi un petit talent, pas plus s’il Te plaît.
Mais cette prière-là, ne doit pas Te plaire Seigneur. Comme tous les parents, Tu souhaites nous voir grandir. Et tes liturgistes ont trouvé une formule qui tout en tenant compte de nos réticences, doit te convenir. Elle est ainsi rédigée : « Donne-moi Seigneur, plus que je n’ose demander. »

Qu’il en soit ainsi Seigneur, même si je la dis du bout des lèvres et merci aussi au Saint Esprit qui m’a soufflé la parabole des talents. Sans Lui, j’allais patauger lamentablement.

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Françoise REYNÈS

Laïque mariste († 2011).

Publié: 01/12/2013